Je laisse les hommages officiels, qui vont tomber comme à Gravelotte, aux communiqués officiels, pour vous confier ma tristesse de voir partir l'un des nôtres.
Bon vivant Claude Chabrol l’était je peux en témoigner pour avoir eu la chance de dîner avec lui en petit comité lors d’un Festival d’Avoriaz. Gérard Brémond, avec sa malice habituelle, avait composé un tour de table très peu conventionnel. La discussion fut animée, j’en prenais pour mon grade puisque j’étais « la gauche au pouvoir » et Claude Chabrol, bon coup de fourchette, ne crachant pas sur le jaja, prenait un malin plaisir à prendre ma défense face à mes contradicteurs virulents. Nous avons passés une merveilleuse soirée, Chabrol ne se prenait pas au sérieux, ses yeux pétillaient derrière ses grosses lunettes, il savait attendre le bon moment pour placer ses traits plein de saveur et d’à propos. Il ne se prenait pas pour un génie, il avait encore une âme d’enfant un peu polisson. Comme le dit si bien Depardieu « Il avait cet amour de la nourriture, du partage, cet esprit drôle, il avait tout, il avait l'histoire du cinéma, la passion, il avait aussi l'enfance, il avait le rire, il avait aussi le plaisir »
Pour goûter du Chabrol à l’état pur lisez ce texte de lui datant du 3 mars 2003, mis en forme par Alain AUFFRAY et de BAECQUE Antoine et Vanessa SCHNEIDER, où il décortique – les jeunes diraient décalque – JP Raffarin le 1ier Ministre de l’époque puis la classe politique en général.
C’est féroce !
C’est du Chabrol !
C’est décapant !
Moi j’aime.
Allez Claude, bon voyage, à la revoyure, en attendant avec les bons vivants nous allons nous offrir un « Poulet au Vinaigre » en buvant de bons coups à ton repos que l’on dit éternel...
Le personnage Raffarin décortiqué par Claude Chabrol:
«Il a une gueule, mais on ne sait pas de quoi»
Pour Claude Chabrol, la vie politique est un spectacle, animé par des acteurs plus ou moins convaincants.
Il apprécie particulièrement Jean-Pierre Raffarin, notable de province et personnage chabrolien.
Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre de la France d'en bas, vous le trouvez comment ?
Il me ravit, c'est celui qui me plaît le plus parmi les nouveaux. Ce qui m'intéresse dans un cas comme Raffarin, c'est de voir à quel point il a dépassé son niveau de compétence. On se demande quand la vérité va éclater.
Finalement, je constate qu'il peut tenir quelque temps. Je lui donne un an. Ces raffarinades sont de moins en moins bonnes, c'est de plus en plus Monsieur Prudhomme.
Certaines ne veulent rien dire, j'espère qu'il va y avoir un recueil ! «La pente est forte, la route est droite...», c'est tellement con !
Après un certain temps, on se dit : «Ça va comme ça, tu as fait tes trois tours de piste, maintenant, au boulot !»
Là, il fait un tour de piste supplémentaire. Mais on va arriver au moment où le clown ne fera plus rire. Bientôt, il sera prié de sortir.
Aurait-il pu être un personnage de vos films ?
Oui, car il a un côté rusé. La seule chose qui me fait penser qu'il n'est pas si rusé que ça c'est qu'il veut faire très matois, mais quand on l'est vraiment, on a tendance à le cacher.
Il n'est pas mal comme acteur. Il a de la tchatche.
En même temps, il a un côté très soumis, il caresse le Medef dans le sens du poil, il cède sur la réforme de l'ISF.
Il a une adresse dans l'expression mais une maladresse dans l'action. Il a très astucieusement cultivé le type provincial.
Pourtant il a, lui aussi, tenté la conquête de Paris quand il avait 25-26 ans. Il a essayé mais a échoué, il n'a pas été le meilleur élève, alors il s'est contenté de la province et il est retourné en Poitou-Charentes.
Je lui conseillerais, s'il veut vraiment raffiner dans le côté notable de province, de trousser une ou deux bonnes vite fait bien fait et éventuellement de trouver une maîtresse dans une ville voisine, à La Rochelle, par exemple.
