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12 septembre 2010 7 12 /09 /septembre /2010 02:09

« Vous devriez prononcer un toast... » le patron de l’hôtel me prenait de court. Je balbutiais pour m’esquiver « Je suis désolé mais je ne parle pas un mot d’espagnol... » Son sourire se fendait plus encore et il se rengorgeait « Je me ferai un plaisir de vous traduire señor... » Chloé pouffait « Mieux qu’un toast mon beau, torche nous un beau discours à la française, ça ne peut que faciliter tes ambitions d’obtenir les faveurs de ceux qui tremblent dans leur falzar... » Résigné je me levais, plus exactement je me redressais avec solennité, m’écartais légèrement de la table puis, d’un geste large et lent, j’élevais ma coupe à hauteur de mon visage et, en un lent mouvement demi-circulaire, je balayais l’espace qui me faisait face. Tout le personnel de la salle me contemplait avec dévotion. Chloé mutine vint se placer à mon côté. Je paniquais et un fin liseré de sueur glacée me labourait le flanc. Face à moi, deux pas en avant, le patron de l’hôtel semblait en lévitation. Je me lançais en contemplant le maigre plateau à fromages recouvert d’une cloche qui trônait sur un guéridon :

 « Chers amis chiliens,

Pendant la seconde guerre mondiale Winston Churchill affirmait, à propos de la  France, avec son humour britannique, qu’«Un pays capable de donner au monde trois cents fromages ne peut pas mourir», ce à quoi le Général de Gaulle rétorquait : «On ne peut pas gouverner un pays qui possède 365 variétés de fromages». Les français sont des gaulois, querelleurs, hâbleurs, mais aussi dès qu’il s’agit de passer à table de bons vivants... »

Le patron agitait sa main droite frénétiquement pour que je m’arrêtasse pour qu’il puisse traduire ma première envolée. En l’écoutant, sans comprendre, je me disais que j’allais devoir raccourcir mes phrases. Chloé vint à son secours sur le nombre des fromages.

Je repris. « La France se glorifie aussi d’être le pays du vin et comme celui-ci est le frère du fromage permettez-moi de chanter leurs louanges. Comme l’amour ils sont capricieux, changeant suivant le jour, l’heure, la saison ; comme pour les femmes il faut savoir les savourer dans leur plénitude, accepter leurs fragrances capiteuses ou fortes, les humer, j’oserais même dire les caresser... »

La traduction tira tout d’abord un léger murmure puis des applaudissements jusque du côté des tables les plus éloignées. Chloé me contemplait avec un réel étonnement.

« Reste, chers amis chiliens, à accorder leur forte personnalité, tout mariage précipité serait gage de bien des déboires futurs, un fromage de haut goût pourra servir de héraut d’armes au grand seigneur qui arrive mais si vous servez un vin délicat comme une jeune fille en fleurs gardez-vous bien de l’étouffer sous des parfums boucanés ou des senteurs viriles de corps de garde... »

Mon traducteur en traduisait s’enrouait et ses yeux s’embuaient. Des murmures approbateurs m’incitaient à conclure vite afin de garder l’avantage.

« Talleyrand disait que les larmes du Gruyère plaisaient au Pommard comme au Corton, et moi qui suis un jeune turc, je puis sans sourciller affirmer qu’un grand Brie de Meaux, en souvenir du grand Bossuet l’aigle de Meaux, ne peut affronter qu’un grand Margaux ou un sublime Latour... »

Mon traducteur appréciait mais l’attention du public faiblissait face à mes références bien trop savantes.

Conclure donc, vite « Alors chers amis chiliens en levant cette coupe de ce merveilleux vin de Champagne venu jusqu’en votre beau pays pour clore un très bon repas je n’ai qu’un seul mot à célébrer : liberté ! »

Applaudissements nourris. J’étais en nage. On m’entourait. Le Krug me ravigotait et je me laissais aller à serrer des mains flanqué de mon traducteur qui me recouvrait de brassées de fleurs cueillies sur les bouches de ses subordonnés. Un peu las je cherchais Chloé dans la masse et, ne la voyant pas je me mis à sa recherche en m’extirpant de la bienveillance collante de mes admirateurs qui avait surtout retenu le mot liberté dans mon adresse que je trouvais le temps passant d’une prétention absolue. Chloé était assise à une table et conversait avec deux types affichant les trente ans et un port de buste militaire, engoncé et maniéré. Quand elle m’aperçut son regard tenait de l’ordre auquel je devais me soumettre. D’une démarche que je voulais assurée mais qui se révélait hésitante je me portais à la hauteur de la table. Chloé me présenta ses deux interlocuteurs : un lieutenant-colonel de l’armée de terre aide de camp d’un général de l’état-major dont j’ai oublié le nom, et un colonel proche collaborateur du général Augusto Pinochet. Je m’inclinais légèrement sans leur serrer la main. Précision d’importance, Chloé me présenta à eux comme le fils d’un important hiérarque proche du président Pompe, en l’occurrence mon ancien Ministre le bel Albin Chalandon. La fête commençait fort et bien plus vite que prévue. Mon discours sur les vins et les fromages se révélaient être un leurre d’une grande efficacité, comme quoi verser dans la grandiloquence passait aux yeux des étrangers comme le sceau le plus marquant des Français.     

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