Je suis né en même temps qu’elle. Je suis né lecteur compulsif. Mon rêve de gamin être un des leurs. Lire, écrire, ne rien faire d’autre et bien sûr j’ai fait tout autre chose. Ne me demandez pas pourquoi, je ne vous répondrai pas sauf à vous avouer que je sauf à être un Chandler ou un Dos Passos, ce que je ne suis pas, je ne vois pas ce que j’aurais apporté à la littérature. Bref, je me contente d’une chronique.
« Marcel Duhamel, un ami des frères Prévert* et de Picasso, lance la Série Noire, après la guerre, avec deux Anglais qui n’ont jamais mis les pieds aux Etats-Unis, mais écrivent en américain, Peter Cheney et Chase. Sous la couverture noire et jaune, Pas d’orchidées arrive troisième, derrière la Môme vert-de-gris et Cet homme est dangereux, de Cheney»
* « C’est Jacques Prévert qui a trouvé ce titre génial, Série Noire. »
« Autour de Marcel Duhamel (...) une fine équipe de traducteurs, malins, agiles exigeants, étaient décidée à faire parler Chase, Goodis, Himes en argot français. Henri Robillot en fut, il traduisit en quatrième vitesse des classiques : Chandler, Hammett, Goodis. En tout, plus de cinquante titres. »
« Le style de la Série Noire n’a rien à voir avec l’argot de Simonin et Lebreton, deux cas à part, des Français qui introduisirent le grisbi et le rififi. Robillot admirait la langue de Céline et de Queneau, savante, swingante, le comble du raffinement, sous ses airs débraillés. Il allait au Lorientais écouter l’orchestre de Claude Luter, fréquentais Henri Crolla, copinait avec Mouloudji, aimait Bogart et Charlie Parker. Ses modèles : Hemingway, Mark Twain, Dos Passos. »
C’est lui qui parle « Oui, le style des romanciers américains est un mélange de plusieurs langage. Leur argot est très riche. Il correspond à des groupes ethniques, des professions des États, des métropoles, des quartiers. Les flics de Floride ne parlent pas comme les voyous de Chicago. Un jazzman de San Franscisco ne comprend pas un péquenot de l’Alabama. Nous devions éviter l’argot académique, hérité de Carco ou de Mac Orlan, la langue verte, le parler paysan. Malraux, Gide, Aragon, Giono, des écrivains si différents étaient des fans de la Série Noire. Notre public était cultivé, exigeant. »
L’auteur de Pas d’orchidées pour Miss Blandish, est né à Londres le 24 décembre 1906, cachait sous son pseudonyme (il en eut d’autres) James Hadley Chase un patronyme plus banal René Brabazon Raymond. Il ne se rendra en Amérique pour la première fois en 1965 et pourtant « il continuait à rêver son Amérique, grâce à des plans de villes et des guides, définissant une sorte de paysage mental où, implacablement, il menait d’une main de fer des intrigues surprenantes. »
Dans ses rares interviewes « Il dit aimer l’argent, la bonne chair et les vins de Bordeaux. C’est un gentleman d’un mètre quatre-vingts, le teint rouge brique, cheveux poivre et sel, moustache soignée. »
Chandler, lui, est bien américain « Et si vous allez jusqu’à Los Angelès, la ville des anges, travelos, amateurs de poudre, n’oubliez surtout pas le guide, Raymond Chandler, l’homme aux gants de coton blanc. Il y a vécu, déménageant sans cesse, et son héros aux noms multiples (Mallory, Carmady, John Dalmas) qui finit par trouver son identité, sous les traits de Philippe Marlowe, « l’homme complet, inhabituel, un homme d’honneur », y connut une existence fictive faite de mouvements et de filatures, de fuites de cavalcades et de dérives, résumés par le rictus d’Humphrey Bogart. »
« Nous devons 80% de nos idées et de notre style à Chandler. C’est le plus grand. Dans chacune de ses histoires, j’entends sa voix d’homme blessé à mort par la vie. Moi aussi, j’Moi aussi, j’essaie d’être toujours présent dans mes livres. » ED Mc Bain.
En 1948, Marcel Duhamel écrit ce qui restera longtemps « le manifeste de la « Série noire». Après plus de cinquante ans, ce texte reste d'une rare actualité.
« Que le lecteur non prévenu se méfie : les volumes de la « Série noire » ne peuvent pas sans danger être mis entre toutes les mains. L'amateur d'énigmes à la Sherlock Holmes n'y trouvera pas souvent son compte. L'optimiste systématique non plus. L'immoralité admise en général dans ce genre d'ouvrages uniquement pour servir de repoussoir à la moralité conventionnelle, y est chez elle tout autant que les beaux sentiments, voire de l'amoralité tout court. L'esprit en est rarement conformiste. On y voit des policiers plus corrompus que les malfaiteurs qu'ils poursuivent. Le détective sympathique ne résout pas toujours le mystère. Parfois il n'y a pas de mystère. Et quelquefois même, pas de détective du tout. Mais alors ?... Alors il reste de l'action, de l'angoisse, de la violence — sous toutes ses formes et particulièrement les plus honnies — du tabassage et du massacre. Comme dans les bons films, les états d'âmes se traduisent par des gestes, et les lecteurs friands de littérature introspective devront se livrer à la gymnastique inverse. Il y a aussi de l'amour — préférablement bestial — de la passion désordonnée, de la haine sans merci, tous les sentiments qui, dans une société policée, ne sont censés avoir cours que tout à fait exceptionnellement, mais qui sont parfois exprimés dans une langue fort peu académique mais où domine toujours, rose ou noir, l'humour. À l'amateur de sensations fortes, je conseille donc vivement la réconfortante lecture de ces ouvrages, dût-il me traîner dans la boue après coup. En choisissant au hasard, il tombera vraisemblablement sur une nuit blanche. »
Source : Les Terribles de Raphaël Sorin finitude
- Marcel Duhamel et son gang Le Monde, 21 avril 1985
- Les songes de Monsieur Chase Le Monde, 8 février 1985
- Raymond Chandler dans la Cité des Anges Le Matin, 30 novembre 1985
- Les yeux de Mc Bain Le Monde, novembre 1980