« Conservez ! » était le « Ne quittez pas ! » des standardistes vendéennes et ce matin je le reprends à mon compte pour vous exhorter à lire cette chronique qui en dit bien plus que beaucoup de discours sur le handicap des vins languedociens d’aujourd’hui, leur défaut de notoriété se lamente-t-on. Ils reviennent de loin.
En 1953, notre Replongeard, venant de Paris « arrive à Carcassonne à six heures trente-deux. Il a troqué sa Terrot « 100 » pour une « 125 » et il va entamer son périple dans le plus grand vignoble du monde afin d’y rencontrer, non des vignerons, mais des gens de plumes.
Dumay évoquant le sculpteur Bourguignon Pompon, installé dans un hôtel, qui n’en finissait pas de fignoler la copie d’une statue, raconte le secret de ce zèle excessif « la patronne n’excellait pas qu’à la cuisine. Belle chère et chair consentante, que fallait-il de plus à un Bourguignon ? » embraye dur « L’anecdote peint 2 provinces : la Bourgogne où, même en présence de la mort, on ne pense qu’à la vie et le Languedoc, triste terre ensoleillée. Son plus grand poète, Valéry, a chanté un cimetière. Brûlée de soleil, au cœur d’une rose des vents qui n’a pas d’équivalent en France, ravagée par les passions et les guerres civiles, cette terre refuse la joie. »
Pour faire bon poids, le Replongeard note aussi que « Le Languedoc et le Roussillon ont été longtemps des provinces creuses. En huit siècles de vie française, on n’y voit pas presque pas d’écrivain. On a cherché des explications : le français n’est pas la vraie langue du Midi, les persécutions contre les Albigeois ont détruit l’élite, le climat engage à la paresse... »
Et le vin dans tout ça ! Même si un vieux Languedocien lui fait cette remarque « Notre pays est sec, mais il est heureusement irrigué par trois fleuves : le Vin, la politique et l’Opéra. » sur les 208 pages de Ma route de Languedoc, jamais Dumay ou presque n’évoque le fait qu’il ait bu un verre de vin. C’est étrange mais si représentatif de cet océan de vignes dont le vin, coupé avec celui de l’Algérie, n’est que dédié à la consommation populaire.
Bien sûr, au détour d’un chapitre, notre Replongeard évoque le vin, mais si peu.
Seul Limoux sauve l’honneur « Nous devons à Limoux deux produits connus : la blanquette, vin blanc délicat, un peu sucré et les romans de Magali » et c’est grâce à Joseph Delteil, natif de Pieusse, que notre Bourguignon nous avouera boire. « Delteil s’arrête, sourit, redevient humain, très humain.
- Vous boirez bien un verre de blanquette ? C’est le vin de mon pays, mais celui-ci est fabriqué ici. (l’entretien se passe à Montpellier).
Nous allons chercher à la cave une bouteille au verre épais.
- Elle ne vaut pas celle de Limoux, bien que ce soit les mêmes plants. Je crois que c’est à cause du climat.
Delteil ne boit qu’une goutte de ce vin doux. Je m’aperçois alors qu’il ressemble à Gandhi. »
C’est tout, même si tout à la fin, en évoquant le village gardois d’Aramon
« nom qui sonne médiocrement aux oreilles des buveurs », Dumay à trois belles pages sur l’Ordre de la Boisson. J’y reviendrai dans une prochaine chronique car il ne faut que je vous habitue à trop de riches nourritures matérielles. Joignant le geste à la parole je vous convie à lire la première visite de Dumay au poète Joë Bousquet.
« Nous étions à la fin août 1940. J’étais venu d’Agde à vélo, à travers les vignes qui croulaient sous les raisins. La France flottait comme une banquise détachée du pôle et cherchait à jeter quelques ancres. L’une d’elles tomba au milieu de la chambre de Bousquet, sur le lit qu’il n’a pas quitté depuis qu’en 1916 une balle allemande lui immobilisa la colonne vertébrale. Aragon, Benda, Paulhan, Mistler, René Nelli, d’autres écrivains et quelques dames étaient là. Au moment où j’entrai, Joë Bousquet parlait de sa chance et de la prédiction d’une cartomancienne alors qu’il était élève-officier à Saint-Maixent : il devait à un grave accident de pouvoir réaliser sa vocation. »