Même dans ses références historiques, lui qui se dit gaulliste, François Fillon est à côté de la plaque lorsqu’il déclare à Charleville-Mézières :
« Je suis actuellement sous le feu continu des attaques.
Ces attaques contre un candidat investi et légitimé non seulement par les siens mais aussi par des millions de Français, sont d'une violence inouïe ». Le député de la Sarthe évoque une situation inédite dans l'histoire politique récente, « du jamais-vu sous la Ve République et même sans doute sous la IVe, cette dernière était pourtant riche en barbouzeries politiques de toute sorte… »
Rafraichissons lui la mémoire, celle-ci me paraît bien défaillante ces derniers jours, et pourtant l’affaire Markovic où, Claude Pompidou fut trainée dans la boue afin de barrer la route de l’Elysée à son époux, ça devrait lui dire quelque chose puisque son mentor, le discret Joël Le Theule, fut soupçonné d’y avoir été mêlé.
Petit rappel pour ceux qui l’ignorent :
Le 14 décembre 1980, Joël Le Theule, ministre de la Défense, député gaulliste de la Sarthe et maire de la ville de Sablé, meurt à 50 ans d’un arrêt cardiaque à l’hôpital, où il vient d’être conduit en urgence par son jeune assistant parlementaire de 26 ans, François Fillon. Quatre ans plus tôt, le jeune homme poursuivait des études de droit et s’orientait vers le journalisme quand le député, un ami de la famille, lui propose d'occuper à mi-temps ce poste nouvellement créé par Jacques Chaban-Delmas. Le jeune Fillon accepte, par curiosité d’apprenti journaliste plus que par vocation politique. Mais la mort de son mentor change à jamais son destin professionnel puisqu’il récupère son siège de député l’année suivante, entamant ainsi sa carrière politique.
« Joël Le Theule avait acquis une réputation de fin politique, rompu dans l'art de la manœuvre. Il sait s'attirer de sérieuses inimitiés dans son propre camp, notamment de la part de Jacques Chirac. Son successeur, François Fillon, dira d'ailleurs : « Le Theule était haï de Chirac autant pour ses penchants que parce qu'il le soupçonnait d'avoir prêté la main dans l'affaire Markovic, qui déstabilisa Pompidou », les penchants faisant référence à l'homosexualité de Joël Le Theule. »
Là c’est moi qui ai écrit :
« L’affaire Markovic c’est de la merde mon petit cœur, c’est l’exemple même du coup tordu dont raffolaient certains milieux barbouzards gravitant dans les soupentes du régime. Ses instigateurs voulaient barrer la route de l’Elysée à Pompidou. Viansson-Ponté dans son histoire de la République gaullienne écrira que « l’ennemi appartient à la famille, tapi dans l’obscurité, manipulant les cartes et truquant la partie. » Pompidou a tenu bon mais il savait, ou croyait savoir d’où les coups venaient. « Capitant par bêtise, Vallon par méchanceté et Couve a laissé faire. » avait-il confié à son ami Michel Bolloré avec son art de la formule choc. Dans son livre « Pour rétablir la vérité » Pompidou écrira « Ni place Vendôme, chez Capitant, ni à Matignon chez M. Couve de Murville, ni à l’Elysée, il n’y a eu la moindre réaction d’homme d’honneur. » Moi bien sûr, à cette époque-là, je n’étais qu’un petit flic miteux de banlieue mais, par la suite, par la grâce de la mère de Chloé, mon protecteur à l’Elysée, ce très cher Secrétaire-Général qui m’a propulsé là où je suis, savait. Et Pompidou savait qu’il savait. Un biographe du jeune loup Chirac l’affirmait « on sait que Georges Pompidou à toujours gardé sur lui, dans son portefeuille et écrite à la main, la liste de ceux qui, selon lui, avaient eu une responsabilité dans cette odieuse calomnie ». D’après lui trois noms, dont celui du Secrétaire-Général de l’Elysée. »
« 69, l’année politique », un ressortissant yougoslave hébergé par Alain Delon finit cadavre dans une décharge. Un assassinat d’où émane une rumeur de « ballets roses » avant que des photos de « partouze » ne finissent dans les rédactions. […]
Avec l’annonce par la presse des relations entre Stefan Markovic et l’acteur Alain Delon - il serait son « gorille » - l’affaire fait la une de toute la presse. Très vite, une rumeur court les rédactions et les milieux politiques : des personnalités « de haut rang » seraient impliquées. Ensuite le nom de Madame Claude Pompidou, épouse de l’ex-Premier Ministre, circule. Puis des photos – faux grossiers - censées la représenter en galante compagnie arrivent dans les rédactions et chez des amis de celui dont l’ambition est à l’époque, la Présidence de la République. Bien que la source de ces images n’ait jamais pu être identifiée, les milieux gaullistes proches du Service d’Action Civique (SAC) sont soupçonnés, du fait de leur notoire opposition à la candidature de « l’auvergnat » de Montboudif. Rappelons que les « ultra-gaullistes » reprochaient à Georges Pompidou d’avoir cédé, en mai 68, devant « les anars » et « les cocos ».
