Lorsque j’entends certains cavistes déclarer qu’ils dispensent des cours d’œnologie à monsieur et madame tout le monde je sors ma sulfateuse et je dézingue : c’est ridicule. Pour autant je ne me sens nullement œnophile dans la mesure où l’exercice d’une dégustation professionnelle en tant qu’amateur de vin, au sens d’aimer le vin, ne me passionne guère. Ce positionnement, qui se révélait être un non-positionnement, faisait que jusqu’ici j’errais dans un no man’s land lexical qui permettait à certains d’ironiser sur ma capacité à chroniquer valablement sur le vin. Sans jouer les ramenards, afin de ne pas m’attirer les foudres des grands dégustateurs, je me gardais bien de faire remarquer que la plupart d’entre eux n’avaient acquis leur titre qu’à la force de leur plume sans jamais avoir eu à faire la preuve de la réalité de leur compétence affichée. Sauf peut-être, même si ce genre de sport m’interroge, les meilleurs sommeliers de… Pour l’œnologie il y a un diplôme : le DNO, pour l’œnophilie queue d’chi et c’est heureux.
Cette solitude incertaine du sans-papiers, d’apatride du vin, ne m’empêchait guère de dormir mais, comme le disait en son temps Mgr Marty, ça m’interrogeait. Trop de singularité nuit. Et puis j’ai ouvert le livre du grand œnologue Émile Peynaud, « Le Vin et les jours » qui, en homme sage, commence par écrire « il faut définir les mots tant que les pages sont blanches » et je suis tombé sur un mot qui me va bien : œnomane car il associe oeno tiré de oinos vin à μανία, mania « folie ». Bien sûr, les puristes de la langue vont m’objecter, que ça sonne comme manie, obsession, donc personnifie le gus ou la nana qui ne pense qu’à ça, ce qui n’est pas mon cas bien sûr. Je me vis œnomane comme je me sens mélomane avec l’opéra, au pur instinct de la passion amoureuse qui enflamme, vous fait basculer dans le plaisir, l’extase. L’amour ne s’intéresse pas aux détails, les ratiocineurs ceux qui décortiquent tout pour prétendre ensuite aimer ne sont que des calculateurs, de simples comptables de leurs sentiments. Dieu qu’ils sont souvent pédants, chiants, ennuyeux et parfois même arrogants ces poseurs de mots sur tout vin y compris. L’amour se prête mal au discours, il est du domaine de l’intime, du ressenti intérieur, point trop n’en faut dans l’affichage. Et puis, une passion peut toujours en cacher une autre ou même beaucoup d’autres, le grain de folie peut se nicher dans les multiples pans de notre vie. La passion unique c’est comme la pensée unique, une forme d’enfermement qui fait que très vite on tourne en rond dans son pré-carré et le risque est grand de devenir chèvre.
Bien sûr, loin de moi l’idée de contester à qui que ce soit la liberté de s’exprimer, d’écrire sur le vin, de parler du vin, ce que je fais quotidiennement, mais lorsque l’on se risque à écrire ou à causer du vin de quelqu’un, là, c’est une autre histoire et que ça se complique. Le monde du vin dans toutes ses composantes s’est forgé un langage commun et c’est heureux (voir ICI link) mais pour autant son utilisation exclusive en direction de ceux qui ne cherchent pas à mettre des mots sur leurs émotions, simples buveurs en quête de plaisir pour qui le vin est un ami de passage accompagnant leur repas ou leur conversation sur le terrasse d’un café, n’est pas de bonne politique. Même si je rabâche, mais mes vieux professeurs m’ont appris qu’il faut savoir pour enfoncer un clou lui frapper régulièrement sur la tête, l’enjeu est d’importance car la transmission, jusqu’alors familiale, des codes du vin, passe par d’autres canaux dont bien évidemment ceux de la Toile, ses blogs, ses réseaux sociaux. Nos communicants du vin, n’étant pas de grands inventifs, se contentent de décliner de longs tunnels, sur la cuvée ceci ou le millésime cela, qui font grands plaisirs à leurs commanditaires mais qui tombent des mains des pékins.
En me déclarant comme œnomane au Grand fichier des Écrivins je me place dans la position de celui qui dit aux gens du vin, un peu au nom de ceux qui se contentent d’ aimer le vin tout simplement, sans pour autant être leur porte-parole, soyez tous des POUDOU ICI link, donnez nous envie, les vins, les vôtres ou ceux que vous aimez pour les avoir dégustés et appréciés, nous parlerons tout seul dans notre langage, tenez-vous prêts tout de même à répondre à nos questions, même les plus stupides, à nous éclairer, mais de grâce ne nous prenez pas trop la tête avec la géologie, les tables de tri en gants blancs et la cuisine des barriques, vos références et tout votre saint-frusquin. Ce qui est pénible, pour celles et ceux qui, comme moi, c’est de n’entendre parler que de ça. Quand je sors écouter Ernani de Verdi je n’ai nul besoin que l’on me raconte sa vie, son œuvre et pire encore, d’entendre un Alain Duault pérorer sur la tessiture de la cantatrice. Les musicologues sont chiants. Ma plaidoirie pour l’œnomanie est celle d’un tendre amoureux du vin qui n’a nulle envie que des grands prêtres ou même des fées tiennent la chandelle au-dessus de ses ébats.
Dictionnaire du diable d’Ambrose Bierce. Définition de connaisseur qui pourrait illustrer ce billet: « Connaisseur n. Spécialiste qui sait tout à propos d'une chose et rien à propos de tout le reste. »
Un vieil amateur de vin avait été sérieusement blessé lors d'une collision ferroviaire, un peu de vin lui fut donné à boire pour le ranimer. « Pauillac 1873, » murmura-t-il dans son dernier soupir. Merci Olivier.