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31 octobre 2017 2 31 /10 /octobre /2017 06:00
Le glyphosate, la tomate et la forêt, Catherine Bernard vigneronne reprend la plume pour nous donner du grain à moudre afin de comprendre l’enjeu de cet herbicide

Jacques et moi puisons aux mêmes racines. Je le remercie d’accueillir cette réflexion.

 

Pour la première fois depuis longtemps, un sujet d’actualité démange la plume de la journaliste économique que j’ai été pendant vingt ans et de la vigneronne que je suis depuis treize ans maintenant : le glyphosate. On ne peut pas comprendre l’enjeu de l’emploi de cet herbicide, et donc extirper le débat des jugements de valeur binaires et stériles, si l’on ne se replace pas dans l’histoire récente de notre agriculture, et plus globalement, dans notre relation à l’alimentation et au paysage.

 

Néanmoins, c’est l’enfant qui a grandi dans un village de l’ouest laitier de la France que cette molécule herbicide introduite sur le marché en 1974 par Monsanto sous la marque Roundup a réveillé et qui parle aujourd’hui. J’avais onze ans. Je suis fille de l’exode rural et du plan Mansholt qui a découpé l’Hexagone en grandes zones agricoles spécialisées et intensives. La maison de mon enfance était bordée de deux prés où paissaient les vaches de la ferme du bourg. Matin et soir, le troupeau passait devant la maison, laissant sur le bitume des bouses fumantes et odorantes.

 

Tous les deux jours, ma mère m’envoyait chercher le lait, deux bidons au bout des bras. Le temps de la traite étant court, la queue était longue, ce qui amenait à parler. Le lait formait des yeux gras dans le bol de chocolat du matin qui me portaient au cœur, et ma mère faisait du lait caillé que l’on saupoudrait de sucre vanillé.

 

Aux alentours de mes huit ans, l’un des prés a été converti en parking, puis quelques années plus tard, l’autre pré est devenu une supérette, comète des hypermarchés qui ceinturaient déjà Nantes et Saint-Nazaire, les grandes villes distantes de 30 kilomètres. Poussant un chariot, on y faisait comme ; comme les citadins qui traçaient la voie du progrès, et le progrès, alors, c’était de remplir son chariot pareillement de petites culottes et de poireaux. Ce sont les premiers effets palpables du plan Mansholt, et de son bras armé, le glyphosate. Car plus encore que toutes les aides et la mécanisation réunies cette molécule a permis de raccourcir prodigieusement le temps de travail, et donc dans un double mouvement de d’agrandir les exploitations et abaisser les coûts de production.

 

Je me souviens aussi, dans cette fin des années soixante, au beau milieu de cette période que l’on n’a pas appelée pour rien les Trente glorieuses, du ras le bol des femmes de balayer des sols en terre battue, de cohabiter avec les beaux-parents, de ne connaître ni jour de fête, ni statut social, et de celui des hommes d’être pris pour des culs terreux, des arriérés. Peut-être ce ras-le-bol n’aurait-il pas pris corps si la télévision n’était pas elle aussi entrée dans les foyers, montrant dans ses pages de publicité la magie des robots Moulinex, des crèmes pour le visage et les mains, des voitures rutilantes, bref, tout ce qui faisaient les attributs de la ville. Financés par la Politique agricole commune, la mécanisation et les produits phytosanitaires ont été les voies de la modernisation des campagnes, et dès lors d’une vie possible.

 

Un demi-siècle plus tard, la ferme du bourg de mon village a été convertie en médiathèque. Les terres les plus proches du bourg ont été loties, et les plus éloignées reprises par d’autres agriculteurs, moyennant quoi, ma mère achète du lait UHT qui ne fait plus des yeux gras dans le bol et la courbe démographique déclinante s’est inversée autant par maintien des agriculteurs que par l’arrivée de citadins travaillant à Nantes. Nul n’ignore plus que libérant le monde agricole et alimentant toute l’année les rayons des supermarchés en tomates, le glyphosate et les pesticides ont en même temps semé la mort, celle de la terre, de ceux qui la travaillent, ainsi que celle des aliments que nous ingérons. Néanmoins, je n’oublierai jamais les mineurs de Salsignes dans l’Aude qui bien que mourant tous les uns après les autres d’empoisonnement à l’arsenic se sont battus jusqu’au bout pour garder leur emploi. Finalement, c’est la rentabilité de l’or extrait qui a mis fin à l’activité. C’était en 2004. Ainsi l’homme est-il désespérément fait.

