Parce que je pestais contre les faux-vendangeurs en voyage de presse, mon cher taulier, qui a de la suite dans les idées, m’avait mis sous le nez une vieille chronique de derrière les tonneaux d’octobre 2009 sur les oubliés de la vigne :
« Dans les gazettes spécialisées, les commentaires, les livres, le vin est magnifié et ceux qui le font encensés mais rares sont les journalistes, les experts, les écrivains qui trempent leur plume dans la sueur pour écrire sur le labeur des hommes et des femmes dans la vigne. Avec le retour en force des méthodes ancestrales certains s’intéressent plus aux chevaux qu’à ceux qui les mènent.
Bien sûr, certains me feront remarquer que chez beaucoup de vignerons ou de vigneronnes, leurs mains vont du cep au vin, ils font tout ou presque par eux-mêmes mais, là encore, les mots du travail de la vigne, qui sont bien plus précis que ceux dont on emberlificote le vin, sont rarement exprimés. Sans vouloir en revenir à René Bazin ou à Joseph de Pesquidoux pourquoi diable ce non-dit, cette absence d’empathie pour ces gestes du soin de la vigne ?
Je ne sais, sauf à croire que les urbains n’ont de la campagne qu’une vision bucolique qui leur fait protester contre le chant du coq ou certaines odeurs – celle du fumier épandu par exemple – lorsqu’ils se retrouvent dans leur costume de résident secondaire. Sans vouloir jouer à celui qui sait, puisque j’ai les mains blanches, mes origines et mes 3 heures de travaux pratiques par jour à l’école d’agriculture, m’ont toujours rendu sensible à la pénibilité de certains travaux.
Paradoxalement, c’est un écrivain, qui vit actuellement dans le Médoc, Éric Holder, qui dans un roman bref – c’est sa spécialité me dit-on – Bella Ciao, m’a inspiré cette chronique. Son histoire est celle d’un mec qui picole et qui se fait jeter par sa femme. Il veut en finir mais l’océan le dessoûle et le voilà qui se retrouve, passé le rideau de pins devant des vignes. Pour vivre, il trouve un contrat de 100 jours chez Franck Pottier qui « fournit depuis 1968 le prestigieux domaine de M, en carassons, des piquets de vigne. » Les Pottier sont aussi propriétaires du château Cantara un « cru artisan » qui ambitionne à la qualification de « cru bourgeois ». Thérapie par le travail dans les vignes, c’est autre chose que celle de notre « ami » Chabalier. L’homme ne s’attendrit pas sur son sort. Le roman est assez inégal mais le narrateur a manifestement mis les pieds et les mains dans les vignes. (la suite link )
À peine remise de mes émotions j’ai reçu cette lettre d’une apprentie tractoriste en Gironde :
Mademoiselle Marie,
« Dans la viticulture, les femmes, qui représentent pourtant la moitié des salariées sont cantonnées aux petits boulots et aux petites façons, qui n’ont de « petites » que le nom, car ce sont généralement les travaux les plus dur.
Les discriminations qui frappent les femmes semblent d’un autre âge et se déclinent jusqu’aux avantages en nature : des indemnités de logement de moitié pour les femmes ou des « primes de vin » moindres… Il subsiste encore dans le monde du vin de Gironde un parfum de féodalité teinté d’une bonne dose de machisme. J’entends souvent dire « Atteler et conduire un tracteur, c’est un métier d’homme… vous allez vous casser un ongle… vous n’avez pas assez de muscle…
Croyez-vous que bosser dans les vignes soit un métier qui vous permette de vous faire les ongles ou de faire les chochottes comme les parisiennes qui font trois petits tours dans les vignes et puis s’en vont ? Non, notre dos est mis à rude épreuve pendant les longues heures courbés au-dessus des ceps ou lors des travaux éprouvants comme l’épamprage : nettoyer la vigne des rameaux encombrants), ou celui de « tirer les bois » (arracher les sarments après la taille, ce qui nécessite de forcer quand les sarments sont coincés dans les armatures en fer).
Je ne vous écris pas pour qu’on nous plaigne mais pour que notre travail soit reconnu à sa juste valeur et que nous puissions continuer à évoluer professionnellement. Si je l’ai fait c’est que je vous sais attentive à ceux qui participent à leur modeste niveau à la naissance des grands vins. Beaucoup de nous sont dans des statuts précaires : sur les 60 000 salariés de la production agricole de Gironde, seuls 14 250 sont permanents, 95 00 sont à temps partiel et 42650 sont saisonniers.
Je suis bien consciente qu’une partie de la viticulture girondine souffre et qu’il ne faut pas se laisser aller à la mettre dans le même sac que celle des GCC mais nous ne demandons rien de plus qu’un peu de considération… »
La suite de la lettre est plus personnelle…
Ça donne à réfléchir et c’est pour cela que j’ai décidé d’informer ceux qui jouent aux grands reporters dans nos vignes. Pourquoi ne prennent-ils jamais le temps d’écrire que les gens du vin sont aussi celles et ceux qui travaillent au jour le jour dans nos vignes. Qu’on ne vienne pas me dire que je suis démagogue et que je joue la compassion à bon compte. Non je dis sans pour autant partager le monde entre les bons et les méchants. La réalité dérange mais l’affronter ne peut que faire du bien à ceux qui refont le monde en chambre. Ces gens de peu existent et leur travail, qui vaut autant que le nôtre, mérite autre chose que de l’indifférence. Bien sûr je sais que de mettre en lumière l’apprentissage de tractoristes de 5 vigneronnes de 28 à 41 ans ça fait pas beaucoup de buzz sur Facebook ou sur blog le M…