Notre zinc, en provenance de Zurich, se payait un retard non chiffré. Au-delà de deux heures d’attente tout mon beau plan risquait de s’effilocher : nos gardes-chiourmes allaient s’apercevoir de notre absence. Ce petit con d’Ernesto, excité comme un pou, pelotait le cul de Jeanne sans se soucier de la pudibonderie de nos amis communistes. Le cocktail devenait explosif. Je décidais de faire diversion : « Jeanne, il est où ton placard à balais ? » Eberluée elle se libérait des pognes révolutionnaires pour me désigner du doigt une porte de service. « Embarque ton bouc et suivez-moi ! » Jeanne obtempérait en empoignant le bras d’un Ernesto dont la lubricité se devinait sous la ceinture de son jean moulant. Notre équipage, pourtant voyant, n’éveillait aucun intérêt du troupeau qui attendait fébrilement l’arrivée de notre aéronef comme on dit dans le langage de l’IATA. Le réduit sentait le renfermé avec une pointe de crésyl. Ernesto semblait avoir compris le but de la manœuvre car il débouclait prestement son ceinturon. Je l’interrompais avec une certaine violence tout en l’interpelant en anglais « Tu travailles pour la CIA petit con ! » Ernesto ne feignait même pas la surprise, il opinait. Jeanne qui se préparait au pire tombait des nues « Mais comment tu sais ça toi ? » Connement je prenais un air supérieur « Une petite visite domiciliaire chez ton « amant des Andes » m’a permis de découvrir, dans la doublure de sa valise, un beau passeport vert à ses nom et prénoms... » Jeanne balbutiait « Mais alors tout ton beau plan n’a existé que grâce aux ricains... » J’acquiesçais en ajoutant « Je me suis contenté de mettre mes pieds là où il fallait... »
« Baise-moi ! C’est nerveux » Agitée par un rire cataclysmique Jeanne relevait sa jupe. Ernesto, résigné, passait ses petits doigts boudinés sur sa chevelure luisante. Je laissais Jeanne se délester de son minuscule slip avant de lui avouer « Désolé mais je ne suis pas en état » C’était faux, je triquais comme un cerf un soir de brame mais l’heure n’était pas à une partie de jambes en l’air même à but thérapeutique. Alors, face à un Ernesto chaud bouillant, Jeanne entreprit de se masturber sans aucune espèce de retenue. Même si ça peu vous paraître incroyable, invraisemblable, ce fut ainsi. Réfugiés avec deux espions en peau de lapin dans un placard à balais de quelques mètres carrés, derrière le rideau de fer, Jeanne s’octroyait un orgasme d’enfer mais silencieux face à un petit chilien qui s’épandait, marquant son jean d’une superbe auréole. En remontant son bout de dentelles au long de ses beaux compas de sportives elle me confiait sans rire « Tu as bien fait de me mentir, grâce à toi, pour la première fois, je viens de comprendre ce que jouir veut dire... » Derrière notre porte le timbre aigu d’une voix annonçait, dans un anglais guttural, que notre vol SAS 2050 était annoncé pour la demi-heure qui suivait. Je tendais mon mouchoir de Cholet à Ernesto « essuies-toi ducon et va faire un tour aux toilettes avant d’embarquer sinon tu vas nous offrir tes fragrances de bouc mal lavé. Mon humour le chagrinait mais il m’obéissait.
Notre retour au milieu des passagers, tous ou presque debout pour assister à l’atterrissage de Mac Donnell Douglas, s’apparenta à un non-évènement. Jeanne s’accrochait à mon bras avec une violence inouïe. Elle murmurait d’une voix blanche « Tu me largues où ? » Pour la rassurer je me faisais tendre, attentionné « Nulle part, ma grande, nous sommes en voyage organisé alors confions-nous à la main de Dieu... » Ernesto nous rejoignait la queue basse. Ses collègues chiliens, grands amateurs de Pilsen, avachis sur les banquettes, somnolaient la bouche ouverte. Sur le tarmac les passagers en provenance de Zurich, une petite vingtaine, en file indienne, comme crachés par le gros tube d’acier, progressaient en direction du hall d’accueil. Un camion-citerne allait se placer près du flanc droit de notre Mac Donnell. Dans une petite demi-heure nous devrions être en bout de piste, prêt à décoller. Sauf évènement de dernière minute l’opération « extraction de Jeanne du guêpier » se solderait par un succès. Dans cette affaire j’avais pleine conscience que, même si j’avais eu de bonnes anticipations, l’essentiel des initiatives, des décisions venaient d’ailleurs. Dans le monstrueux panier de crabes des Services opérant dans le Berlin coupé en deux, Jeanne et moi n’avions été que des marionnettes entre les mains plus ou moins expertes, plus ou moins bien intentionnés, d’une foultitude de gens bossant pour des maisons à succursales multiples. Dans cette noria, cette vis sans fin, l’important restait l’instinct de survie. Ne jamais se laisser à croire que la situation se trouvait sous son propre contrôle. Toujours se mettre dans la peau des manipulateurs. Je commençais à devenir un bon expert en coups tordus.