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5 janvier 2011 3 05 /01 /janvier /2011 00:04

Au basculement de l’année, beaucoup de médias traditionnels nous bassinent avec des rétrospectives sur les évènements de l’année morte. Pas question ici de nous adonner à cet effeuillage et de verser dans l’empilement des catastrophes. Simplement, puisque chaque jour arrive de nouveaux venus sur cet espace de liberté je me propose, de temps à autre, de leur offrir un échantillon de mes écrits anciens. La quintessence bien sûr, la crème de mes chroniques, et pour commencer je vous propose, afin que certains puissent mieux comprendre le mystère de ma grande saga du dimanche commencée le 7 novembre 2006, deux chapitres écrits en fin d’année 2006. Ils relatent un haut fait de ce fameux mois de mai 68 qui par bonheur a fait couler beaucoup plus d’encre que de sang. Bien évidemment tout cela est pure fiction... Tout à la fin de cette chronique de haute portée littéraire un super Bonus à ne pas manquer. 

 

« Le Comité de grève, réuni dans la salle des professeurs, recevait le Doyen, Claude Dupond-Leborgne, flanqué de quelques professeurs, ceux qui ne s'étaient pas tirés, d'un paquet de maîtres-assistants et d'assistants penchant plutôt vers notre bord. Nous avions convoqué le Doyen – avec la dose de grossièreté qui sied à une assemblée dont c'était le seul ciment – pour vingt heures, afin qu'il prenne acte de nos exigences. Pas question de négocier avec lui, même si nous n'étions d'accord sur rien, sauf de maintenir la mobilisation, il devait bouffer sa cravate. Sans protester, le Doyen et son dernier carré avait tout avalé. Tous arboraient le col ouvert, le tableau était pathétique. Tous à plat ventre, même Salin, l'un des futurs thuriféraires des papes de l'Ecole de Chicago nous donnait du cher collègue. Mais si eux étaient pathétiques nous, nous étions lamentables. Nous pratiquions une forme très primaire de langue de béton brut mal décoffré, grisâtre, granuleuse, du genre de celle qu'on utilise pour se lester avant de se jeter à la baille un jour de désespoir sans fond. « Sous les pavés, la plage...» Nous étions à cent lieux de la poésie de nos graffitis.

 

Vers onze heures, face à l'enlisement, je pris deux initiatives majeures : ouvrir en grand les fenêtres – le nuage de notre tabagie atteignant la cote d'alerte – et proposer une pause casse-croûte. Pervenche, avec son sens inné de l'organisation, à moins que ce fusse son atavisme de fille de chef, nous avait fait porter par le chauffeur de son père – sans doute était-ce là une application directe de l'indispensable liaison entre la bourgeoisie éclairée et le prolétariat qu'elle appelait de ses voeux – deux grands cabas emplis de charcuteries, de fromages, de pain et de beurre, de moutarde et de cornichons, de bouteilles poussiéreuses de Bordeaux prélevées dans la cave de l'hôtel particulier de la place Mellinet. Rien que de bons produits du terroir issus de la sueur des fermiers des Enguerrand de Tanguy du Coët, nom patronymique de mon indispensable Pervenche. Quand au Bordeaux, le prélèvement révolutionnaire s'était porté sur un échantillon représentatif de flacons issus de la classification de 1855. Face à cette abondance, la tranche la plus radicale du Comité hésitait sur la conduite à tenir : allions-nous nous bâfrer en laissant nos interlocuteurs au régime sec ou partager avec eux notre pitance ? Ces rétrécis du bocal exigeaient un vote à bulletins secrets. A dessein je les laissais s'enferrer dans leur sectarisme.

 