[…]
« Le président Pompe se méfiait, à juste raison d’ailleurs, l’affaire Markovic le démontrera, des « demi-soldes » du SAC où se mêlaient, autour du noyau dur de la diaspora corse, d’authentiques héros de la Résistance et de vrais truands. Comme l’heure n’était plus aux combats de l’ombre contre les « soldats perdus » de l’OAS ou à la défense de la Vème menacée, alors Pompidou avait demandé à Marcellin de débarrasser le SAC des éléments les plus douteux. Tâche malaisée car ce petit monde de reitres désœuvrés, naviguant en marge de la légalité, vivant d’expédients, cultivait un sentiment de toute puissance, au nom des services rendus au Général, et pensait que leur impunité ne saurait être remise en cause. »
[…]
« Pompidou ne s’en tenait pas qu’au verrouillage du gouvernement Chaban, il bouleversait aussi l’organigramme de l’Elysée en mettant fin à la dualité Secrétariat-Général et Cabinet, le premier absorbait le second. Sous de Gaulle, dans l’ombre, le Secrétaire-Général, jouait un rôle capital. Interlocuteur privilégié du chef de l’Etat il était le seul membre de l’équipe à pouvoir entrer à tout moment dans le bureau présidentiel.
Le nouveau Secrétaire-Général était l’énigmatique Michel Jobert flanqué d’un adjoint le byzantin Edouard Balladur. Très vite la césure entre la tendance « rive gauche » décidée à donner ses chances à la « nouvelle société », et la tendance « rive droite » résolue à avoir la tête du folâtre Chaban, se dessinait dans l’entourage de Pompidou. L’ancien mendésiste Jobert, sincèrement européen, qui, selon Viansson-Ponté, « est le personnage le plus important de l’Elysée soutiendra loyalement les thèmes progressistes du chef du gouvernement. Balladur, « solide, subtil, distant, rapide » selon Jobert, dévoué à Georges Pompidou, même s’il jugeait aventureux certains projets de Chaban, fera preuve à son égard d’une grande correction.
L’autre tendance est emmenée par un personnage qui cultivait son image de la droite France profonde, ultranationaliste : Pierre Juillet. Il était chargé de mission et flanqué de la redoutable Marie-France Garaud, jeune et ambitieuse avocate, qui avait gagné la confiance de Pompidou en démêlant l’imbroglio de l’affaire Markovic. C’était une passionnée, directe, cynique, qui gardait un chien de sa chienne à Chaban car celui-ci l’avait éconduit sèchement lorsqu’elle postulait à son cabinet de la Présidence de l’Assemblée. Impitoyable, bluffeuse, elle allait de suite tout tenter pour nuire au chef du gouvernement. En marge, à côté de ce beau monde, le très fameux secrétariat général pour les affaires africaines et malgaches tenu par le redouté taulier Jacques Foccart dont les fonctions officieuses couvraient un large champ dans le marigot gaulliste où se mêlaient les services secrets, les barbouzards, les affairistes et tout un petit monde interlope où je nageais comme un poisson dans l’eau. »
Extraits du livre Les Pompidou de Henry Gidel publié aux Editions Flammarion
« Il en a assez, plus qu’assez, mais il lui faut continuer, et toujours avec le sourire. Mais le plus pénible à ses yeux, ce ne sont pas les fatigues de la campagne. C’est bien autre chose…Pierre Mazeaud, magistrat mais également célèbre alpiniste et vainqueur de l’Annapurna, se trouve à ses côtés dans sa voiture, alors que durant la course à l’Élysée, il parcourt les Hauts-de-Seine.
