Chers lecteurs,
Ce reproche, que souvent je me fais à moi-même, que sans doute certains me font sans forcément me le dire, je ne le réfute pas, je l’assume. N’étant détenteur d’aucune part de vérité, n’étant investi d’aucune mission particulière, si j’écris, depuis près de six années, sur cet espace de liberté, une poignée de mots chaque matin, rien qu’un petit conglomérat de phrases, c’est que tout simplement, tout au fond de moi, je suis en colère. Contre moi-même d’abord et surtout, « pourquoi cherches-tu tout le temps à expliquer, à convaincre ? » me dis-je, « boucle-là, laisse tambouriner les gros tambours, tu radotes, l’heure et le temps n’est plus au doute, au questionnement, mais à la communication formatée reprise en boucles, aux éléments de langage délivrés par des bouches autorisées ayant seules l’accès aux haut-parleurs médiatiques » Mes chroniques sont souvent des bondes que je pose sur ma colère. Elles me permettent de la contenir lorsqu’elle est attisée par le regard que je porte sur la France, le monde et sur le bal des faux-culs, des poseurs, des fausses gloires, des je suis connu donc je délivre un message universel pour le plus grand bénéfice de mes lourds investissements.
Nulle aigreur dans ma colère, elle est comme une vague d’apparence paisible dont je m’efforce de contenir la force. Nulle envie aussi, j’ai eu et j’ai une très belle vie. J’aime les créateurs de toute obédience, les artistes et les écrivains : j’achète leurs tableaux et leurs livres. J’aime tout court. Je suis d’un orgueil incommensurable. J’ai mis les mains dans le cambouis. Je ne suis pas un enfant de chœur. Je n’ai jamais caché mon ambition. La compétition, la réussite et sa part matérielle ne tiennent aucune place dans ma colère. D’ailleurs, très récemment j’ai écris un papier Bonheur premier et « Prière Rogue » : Gardez-nous la révolte et la primevère ! link que les 100% vin ont du mettre à la poubelle sans même y jeter un regard – c’est leur droit – et que je vous ressers tout en bas de cette chronique sans aucune gène. Impudeur sans doute, exhibitionnisme, mais ça m’évite de dire des gros mots, de me laisser-aller à la froide lame de la méchanceté. Comme je n’ai aucun compte à régler je laisse le soin à ma plume, chaque matin, d’établir avec vous un peu de lien. Se causer, s’écouter, s’entendre (au sens auditif), prendre le temps, vivre ensemble quoi.
Prêchi-prêcha me direz-vous et « vous Berthomeau, écoutez-vous ? Nous écoutez-vous ?» Au risque de surprendre certains, la réponse est oui, même si j’ouvre parfois bien trop ma gueule, oui j’ai passé la plus grande part de ma vie à écouter, et souvent à écouter des insanités sans avoir le droit d’y répondre bille en tête, et je suis frappé dans beaucoup de mes rencontres de notre haute capacité à engager des dialogues de sourds. Chacun est dans son monde, sa tribu, ses convictions, ses tunnels... et le résultat n’est même pas la cacophonie mais un haut niveau de bruit qui semble satisfaire tout le monde ou plus exactement qui permet au plus grand nombre de se réfugier dans le troupeau et de cultiver un pessimisme inoxydable. L’analyse de la nature et le ton des questions d'auditeurs aux « gens qui comptent » est la meilleure symptomatique de cet enfermement. Ils les assènent. Que voulez-vous moi j’aime les fenêtres ouvertes sûr aussi bien le lointain que la cour de mon immeuble. J’adore débattre mais dans un débat ouvert, respectueux de la diversité, qui assume par le langage la dureté des temps sans réécrire ou travestir l’histoire ou cette foutue réalité qui nous colle aux godasses, qui débouche sur du faire, toujours insatisfaisant, réducteur, plutôt que sur des bordées de promesses, de lendemains qui ne chantent jamais.
Je vais en rester là, car j’ai déjà beaucoup trop abusé de votre temps, et je risquerais de m’aventurer sur un terrain que je m’interdis de fouler. Vous êtes tous des citoyens et je ne vois pas au nom de quoi, en venant chaque matin sur cet espace de liberté, je vous imposerais la lecture de mes convictions personnelles.
Un dernier point, sachez que dans la solitude du chroniqueur de fond que je suis, de temps à autre, et contrairement à moi : sans forcément vous étendre, un petit mot déposé en commentaire, en contact ou dans ma boîte e-mail, je l’avoue me fait du bien.
Bonne journée et je l’espère à demain sur mes lignes.
Jacques Berthomeau
Bonheur premier
Il est des jours comme ça où, sans prévenir, du bonheur me tombe dessus, m’inonde, m’envahit, m’emporte en des territoires de haute félicité. Soucieux d’y rester le plus longtemps possible je n’en laisse rien paraître. D’apparence sur mon lisse tout glisse mais tout au fond c’est jour de tempête. Force 4, mon fracas intérieur en vagues successives brise toutes mes chaînes, me délie, donne un goût fort à ma vie. Et pourtant ce soudain bonheur n’est qu’un bonheur simple, celui des petites choses de la vie, des riens, un sourire, une complicité naissante, un accord qui se dessine et je retrouve mon cœur d’enfant. Ce bonheur-là est toujours un bonheur premier, natif, toujours renouvelé, car à ce bonheur-là je ne m’y ferai jamais. Mon petit jardin d’intérieur donne sur une grande maison ouverte, accueillante au bonheur, le mien et celui des autres.
Par bonheur le bonheur n’est qu’un état sinon il s’affadirait. Reste qu’en ce moment lorsque je sors du bonheur j’ai honte de mon bonheur. Le siècle où je suis né n’a pas été avare d’horreurs, de monstruosités et de Malheur. Le Nouveau, opulent, flamboyant, sans frontières, voit se côtoyer des « bonheurs indécents » et des « malheurs ordinaires », au plus près de nous comme dans des petits morceaux de notre pays ou en de vastes pans du monde. Je suis donc colère contre mon bonheur. Le seul antidote à ce feu intérieur impuissant : le cri du poète !
« Prière Rogue »
« Gardez-nous la révolte, l’éclair, l’accord illusoire, un rire pour le trophée glissé des mains, même l’entier et long fardeau qui succède, dont la difficulté nous mène à une révolte nouvelle. Gardez-nous la primevère et le destin. »
René Char 1948 Recherche de la base au sommet