Tout a commencé en 2007 et votre Taulier, toujours sur le pont, ici le béton, chroniquait le 5 juillet 2007 sous le titre « vin de béton » :
BB a encore frappé. Notre homme, il s'agit de Bernard Bled, devenu directeur de l'EPAD (établissement public de la Défense) après avoir officié comme Secrétaire-Général de la Mairie de Paris, où la cave sous sa houlette recelait des trésors de grands vins aujourd'hui dispersés à la suite d'une vente aux enchères, vient de faire planter 10 ares de vigne sur la dalle de béton en bas de l'esplanade, juste au-dessus du tunnel qui mène à l'autoroute 14.
Vignes du Clos de Chantecoq, La Défense (92), août 2010, photo Alain Delavie link
Selon notre homme « c'est une initiative symbolique pour donner une autre image de la Défense et insister sur son caractère humain et convivial ; preuve que le béton n'est pas antinomique avec la qualité de vie. Et quoi de plus symbolique que la vigne pour revenir aux sources ? Il y a la terre, l'homme et le fruit de son travail »
C'est beau comme du Millet à la sauce post-moderne assaisonné par la com qui sait faire enfler les mots comme la grenouille de la fable. Pour ajouter au caractère bucolique de cette « opération d'image » la vigne a été baptisé « Clos du Chantecoq » du nom de la butte autour de laquelle fut édifiée la Défense en présence d'Anne Roumanoff et de Bernard Laporte. Très people donc notre clos de béton.
Sur le plan technique l'opération a été mené par « La rue des Vignes » société spécialisée dans la plantation et l'entretien de vignes en Ile-de- France. » la suite ICI où j’ironisais grave.link
Comme tout le monde j’avais gobé le baratin de ce cher Bernard Bled comme quoi, « il avait fallu importer de la terre : 800 m3 venant de Bourgogne, soit 80 cm de profondeur, déposés sur une couche de pierre de lave destinée à drainer les excès d'eau… » La réalité est plus commune puisque je lis sur le site du clos Chantecoq qu’il « est planté dans un sol francilien rapporté du nord de Paris, près de Roissy. »
Qu’importe aujourd’hui, en effet, à La Défense, la vigne est toujours en place composée de 350 pieds de Pinot Noir et de 350 pieds de Chardonnay sur dix ares.
Un pari incroyable fait de prouesses techniques
- Le sol possède de bonnes qualités physiques et chimiques et repose sur une couche de scories volcaniques (Pouzzolane) permettant le bon écoulement de l’eau en excès. La spécificité de la plantation sur l’Esplanade réside dans la profondeur du sol peu importante (1 m environ). L’évolution de ce sol est régulièrement suivie afin de prévenir tout appauvrissement préjudiciable à la vigne, situation fréquente en viticulture de qualité.
- L’environnement urbanisé favorise le stockage de la chaleur en journée et sa restitution la nuit, encourageant la précocité de la vigne et la maturité des raisins. En outre, la bonne ventilation du site ainsi que la présence d’une faible végétation contribue à une pression modérée des maladies cryptogamiques de la vigne.
- La vigne du Clos de Chantecoq doit prendre en compte deux difficultés majeures : le déficit d’ensoleillement et l’excès d’eau dans le sol du fait d’une pluviométrie moyenne élevée sur la période de maturation des raisins. Une démarche qualitative met en œuvre toutes les orientations visant à compenser le déficit d’ensoleillement et l’excès d’eau dans les sols.
- Des orientations viticoles et des pratiques culturales adaptées à l’Ile-de-France luttent contre l’humidité et les excès de l’eau qui freinent la maturation des raisins, développent les maladies telles que le mildiou, l’oïdium et la pourriture grise, et rendent les vins moins riches et moins structurés. Ainsi, la vigne du Clos de Chantecoq a un bon drainage du sol et bénéficie d’un enherbement permanent qui puise prioritairement l’eau en excès dans le sol. La vigne doit plonger davantage ses racines dans le sol colonisant ce dernier de façon plus qualitative, devenant ainsi moins sensible aux variations climatiques.
- La vigne du Clos de Chantecoq présente une forte densité de plantation comme dans les situations de grands crus en Bourgogne ou à Bordeaux. Elle est plantée à raison d’un pied au mètre carré. La quantité de sol dont dispose chaque pied est réduite, limitant ainsi l’eau disponible dans le sol. Culminant à 1m50 du sol, le palissage haut permet d’établir une grande surface foliaire. Cette grande quantité de feuillage va participer à l’assèchement du sol par la transpiration foliaire.
- La vigne connaît un ébourgeonnage et un effeuillage réguliers. L’objectif est d’étaler au maximum le feuillage sur le plan de palissage pour une photosynthèse optimale. Cependant, l’entassement de la végétation est réduite par des ébourgeonnage-épamprages réguliers (suppression des jeunes rameaux en excès). Cette opération vise à réduire le microclimat humide, favorise l’aération des raisins et donc leur assèchement rapide après les pluies.
Une légitimité historique
Il y a quelques siècles à peine, La Défense était une petite colline à l’ouest de Paris, une simple butte blottie au creux d’un méandre de la Seine. Son nom, la butte de Chantecoq, évoquait des vignes réputées, un belvédère tranquille à proximité de la forêt de Saint Germain.
La viticulture a constitué pendant près de vingt siècles une activité économique prépondérante en Ile-de-France. Depuis le Moyen Age et jusqu’au XVIIIe siècle, le vin parisien était considéré comme un produit de qualité servi à la Cour de France. La suite ICI link
C’est le vigneron Alexandre Golovko, épaulé par quatre membres de sa famille, qui vendange cette vigne.
Un terrain indigne pour des cépages aussi prestigieux ?
« Pas vraiment: le couloir d'air parfaitement axé entre la place de l'Etoile et la Grande Arche s'avère plutôt bénéfique, car le vent chasse l'humidité après la pluie. Et la vigne bénéficie de la chaleur emmagasinée par la dalle de béton, qui constitue son unique sous-sol. »
Alexandre Golovko voit dans ces pieds, « une vitrine, une sorte d'hommage au vignoble français », dont la proximité avec la ville, « a priori contre-nature, s'avère plutôt harmonieuse ».
En 2013 il déclarait « Ce sera un vin ultra-naturel. Sans aucun artifice technique et sans retouches: on ne joue ni sur l'acidification, ni sur les enzymes. »
Une fois mis en bouteilles, le Clos de Chantecoq n’est pas destiné aux circuits de vente traditionnels. Le propriétaire du Clos Defacto, l'établissement public chargé de l'animation et de la gestion du site, le distribue à des associations locales ou en fait l'objet de ventes caritatives.