Si j'avais un matois à mettre dans un film, je choisirais un type dans son genre. Ou peut-être lui-même, quand il ne sera plus président du Conseil.
Vous dites président du Conseil !
C'est sans doute parce qu'il cultive ce côté bon temps de la IVe. Il me rappelle le petit père Queuille (Henri Queuille, président du Conseil entre 1948 et 1951, ndlr), ça fait un bout de temps !
Il avait un peu le même physique, et ce côté «laissons du temps au temps», «le bon sens près de chez vous».
Le physique de Raffarin est formidable, il a un côté maquignon, la tête coincée dans les épaules. Il a une bonne tête de face, mais il est inquiétant de profil.
Il a intérêt à ne pas trop se montrer de profil. Il a une vraie gueule, mais on ne sait pas une gueule de quoi.
Moi, j'ai une tête d'oiseau, lui, c'est difficile à dire : un peu taureau, mais pas tout à fait.
Vous faites de la morphopsychologie...
Je crois assez à la gueule des gens. Ça m'a rarement trompé. Jacques Crozemarie, par exemple, je ne lui ai jamais donné un rond parce que je trouvais qu'il avait une sale gueule.
Les politiques sont à peu près évidents. Quand on les voit, on voit ce qu'ils sont. Jospin le psychorigide, ça se voyait sur son visage.
Pareil pour Chirac, la grande gidouille qui tourne au vent.
Les élus qui sont proches du FN, les Millon, Soisson, Blanc et consorts, on les reconnaît à leur visage. On ne leur achèterait pas de voiture d'occasion.
Sarkozy est intéressant, mais, c'est comme à Michel Jobert, il lui manque 15 centimètres. Mitterrand c'était la taille minimum, en dessous, c'est pas possible.
Dans votre film, Nathalie Baye incarne une candidate à une élection municipale. Vous avez un modèle ?
La coiffure de Nathalie Baye est une imitation de celle de Michèle Alliot-Marie quand elle se présentait à la tête du RPR.
On a fait très attention, on a beaucoup travaillé sur la manière de s'habiller, les tailleurs très stricts et les corsages qui font très légèrement ressortir les nichons pour montrer qu'on est femme malgré tout, malgré un look pas très dans le vent.
Pourquoi constitue-t-elle votre héroïne de la politique ?
Parce qu'elle veut sortir de chez elle, c'est souvent comme ça chez les notables de province.
Le vrai ambitieux c'est son adjoint. J'avais suggéré Jean-François Copé (porte-parole du gouvernement, ndlr) comme modèle. Mon fils Thomas, qui joue le rôle, a préféré Renaud Dutreil (secrétaire d'Etat aux PME, ndlr).
Il m'a signalé qu'il mettait quarante-cinq minutes pour se faire faire son brushing, ça veut dire que les politiques y passent aussi beaucoup de temps.
Quel temps perdu pour la France ! C'est du travail de comédien.
Les politiques sont fous d'embêter les intermittents du spectacle, car eux-mêmes en font partie sans le savoir !
Et le Pen, c'est aussi du spectacle ?
Ah, Le Pen ! Sur Le Pen, je ne peux pas être totalement objectif.
Je l'ai vu faire tellement de conneries (Le Pen et Chabrol se sont côtoyés à la faculté de droit, ndlr) que je ne peux pas croire qu'il représente un danger.
Fallait voir sa tête le 21 avril, on voyait qu'il se disait : «Mon Dieu, combien ça va encore me coûter cette connerie ?»
Je n'ai pas voté au second tour de la présidentielle car je ne voyais pas de véritable risque et je pensais qu'un 80 % à Chirac serait plus gênant qu'autre chose.
La politique serait devenue une affaire de casting ?
Oui, car les véritables questions politiques sont indéchiffrables et incompréhensibles pour la plupart des gens.
Il n'y a plus de lutte des classes, il n'y a plus d'ennemis, plus de vrais combats idéologiques, alors c'est l'apparence qui compte.
Nous, les votants, on ne peut pas faire autre chose que de choisir sur la gueule des gens.