Cette année je m’émancipe. Je joue solo, ou presque. Petite auto louée avec difficulté à l’aéroport de Bordeaux – mon secrétariat, c’est-à-dire moi-même, faisant tout au dernier moment, les loueurs ne me proposaient que des camionnettes – adjonction d’un GPS et me voilà engagé dans ma campagne « primeurs ». Mon temps étant compté j’ai décidé de ne pas me coltiner, comme l’année passée, tous les podiums proposés par l’Union des Grands Crus Classés : Smith Haut Lafitte (pour les Graves et Pessac-Léognan), Beau Séjour Bécot (pour les Saint Emilion), Gazin (Pomerol), Cantemerle (Médoc, Haut-Médoc, Moulis, Listrac), Desmirail (Margaux), Batailley (Pauillac, Saint-Julien, Saint-Estèphe), Dauzac (Sauternes, Barsac). Donc programme à la carte sous un ciel plombé qui balançait des seaux d’eau à tout propos.
Même si je ne suis pas un adepte du golf, même si les aventures de ce pauvre Tiger Wood contraint par la bien-pensance étasunienne à subir une cure de désintoxication de son addiction au sexe – belle piste pour nos « amis » de l’ANPAA toujours à la recherche de galette pour arrondir leur fonds de commerce – m’ont passionné, j’estime que la notion de handicap s’applique assez bien à mes parcours dégustatif. En effet, le Scratch Score Standard permet d’évaluer la difficulté d’un parcours : en clair pour un joueur possédant zéro de handicap si le SSS est inférieur au par, le parcours est considéré comme facile et, si le SSS est supérieur au par, le parcours est répété difficile. Si vous n’avez rien compris tant pis ma comparaison n’ayant d’autre objectif que d’illustrer ma position de dégustateur systématiquement sous le par.
Comparaison n’étant pas très souvent raison je ne remettrai pas sur le feu mon projet d’évaluer les « dégustateurs » qui a déjà fait un flop en 2006 avec une chronique « Agence de notation » http://www.berthomeau.com/article-4052466.html, flop amplifié par la crise financière qui a largement discrédité ce type d’institutions. Pour revenir à moi-même, ce qui en soi est un vaste programme, face aux podiums des GCC je suis bien démuni. En effet, beaucoup de mes éminents collègues dégustateurs patentés, dont l’ami Michel Smith qui qualifiait récemment, dans une chronique au vitriol, l’exercice de comédie http://www.les5duvin.com/article-la-comedie-des-primeurs-47330780.html, estiment que ce type de dégustation n’a pas lieu d’être car elle repose sur un produit en devenir. Vous vous doutez bien, eu égard à ma situation très nettement au-dessous du par, que je ne vais pas m’immiscer dans la contreverse. Cependant, les plus futés ou les plus perfides m’objecteront que, si je me rends en grandes pompes aux primeurs c’est que j’estime l’opération digne d’intérêt.
La réponse est, absolument oui ! Je m’en explique en vous posant une question : « à quoi servent les défilés de mode des grands couturiers à Paris ? » La réponse est d’une simplicité époustouflante : « à vendre des griffes ! » Qui pourrait, en effet, croire que toutes ces jeunes filles anémiques, avec leur démarche en double 8, leur hyper-sophistication, déambulent sur les podiums pour seulement présenter des vêtements improbables ? Personne, je l’espère ! Le but est de créer un évènement pour le buzz. Les « baveux » de stricte obédience s’assemblent au long des podiums en grappes, minaudent, cancanent, pérorent pendant que les télévisions absorbent comme des éponges leurs commentaires éculés pour soutenir leurs images convenues. C’est génial ! Le retour sur investissement, en dépit du coût des squelettes ambulants, est maximal. Alimenter la noria médiatique tel est le but de ce cérémoniel sans grande originalité. Pour pimenter l’opération, bien évidemment, quelques pincées de pur people aux premières loges donnent une touche supplémentaire (j’ai adoré la promotion du Raphael Einthoven cette année). C’est du commerce. C’est du buiseness. Je comprends parfaitement que les puristes se drapent dans leur dignité d’esthète outragé, mais, sauf à entrer dans les ordres et de se vêtir essentiellement d’une robe de bure et de sandales de moines, je n’ai pas de produit de substitution.
Donc, pour moi l’opération primeurs à Bordeaux est le support obligé de l’entretien et de la promotion de la griffe GCC, de sa notoriété. Le rituel et le cérémoniel des dégustations ne sont là que pour servir de trame et je trouve ça très bien ainsi. Comme disait ma mémé Marie « on n’attrape pas des mouches avec du vinaigre... » alors pourquoi diable, dans un monde où les amateurs poussent, dans des pays en plein boum économique, comme des champignons, se priver à Bordeaux de l’attrait des grands châteaux de Bordeaux ? Que ce soit de la frime, du snobisme, du je ne sais quoi, peu me chaut ! L’important dans l’affaire des primeurs c’est que les acheteurs de vin du monde entier fassent le déplacement. Sincèrement cher Michel ça n’enlève aucun client aux vaillants et méritants vignerons du Languedoc. Dans le grand opéra du vin français, qui a aussi des allures d’opéra-bouffe, la construction de la notoriété des uns ne passe pas par la minoration de la notoriété des autres. Notre intérêt bien compris, celui des vignerons en priorité, c’est que chacun de nos vignobles se forge, avec les moyens qui lui semblent les plus adaptés, ses codes et sa manière. Que nos amis bordelais insupportent certains d’entre vous je suis le premier à le reconnaître mais, pour autant, leur capacité d’attraction est un atout pour la France du vin.