Soudain, à sa grande surprise, il aperçoit des larmes couler de ses yeux. Alors le futur président de la République lui saisissant le bras, lui dit : « Ah ! mon petit Mazeaud, c’est vraiment trop dur, trop dur ! » et il continue à sangloter. Alors que Mazeaud s’imaginait que le candidat faisait tout simplement allusion aux fatigues de la campagne, il est rapidement détrompé : il apprend que des fonctionnaires des RG venaient de lui montrer d’odieux photomontages représentant sa femme qu’il adorait dans des postures particulièrement scabreuses.
Autre témoignage : à cette époque, dînant à Lille à l’hôtel Royal, en tête à tête avec Maurice Schumann, il n’ouvre pas la bouche un seul instant, mais se lève continuellement, pour se rendre à la cabine téléphonique. Plus tard, une fois devenu Président, tenant à s’exprimer auprès de lui, il lui révèle, très ému : « C’était le jour le plus triste de ma vie. Si je suis allé téléphoner plusieurs fois de suite, c’est parce que ma femme était au bord du suicide. » Elle venait de recevoir des lettres anonymes truffées d’insultes ordurières. On mesurera le désarroi de Pompidou au moment même où il avait tant besoin de sa volonté, lorsqu’on apprendra qu’il rédigeait alors un petit texte où il évoquait la force de l’amour réciproque qui le liait à son épouse. C’est là certainement qu’il puisait l’énergie indispensable à son combat.
[…]
« La violence, la durée et l’inlassable répétition des attaques sont venues à bout de Claude, d’où l’angoisse permanente de son mari : dans l’état où elle se trouve, elle peut d’un instant à l’autre passer à l’acte.
Mais quelle situation pour le futur président de la République !
Que doit-il faire ?
Que peut-il faire ?
Renoncer à sa candidature ?
Ce serait d’une certaine façon reconnaître le bien-fondé des rumeurs accusatrices. Il en est d’autant moins question qu’il pense être déterminé dans son action non par une vulgaire ambition personnelle mais par un authentique destin. Il est certain qu’il n’est pas absolument pas libre, qu’il n’a pas le choix, que personne d’autre que lui en ce moment ne doit ni ne peut remplir les fonctions présidentielles telles que les a voulues le général de Gaulle.
« Dès 1962, confiera-t-il plus tard, oui, dès mon arrivée à Matignon, j’ai su que je serais un jour président de la République. » C’est pour lui un sort qu’il subit sans plaisir, d’ailleurs, car il ne répond pas à sa vraie nature, celle d’un authentique épicurien. Et il sait bien que la politique ne le rendra jamais heureux…
Ce petit rappel historique rien que pour dire à François Fillon qu’il devrait changer de registre, à l’inverse de Claude Pompidou Pénélope Fillon n’est pas la victime d’un coup monté par de sombres officines mais la « victime » d’une situation imaginée par son mari pour mettre du beurre dans les épinards de la maison où manifestement elle s’ennuyait. Les faits sont avérés, les sommes en jeu non contestées, alors crier au complot, à une machination ourdie dans de sombres officines relève d’une défense calamiteuse et dangereuse pour son propre camp.
Cette victimisation est indécente, indigne de l’homme d’État qu’il dit être, sa réaction relève du niveau petit assistant parlementaire roublard pris les doigts dans la confiture qui enrage de voir s’évanouir son rêve de prendre la place du calife. Il n’y a aucune meute à ses trousses, rien qu’une accumulation de faits soigneusement dissimulés, pas forcément condamnables en droit mais fort peu en adéquation avec son costume de père la rigueur, d’apôtre des sacrifices. Son maintien ne me pose aucun problème, c’est son choix, sera-t-il celui de son camp, seulement je m’interroge de sa capacité, s’il est qualifié pour le deuxième tour face à la MLP, à recueillir des voix de gauche et du centre. La pilule paraîtra encore plus amère que celle du vote pour Chirac qui en la matière était pas mal non plus, Alain Juppé en sait quelque chose.