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17 octobre 2010 7 17 /10 /octobre /2010 02:09

Nous montâmes ensuite à Péri pour déjeuner chez Séraphin. En ce pays, le dimanche on monte au village retrouver la famille. Jasmine conduisait. Les plaies noirâtres du violent incendie de l’été dernier se cicatrisaient lentement, des plaques de végétation vert tendre voisinaient avec des troncs calcinés. Mathias suçait son pouce en contemplant le bout de ses pieds nus. À midi, chez Séraphin, nous serions entre nous, entre indigènes, car les touristes n’y venaient que le soir pour ne pas perdre une miette de ce soleil qui brille en Corse comme nulle part ailleurs. En août il cognait vraiment dur épandant dans l’air une chape pesante qui donnait des envies de rester sagement à l’ombre. Comme d’ordinaire à cette heure-ci j’entamais, après un déjeuner léger, une sieste dans la fraîcheur de notre chambre le tangage des lacets de la route me berçait et je luttais pour rester éveiller. J’adore cet état ouateux où, par à coups, on va et on vient en des aller et retour violents conscience-inconscience, noir-blanc, comme si le temps s’entrouvrait pour nous engloutir puis nous régurgiter. Malgré mes efforts je piquais du nez. Jasmine chantonnait « frère Jacques, frère Jacques, dormez-vous... » et Matthias abandonnait son pouce pour gazouiller en frappant dans ses petites mains. Au détour d’un virage, je retrouvais mes esprits et tout de go je déclarais à Jasmine : « Nous l’appellerons Marie... »  Caillou-8597.JPG

Sous les charmilles de la terrasse notre table était cernée par d’imposantes tablées familiales où les générations se côtoyaient, habillées en dimanche, bien en place comme pour un plan de cinéma juste avant le clap. Les brus et les filles se tenaient à carreaux en surveillant leur progéniture encore calme en ce début de repas du dimanche. Les fils conversaient avec leur mère ou leur grand-mère, les gendres écoutaient, pendant que les pères, impassibles, veillaient sur le bon déroulement du cérémoniel dominical. Lorsque nous nous étions garés, une vieille Mercédès noire aux chromes étincelants et un Jaguar Mk3 crème avaient dépoté un paquet de sexagénaires en chemisettes, pantalons de toile et moccassins qui occupaient maintenant la table du fond où ils descendaient des pastis en tenant des conversations animées où les affaires du village tenaient une place centrale. Au-dessus de nos têtes des escadrilles de bestioles vrombissaient telles des forteresses volantes plongeant Matthias dans une perplexité joyeuse sous le regard inquiet de sa mère craignant par-dessus tout les guêpes attirées par les sucs de nos aliments. Chez Séraphin c’est Joséphine qui officie, on y mange au menu avec un ou deux choix intérieurs et y on boit le vin du seul vigneron de Péri. C’est copieux, le couvert est bien mis, il y a des bouquets de fleurs sur les tables et, surtout, les beignets de courgettes de Joséphine sont des merveilles de finesse et de légèreté et les cannellonis au brocciu exceptionnels.  Caillou-8599.JPG

Avant la fin du repas Jasmine allait coucher Matthias dans une chambre aux volets clos. Je l’accompagnais. Pendant qu’elle changeait le petit j’allais m’asseoir sur le marchepied d’un prie-Dieu au velours rouge passé. Depuis la naissance de Matthias je me sentais père, je me vivais père en prenant part aux gestes du quotidien : le faire manger, le changer, le coucher... mais je continuais de voir en Jasmine une gamine entichée d’un vieux, une amante fraîche, joyeuse et disponible. Dans ma position ridicule, au ras du parquet, le cul posé sur cette antiquité qui avait du supporter les genoux pointus de femmes pieuses et de curés libidineux, je me projetais dans le temps de sa nouvelle grossesse. Deux enfants venus dans le dernier bout de ma vie ça me plaçait face à une évidence : je la voulais pour femme. L’épouser quoi, la conduire devant le maire. Qu’elle portât le même nom que ses enfants. Ridicule ! Pour me détendre, tenter une sortie honorable, je m’imaginais que si je la demandais en mariage elle serait capable de me traîner devant le curé ou le pope de Cargèse... Perdu dans mes pensées je ne l’entendis pas venir. Elle s’accroupissait au-dessus de moi. Mes mains effleuraient ses cuisses. Elle me susurrait « Emplis moi encore ! » Je soupirais « Epouse-moi ! » Elle se redressait comme un ressort. « Non ! »

-         Pourquoi non ?

-         Parce que ce n’est pas moi qui t’épouse c’est toi qui dois me demander en mariage...

-         Et comment je fais ?

-         Tu fais !

-         Ici ?

-         Oui !

-         Mais je ne sais pas comment le dire ?

-         Tu le dis simplement !

-         Jasmine veux-tu m’épouser ?

-         Oui mon amour.

-         Et maintenant qu’est-ce qu’on fait ?

-         L’amour !

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