Bref, mon périple au bord des podiums des primeurs s’est déroulé en 3 actes :
1- la dégustation Médoc au château Batailley en compagnie d’une vraie dégustatrice : Anne-Laurence, puis déjeuner dans les chais de Batailley en compagnie de l’œnologue Eric Boissenot ;
2- une dégustation « en ligne » de l’échantillonnage le plus complet des GCC primeurs dans un lieu tenu secret, puis cap sur l’extrême pointe du Médoc pour un dîner amical ;
3- le lendemain 3 rendez-vous : à Mouton avec Philippe Dhalluin, à Cos avec Jean-Guillaume Prats, à Palmer avec Thomas Duroux, ensuite quartier libre pour le « dégustateur imposteur en costume Victoire ».
Le contenu de mes notes attendu avec angoisse par la place de Bordeaux vous sera révélé ultérieurement, sans doute en même temps que la réalité de mon beau costume Victoire. Pour l’heure quelques notes d’ambiance de la plus haute importance :
- à Batailley j’ai discuté avec Philippe Casteja et le DG de la Caisse de Crédit Agricole d’Aquitaine Guy Château de mon projet de Fonds d’Investissement Vin. Je suis incorrigible !
- pour faire sourire Michel, comme j’adore les comédies avec les portes qui claquent, les maris trompés qui sortent par la fenêtre, les amants dans le placard à balais et la petite bonne qui a un chemisier échancré... je propose la scène suivante : le monsieur rentre chez lui fourbu d’une longue journée de dégustation primeurs et madame, soupçonneuse et jalouse, lui demande à brûle pourpoint : « montre-moi tes mains ! » puis « ouvre la bouche ! » et devant le côté immaculé des divers instruments dégustatifs de son époux légitime lui déclare « dans tes commentaires évite de parler de bouche tendue ça ferait jaser toute la place de Bordeaux ! »
- les 24 GCC Médoc de Batailley étaient presque tous de très belle tenue, parole d’expert !
- le déjeuner assis à Batailley était simple et de bon goût. Bravo ! Nous avons conversé
- au dîner l’omelette aux cèpes était succulente et j’ai passé avec bonheur le petit test des 2 vins carafés celui du propriétaire et un GCC, y'avait pas photo même pour un Ostrogoth de mon espèce ce qui aurait, sans aucun doute, ravi François le Débonnaire.
- le lendemain je me suis perdu dans Pauillac mais ensuite, une fois sauvé des eaux, j'ai pu converser avec Philippe Dhalluin, l'homme des châteaux de la grande maison Philippe de Rochschild, c'est ainsi que je fais ma petite pelote de chroniqueur. Merci pour l'accueil.
- J’ai croisé Caroline Notin à Mouton, heureusement qu’il y en a des qui travaillent eux... Goûté le Petit Mouton et le seigneur du lieu (j'avais goûté à Batailley Clerc Millon et d'Armailhac) oserais-je écrire sur le sujet ? Mystère, je réfléchis. Et si je devenais par la grâce de mon inconscience le Bob Parker made in France ?
- la discussion off avec Jean-Guillaume sur un de mes sujets favoris « la politique » me conforte dans l’idée que ma zone d’excellence se situe plutôt dans ce registre que du côté des GCC. Goûté les Pagodes de Cos et le Cos bien sûr. Voir les réflexions ci-dessus : mon imagination n'a jamais eu de limite est-ce que mon impudence les franchira ?
- ai croisé un lecteur lors de mon passage à Palmer, Thomas Duroux me semble représenter une génération qui saura ouvrir de nouvelles fenêtres pour le vin. Ai goûté Alter Ego puis le Palmer. J'ai beaucoup aimé l'approche de Thomas Duroux sur la conception de son second vin et nous sommes convenus de nous revoir. Peut-être que je vais franchir le pas
- à la Winery d’Arsac, rien que pour me faire pardonner auprès de Michel d’avoir joué la comédie des primeurs j’ai sifflé un verre de Bergeron de Savoie 2004 cuvée tradition de JP et JF Quénard de Chignin mais maman a du me faire les gros yeux d’en haut puisque je me suis tapé un steak frites alors que nous étions le vendredi saint...
- la suite de mon périple fait parti de mes petits secrets d'arpenteur de terroir en semelles de crêpe.
- au retour l’avion d’AF était plein et il pleuvait dru sur Paris...
à bientôt sur mes lignes... et si vous voulez lire des commentaires intelligents sur les Primeurs 2009, en attendant les miens qui eux seront ni fait, ni à faire, je vous conseille de lire sur Rouge, Blanc, Bulles : « Rencontre avec les 2009 » d’Anne-Laurence http://rougeblancbulles.blogspot.com