Dans mon bestiaire personnel la chèvre occupe une place particulière. Nous l’avions baptisé : Grisette – pas très original certes mais ça lui allait bien au teint – lorsque toute petiote mon grand frère Alain l’avait gagné comme lot à la tombola du FC Mothais. Elle était un peu farouche mais j’adorais sa petite langue râpeuse me léchant les doigts de pied. En dépit d’une forte résistance de ma sainte mère grâce à la complicité de ma mémé Marie je convainquis la maisonnée de la garder en assénant un argument massue : « puisque mon frère part au Service Militaire pour 18 mois je me dois de la lui élever... » Comme à cette époque le contingent partait en Algérie pour « maintenir l’ordre » j’avais touché la corde sensible. J’aurais du faire de la politique. Bref, je lui construisis une cabane, genre les 5 petits cochons, avec des bottes de paille et j’allais lui couper du lierre dont elle raffolait. Elle grandit en se dotant d’une belle paire de cornes. Moi j’avais 9 ans. Un beau matin la mémé Marie déclara qu’il fallait mener Grisette au bouc car elle était en chaleur. Mes connaissances en matière de reproduction des humains frisaient le zéro pointé alors qu’en revanche pour les animaux de la ferme j’étais imbattable. Mon préféré étant le jars avec sa queue en tire-bouchon. Nous partîmes à pied pour la Louvrenière distante de 3 km pour que ma Grisette étanche sa soif de plaisir. Sentir le bouc est un euphémisme, la bête empestait, puait et lorsque nous ressortîmes après leurs ébats j’avais l’impression d’avoir vidangé la fosse d’aisance. Grisette nous fit deux chevreaux mais comme elle était dotée d’une mamelle totalement asymétrique : un gros trayon genre vache et un tout petit genre zizi vermicelle mémé Marie la trayait et nous nourrissions les chevreaux au biberon. Ça créé des liens je vous assure et lorsque vint l’heure de la boucherie je décrétai « Que nenni ! » Ma mère fut intraitable : les deux bestiaux braillant tous les cris d’enfants que l’on égorge partirent se faire exterminer. Je fis le serment de ne jamais toucher de toute ma vie à de la viande ce chevreau. J’ai tenu parole. Et pendant ce temps-là Grisette donnait son lait à la mémé Marie. Je détestais le lait sous forme de boisson mais j’adorais les laitages et les fromages. Toujours à mes petits soins mémé Marie emprésurait le lait de Grisette qu’elle égouttait ensuite dans un moule à trous et je consommais ce fromage frais avec du sucre.
Mon second contact étroit avec cette fois-ci le fromage de chèvre date d’un épisode peu connu de ma longue carrière : en 1978 je fus pendant 9 mois « Monsieur Vin du Loir-et-Cher. J’officiais le samedi et le dimanche. Ma fonction consistant déjà à porter la bonne parole au peuple vigneron d’un département plus porté sur le Vin de Table que les Appellations. C’est à cette occasion que je fis mes premières dégustations de jury de concours : l’horreur absolue mais j’étais vaillant. Ma seule consolation c’est que dans la vallée du Cher, du côté de Selles-sur-Cher, le fromage de chèvre commençait à se tailler une belle réputation et je ramenais des petites cagettes de petits chèvres bien vieux, bien secs, tout rabougris, violacés que j’appris à apprécier. J’habitais rue Mazarine dans le VIe tout près du Petit Zinc dont le vin fétiche était le VDQS du Haut-Poitou produit par une coopérative du même nom dont le directeur était un certain Raffarin, Gérard de son prénom. C’était un Sauvignon fort gaillard qui se mariait très bien avec mes petits chèvres tout ronds, genre palets, que je croquais tels quels quand me prenais une petite faim. Cette connexion avec le Poitou allait trouver un nouveau débouché lorsque siégeant au cabinet du Ministre de l’Agriculture je fus aux prises avec le « harcèlement » d’une jeune femme très accrocheuse, Ministre de l’Environnement de son état, qui en pinçait sec pour le Chabichou. Qu’est-ce qu’elle a pu nous enfler avec son Chabichou même qu’un jour j’ai du expédier séance tenante un chef de service sur ses terres deux-sévriennes pour assurer ses chers électeurs que la future appellation se pointait à l’horizon. Pauvre François ! (lire si vous avez envie de secrets d’alcôve ma chronique « François fais ta valise ! » link
Donc vous comprendrez aisément que je suis ce matin parfaitement en droit de vous interpeler : hormis ce breuvage haut-poitevinesque sauvignonesque dont je n’ai plus licher une seule goutte depuis une éternité quel vin verriez-vous accompagner mes vieux petits chèvres secs ? J’en appelle à votre science des accords mets-vins pour que pour une fois vous rétribuiez mon labeur quotidien. Par avance je vous en remercie.