Sans attendre la fin de leur délire je sortais un couteau suisse de ma poche, choisissais la plus belle lame et tranchais le pain. Face à ce geste symbolique le silence se fit. De nouveau je venais de prendre l'avantage sur les verbeux, leur clouant le bec par la simple possession de cet instrument que tout prolo a dans sa poche. Eux, l'avant-garde de la classe ouvrière, à une ou deux exceptions près, en étaient dépourvus. Dupond-Leborgne étalait sur sa face suffisante un sourire réjoui : il exhibait un Laguiole. Je lui lançais « au boulot Doyen, le populo a faim ! » Spectacle ubuesque que de voir, notre altier agrégé de Droit Public, embeurrer des tartines, couper des rondelles de saucisson, fendre des cornichons, façonner des jambons beurre avant de les tendre à des coincés du PCMLR ou à des chtarbés situationnistes. Nous mâchions. Restait le liquide et là, faute de la verroterie ad hoc, nous séchions. Se torchonner un Haut-Brion au goulot relevait de la pire hérésie transgressive dans laquelle, même les plus enragés d'entre nous, ne voulait pas tomber. Que faire ? Face à cette question éminemment léniniste, nous dûmes recourir à l'économie de guerre, c'est-à-dire réquisitionner les seuls récipients à notre disposition soit : trois tasses à café ébréchées, oubliées là depuis des lustres ; deux timballes en fer blanc propriété de deux communistes de stricte obédience qui les trimballaient dans leur cartable, un petit vase en verre soufflé et quelques gobelets en carton gisant dans une poubelle.

 

Muni de cette vaisselle vinaire hétéroclite, après avoir donné un peu d'air aux grands crus, je procédai d'autorité à une distribution équitable. Le doyen, toujours aussi ramenard, délivrait de doctes appréciations, faisant étalage de sa science de la dégustation. A ma grande stupéfaction, un panel représentatif de l'orthodoxie prolétarienne, fit cercle autour de lui pour gober ses lieux communs. Magie du vin, la perfusion des nectars de haute extraction dans de jeunes veines révolutionnaires et, dans celles plus obstruées, des mandarins, déliait les langues, attisait l'esprit, donnait de la légèreté aux mots. Ils fusaient. L'euphorie montait. Le professeur Salin abandonnait Milton Friedmann en rase campagne pour raconter des histoires salaces. Ma Pervenche, seule femme dans ce marigot de mâles enivrés, subissait les assauts conjugués de Dieulangard, le Spontex, et du doyen que j'avais surpris, quelques minutes auparavant, en train de siffler les fonds de bouteille. Nous étions tous pétés. A la reprise de la séance, sur proposition de Jean-Claude Hévin, un assistant famélique, spécialiste du droit de la Sécurité Sociale, le principe du passage automatique en année supérieure fut voté à l'unanimité. A la suite de ce vote historique, le doyen se levait pesamment pour porter un toast, en dépit de son verre vide, « au succès du plus grand mouvement populaire du siècle... »

 

Ce soir-là, Pervenche et moi, rentrâmes à pied. Nous devions distiller nos excédents avant d'aller dormir. Le ciel de mai était pur, l'air tendre et nous fîmes une longue pause sur les pelouses bordant l'hippodrome du Petit-Port. Couchés sur l'herbe, le nez dans les étoiles, Pervenche ayant posé sa tête sur mon ventre, nous étions restés un long moment silencieux. Même si mon alcoolémie voguait encore sur des sommets, ma lucidité restait intacte, vive, et je pressentais que ma compagne, qui ne quémandait que des caresses tendres, attendait de moi autre chose que l'expression animale de ma virilité. Ayant grandi dans les jupons des femmes j'ai développé un sentiment, dont on dit qu'elles sont supérieurement dotée, l'intuition. Ce sont des ondes fines, un faisceau sensible, comme une petite musique intérieure qui vous rend réceptif, prêt à accueillir et comprendre même l'indicible. L'autre le sent, s'ouvre, se confie et j'entendais Pervenche me dire « Benoît, j'aime les filles... »

- Tu en aimes une en particulier ?

- Oui.

- Elle le sait ?

- Non.

- Alors, dis-lui...

- Non !

- Tu crois que ce n'est pas réciproque ?

- Oui...

- Tu en es sûre ?

- Oui !

- D'où tires-tu cette certitude ?

- Parce que c'est Anne Sautejeu...

- Non !

- Si !

- Mais c'est la reine des fafs de la Corpo...

- Je sais Benoît mais je l'aime...

L'irruption brutale dans ma petite tête bien pleine, de l'absolue irrationalité de l'amour avec un grand A, me propulsait dans une abyssale attrition.

 

Ce matin encore un super bonus vous est offert avec une chronique comme vous n'en trouverez nulle part ailleurs : Le Dr Charlier a-t-il accouché la Vierge Marie ? François Morel en direct de Bethléem sur France-Inter répond. Clicquez !  http://www.berthomeau.com/article-le-dr-charlier-a-t-il-accouche-la-vierge-marie-francois-morel-en-direct-de-bethleem-sur-france-inter-repond-64255366.html

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