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2 mars 2011 3 02 /03 /mars /2011 00:09

Chère Françoise,

 

Si ce n’était vous jamais je ne me serais autorisé une telle liberté mais puisque viennent d’être publiées les « Mémoires d’un paysan », mémoires posthumes de Jean Pinchon, votre époux, le temps est venu pour moi d’écrire que vous êtes une grande amie. Bien sûr c’est par Jean que nous nous sommes connus. Il était Président de l’INAO et moi grouillot au cabinet de Michel Rocard 78 rue de Varenne. Très vite nous devînmes, chère Françoise, deux grands amis, complices, toujours alliés dans les discussions vives et passionnées qu’affectionnaient Jean, autour des grandes tables de votre maison d’Epaignes au Bosc-Carré, ou le soir chez Georges près de la Porte Maillot entre nous trois. Fine, cultivée, rebelle, non-conformiste, passionnée, curieuse de tout, je partageais avec vous de nombreux territoires et, à l’image de Montaigne et de La Boétie, si on me pressait de dire pourquoi cette immense amitié, je répondrais « je sens que cela ne peut s’exprimer » avant d’ajouter en marge, par deux fois « parce que c’était vous », puis d’une autre encre « parce que c’était moi ».

 

Rappelez-vous Françoise, dans nos discussions sur la religion, la Vendée, ma Vendée crottée et confite de religion, revenait souvent sur le tapis. Jean l’avait découverte en des circonstances dramatiques « À la mi-juin*, nous apprenons que les Allemands, et, 6 heures avant leur entrée dans Selles, nous partons affolés : à presque 15 ans, je dois conduire une voiture. Nous roulons sans nous arrêter jusqu’à la Guitardière de Nesmy, tout près de la Roche-sur-Yon ; là, nous observons, malgré le tragique de la situation, l’agriculture vendéenne, et nous nous rendons compte que bien des paysans français sont en retard par rapport à nous (...) À la Guitardière, nous sommes 17, toute la famille s’étant repliée là : même la gouvernante nous a suivis. L’armistice est signé et nous vivons les évènements au jour le jour. » Ce fossé entre deux mondes, si proches et si lointains, ne sera jamais réductible et il expliquera le sens de nos trajectoires et marquera nos constructions intimes. (* 1940)

 

Plus que tout la mort ferme à jamais les plis et replis de nos cœurs et de nos mémoires. Dans son livre Jean nous confie sa vérité et comme l’écrit dans sa préface Edgard Pisani « un homme est ce qu’il est. Un homme est ce qu’il fait. Il est accompli lorsque son action exprime son être. » De toutes les qualités reconnues à Jean, la plus indestructible était son indéfectible sens de l’amitié. C’est sur ce roc que nous nous sommes brisés. Nos personnalités ne pouvaient s’accommoder de demi-mesures et, quelle que fut la douleur de notre éloignement, je sais tout ce je lui dois et je n’ai jamais renié son affection. Par deux fois, Michel Rocard Premier Ministre a proposé à Jean de devenir Ministre de l’Agriculture : en mai 1998  lors de sa nomination par François Mitterrand réélu et c’est ainsi qu’il m’appela le soir même pour me dire « Jacques vous auriez été mon Directeur de Cabinet, maintenant il ne vous reste plus qu’à rejoindre Henri Nallet. » Ce que je fis. Puis, comme il l’écrit « Lorsqu’en octobre 1990, le Premier Ministre  Michel Rocard et son directeur de cabinet Jean-Paul Huchon me proposent de succéder à Henri Nallet qui quitte le Ministère de l’Agriculture et devient Garde des Sceaux, je refuse, car j’ai le sentiment que le monde rural a trop changé depuis l’époque où j’ai commencé de le servir, près de quarante ans auparavant, en entrant à la FNSEA ; et puis, je pense aussi en moi-même ce que je me disais enfant quand mes parents me conduisaient au cirque : « La musique est colorée et brillante, mais le trapèze est dangereux. » Je n’ai donc jamais été son Directeur de Cabinet mais je partage avec lui un grand privilège : avoir été Directeur de Cabinet d’un Ministre de la Ve République sans être fonctionnaire. Je me suis contenté, pour lui faire plaisir, de lui succéder au BNICE, Interprofession du Calvados, et ce ne fut pas ce que je fis de mieux dans ma vie.

 

Mais, chère Françoise, si j’ai pris la liberté, certains diront l’impudeur, d’écrire ce que je viens d’écrire, c’est que dans son livre Jean parle de vous. Il est rare que les grands chênes entrouvrent leur écorce. Jean le fait et son hommage est juste et plein d’une sincère admiration à votre endroit. Mes chers lecteurs me pardonneront j’en suis sûr de ne pas publier les pages où Jean parle de ses 21 années passées à la tête de l’INAO. Je joins à cet envoi une photo où je suis à votre gauche Françoise. Elle a été prise en décembre 1991 dans l’Aveyron, chez Germaine à Aubrac, la reine de l’aligot où nous partagions le pain et le sel avec André Valadier l’homme du renouveau du fromage Laguiole.

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Jean écrit à la dernière page de ses Mémoires « Me voici donc arrivé au terme de ma vie. Pendant un peu plus de 80 ans, j’ai été un homme heureux, parce que j’ai fait ce que j’ai voulu : élève à l’Agro, je ne voulais pas être un fonctionnaire carriériste, et effectivement, je ne le suis jamais devenu ; je n’ai jamais cessé d’apprendre, d’avancer. À 25 ans, j’ai eu la chance de rencontrer Françoise qui est devenue mon épouse et qui a vraiment partagé ma vie ; je regrette beaucoup de l’avoir sacrifiée, car, en lui demandant de quitter la librairie de Pierre Berès, je l’ai contraint à renoncer à une activité qui la passionnait pour élever nos trois enfants, Laure, Jean-Gustave, Alexis, si attachants dans la diversité de leurs caractères, leurs multiples qualités et leur affection pour moi malgré le peu de temps que j’ai pu leur consacrer et qui est un de mes profonds regrets. Grâce à Laure, j’ai un petit fils, Christopher, que j’aime beaucoup et qui, je l’espère, aura une belle vie.  »

 

Françoise, comme Jean j’ai eu la chance de vivre une belle vie. Lui comme vous, mais vous encore plus que lui, vous en avez fait partie. Recevez, chère Françoise, ma sincère amitié.

 

Jacques

 

 

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