Le petit monde du vin français bruit, s’ébroue, ricane, tempête parfois, même les plus anciens servants de la cérémonie pestent contre de quasi-délits d’initiés, les Primeurs de Bordeaux sont, selon l’obédience à laquelle on se rattache, le dernier lieu où il faut avoir été vu ou le seul lieu où il ne faut pas poser ses Richelieu bien astiquées. Moi, au risque de surprendre, ça m’étonne et ça m’enchante à la fois, car les défilés des grands couturiers ou les grandes foires d’Art Contemporain, qui sont du même tonneau : tout un petit monde, plein de cercles concentriques, qui s’agite, se congratule, se déteste, fait du buiseness, font les délices des grands médias et des consommateurs devant leur écran plat. Ce n’est que du bruit et, bien sûr, du commerce. Peu importe au grand public ce que les top-modèles faméliques portent sur leurs fesses fermes ou ce qu’un Jeff Koons expose à la FIAC ou à la Grande Foire de Bâle, jamais au grand jamais la mémère ou la bimbo se mettra ce bout de tissu sur son popotin, elles se contenteront d’acheter le dernier parfum ou un sac fabriqué en Chine siglé du grand couturier. Le masculin vaut aussi. Quand aux œuvres d’Art Contemporain il faut avoir le poids d’un Pinault ou d’un Arnault pour s’y frotter et les badauds de la FIAC eux se contenteront d’ersatz au prix fort (pour eux bien sûr).
J’ai déjà commis quelques chroniques sur ce beau sujet :
- Haute couture, haute cuisine, haute vitiviniculture... sommes-nous en train de péter plus haut que notre cul? link
- Post-scriptum à ma chronique de samedi : pour être respecté et admis parmi l’élite il faut avoir, et aimer avoir, des vins dans sa chambre forte link
Cette antériorité critique me permet d’assumer les 2 jours que je vais passer aux Primeurs de Bordeaux. Pour moi, qui ne suis qu’un petit chroniqueur observateur, j’estime qu’un « correspondant de guerre » doit être sur le théâtre des opérations. Bien sûr je comprends certains anciens baroudeurs, qui n’aimaient rien tant que le privilège d’être reçu dans les châteaux, beaux discours, belle vaisselle, bonne chère et grands vins, le bonheur de se sentir happy few, s’irriter de se voir traiter maintenant comme les quasi dernières roues du carrosse. Dans le monde impitoyable des affaires, comme le souligne François Mauss, à propos de la place de Bordeaux, ce sont les notes de Parker qui comptent pour ceux qui font le buiseness. Tout le reste n’est que fioritures. Pourquoi s’étonner que si on ne fait pas la cote on n’a plus la cote. C’est ainsi, comme dans l’Art Contemporain où Paris place mondiale a été ravalée au rang de petite banlieue par New-York et les nouvelles places des pays émergents, les prescripteurs ne sont plus les experts mais les marchands au sens large (d’ailleurs les grands experts de nos musées nationaux l’ont fort bien compris, ils sont passés pour certains de l’autre côté de la barrière).
Ne voyez, dans mes propos, aucun cynisme mais simple volonté de dire, d’affronter une réalité que certains peuvent juger déplaisante ou contraire à leur éthique. Pour les illustrer, plutôt que de vous livrer à nouveau mes analyses, je vous propose un texte et une piste de réflexion sur ces Nouveaux Riches, en croissance exponentielle, qui jettent leur argent par les fenêtres pour le plus grand bénéfice de ceux qui le ramassent.
Le Messi* n’a pas de prix
« Les patrons de la Bank of China me reçoivent au sommet du gratte-ciel qui leur sert de siège mondial, la tour IM Pei. Nous sommes huit traders à attendre dans le salon adjacent à la salle de réunion. Huit concurrents, chacun à la tête des départements quantitative trading des grandes banques occidentales : des armées de matheux à la recherche de l’équation parfaite, celle qui permet de prendre des positions gagnantes au rythme de la nanoseconde. D’habitude, nos clients nous traitent comme des prix Nobel. Pour la première fois de ma vie, j’ai le sentiment d’être une poule de luxe guettant le client libidineux. J’attends mon tour. Ma passe.
Les Chinois nous font défiler avec chacun quinze minutes chrono pour les convaincre. Ils sont sept alignés derrière une table. Ils portent le même costume noir. Je lance ma présentation Power Point : une succession de diagrammes et d’équations stochastiques.
- Do you have questions ? dis-je, après le dernier slide.
Après un silence, l’un d’eux, siégeant au milieu de la rangée, opine du chef.
- How much ? dit-il.
Je tends le projet de Tern Sheet préparé par la banque et détaillant les modalités de l’augmentation de capital.
- No, no. How much for you, working for us ? demande-t-il en pointant un doigt vers moi.
Il aligne des chiffre sur sa carte de visite puis me la tend comme une offrande, des deux mains:
- Réfléchissez vite, Monsieur. Nous aimons travailler efficacement.
Et il me désigne la porte. Je sors en tenant de compter le nombre de zéros inscrits sous son nom pour me débaucher. »
Comment j’ai liquidé le siècle Flore Vasseur éditions des équateurs
* Lionel Messi joueur argentin du Barça, ballon d’or, joueur de football le mieux payé du monde ( le sportif le mieux payé étant Tiger Wood le golfeur noir américain)
Quelques pistes de réflexions :
Stephen Bertman désigne par les expressions « nowist culture » et « hurried culture » la façon, en français « culture du maintenant » et « culture de l’instant », dont nous vivons dans notre type de société où le consumérisme devient liquide, fluide, où le consommateur se transforme lui-même en marchandise, se dissous dans l’océan de marchandises. Dans la monotonie du gris, dans le flux de l’argent l’activité de consommation incessante est perçue comme le seul moyen de s’élever au-dessus de m’invisibilité et de l’insignifiance.
« Certes dans la vie « nowist » des citoyens de l’époque consumériste, les raisons de s’activer tiennent en partie à l’envie d’acquérir et de collecter. Mais le besoin le plus urgent, celui qui rend la précipitation impérative, est néanmoins la nécessité de jeter et remplacer. Quiconque s’encombre de lourds bagages, et en particulier de ceux que l’on hésite à abandonner pour des raisons d’attachement sentimental ou à cause d’un serment de fidélité prononcé imprudemment, n’a pour ainsi dire aucune chance de réussir. »
« Le premier album de Corinne Bailey Rae – chanteuse de 27 ans, originaire de Leeds et signée par EMI – est devenu disque de platine en à peine quatre mois. C’est un cas rarissime : accéder ainsi au vedettariat après un bref passage au sein d’un groupe de rock indépendant, et u poste de préposée au vestiaire dans un Soul Club. Une probabilité guère plus grande, si ce n’est encore moindre, que celle de remporter la cagnotte du loto (notons au passage que des millions de tickets de loto sont vendus chaque semaine). « Ma mère est institutrice, déclara Corinne dans une interview, et quand elle demande à ses élèves ce qu’ils veulent faire plus tard, ils répondent « être célèbre ». Alors elle leur demande pourquoi, et ils lui disent : « Je ne sais pas, pour être célèbre, c’est tout. »