 

Il faut aussi voir les choses avec cette focale : le glyphosate est le prix payé pour que les citadins que nous sommes tous devenus, du moins dans l’esprit, puissions continuer d’être émus par les paysages sculptés par l’homme quand on traverse la France et rêver de la campagne. Il est d’autres pays d’Europe où la traversée du pays est celle du désert. C’est ainsi, pour ne prendre qu’un exemple, qu’un quart du territoire du Portugal a été détruit cet été par les incendies, l’émigration des campagnes ayant vidé le pays de sa population et laissé la place à l’eucalyptus.

 

Le plan Mansholt, la mécanisation, le glyphosate et tous les pesticides ont été les ingrédients de ce qu’on a appelé la révolution verte. Cette révolution s’est faite à marche forcée. Elle a laissé des morts sur le bord de sa route. Elle a aussi rencontré une résistance, minoritaire et visionnaire, notamment avec le mouvement des Travailleurs paysans, ancêtres de la Confédération paysanne.

 

Eux seuls avaient entrevu la spirale infernale dans laquelle l’agriculture a été prise et dont le syndicat majoritaire, la FNSEA, est l’atome. Il faut lire ou relire La forteresse agricole, pavé de 800 pages de Gilles Luneau qui dressant une histoire de l’organisation syndicale, donne à découvrir le quotidien des campagnes comme les liens inextricables entre les gouvernements successifs et la FNSEA, pour mesurer, non seulement l’ampleur de l’enjeu des pesticides, mais surtout sa complexité et son ambivalence.

 

 

Il n’y aura pas de fin du glyphosate et des pesticides en général sans une nouvelle révolution verte. Cette révolution ne viendra pas de la recherche institutionnelle, elle aussi prisonnière de la vision moderniste et intensive de l’agriculture. Elle viendra de ceux qui font parler d’une même voix la terre et la philosophie, comme Masanohu Fukuoka qui tout au long de sa vie a témoigné de la dégénérescence de la terre et de la société japonaise, et nous a laissé un livre en héritage, La révolution d’un seul brin de paille, de Pierre Rabhi qui depuis l’Ardèche nous parle du Chant de la terre, de la Graine des possibles, de La part du colibri.

 

Un mouvement n’étant jamais univoque, cette révolution viendra aussi de la capacité des citadins à entendre ces voix. Elle a commencé avec la lame de fond qu’est la conversion à l’agriculture biologique. Mais on en connaîtra le prix réel seulement lorsque vous, moi, nous demanderons avant de mettre une tomate dans un sac : est-ce de saison ? De quelle terre provient-elle ?

 

Pour cela, il faut prendre conscience du gain de cette perte d’abondance, retourner à La physiologie du goût de Brillat-Savarin : « Nous sommes ce que nous mangeons ». L’image n’étant hélas p plus assez frappante, j’ajoute : comment l’Homo Economicus du XXIème siècle a-t-il pu devenir allergique au blé, semence biblique qui nourrit les hommes depuis des millénaires ? Avant nos consciences, mieux qu’elles, nos cellules savent que nous ingérons la mort. Le glyphosate et la tomate sont les arbres qui cachent notre forêt.

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commentaires

J
On ne peut mieux dire.<br /> J.B.
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J
On ne peut mieux dire.<br /> Jacques B.
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M
Jacques et Catherine, à revoir, sur le sujet : "A armes égales" Sico Mansholt - Lucien Bizet, notre président de Chambre d'agriculture de la Savoie, président de l'APCA et du salon de l'agriculture. Et Lucien Bizet répétant à Mansholt, ça ne marchera pas, ce n'est pas ça l'agriculture.....<br /> J'aurais aimé refaire un débat à partir de cette vidéo...... Certainement très intéressant pour comprendre.
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