Je suis très bon public, les jeux de mots à deux balles me font rire et une certaine de dérision gentille m’enchante. Tout ça pour dire que j’aime les gens, dépourvus de moyens mais pourvu de beaucoup d’imagination, qui montent des évènements avec des bouts de ficelles. Plutôt que de s’en remettre à de beaux esprits extérieurs dont c’est le job nos géotrouvetout réfléchissent, se posent les bonnes questions, fabriquent de l’intelligence, font ! Tel est le cas de l’opération « Changer l’Aude en Vin » dont la dernière édition vient de se dérouler dans la Cité de Carcassonne. En son temps j’avais assisté à sa première en 2009 link mais comme ma petite entreprise a elle aussi des moyens limités je n’ai pu me rendre aux deux dernières manifestations. Mais à toute chose malheur est bon car grâce à mon statut de coopérateur – pardon Jean-Baptiste – dans les 5 du Vin la maison Berthomeau a pu fourrer son nez dans l’Aude du Vin. Un beau nez en l’occurrence, un de pro, un vrai dégustateur : le régional de l’étape, j’ai nommé Michel Smith.(Lire sa chronique link )
Et moi, pendant que Michel se régalait dans les travées de Changer l’Aude en Vin, relancé par un « Save the date » je me portais en fin de journée sur les grands boulevards pour participer m’avait-on assuré à un truc d’enfer. Précautionneux j’avais pris le métro et sur ses murs j’admirais l’audace des fils de pub qui proclamait à propos du camembert Le Rustique : « le goût de l’authentique » fabriqué au bon lait de printemps. Very Good pour un besogneux calendos industriel fabriqué au lait pasteurisé qui doit avoir un goût de printemps fort ténu. Mais comme je voguais vers des rives prometteuses je n’allais pas faire tout un fromage des entourloupes de vendeurs d’illusion. Arrivé sur les lieux d’un temple djeunes, DJ et tout et tout, je me voyais propulsé sur une banquette en compagnie de Michel Dovaz qui sous ses longs sourcils de neige me lançait des regards désespérés. Il s’esbignait vite fait. Je souffrais : mais qu’est-ce qu’était venu faire ce brave Corbières dans cette galère ? Séduire les jeunes, les détourner d’autres breuvages industriels. Intention louable mais ma voisine me demandait « où se trouvent les Corbières ? » Dans notre îlot de quelques vieux nous survivions. Bien sûr autour de nous des tables buvaient du Corbières mais à 3€ le verre ça devenait très attrayant par rapport aux tarifs habituels de l’établissement. C’est la suite qui m’interroge ? Je concède que ces jeunes pourront se dirent « après tout, ce vin est sympathique, d’un bon rapport qualité-prix » mais demain où le trouveront-ils ? Dans ce type de lieu : pour l’heure sûrement pas et pas à ce prix unitaire ; en faisant leurs courses : pourquoi pas mais je ne suis pas sûr qu’ils connecteront Corbières. J’avoue que je ne comprends pas bien le retour sur investissement pour le vin des Corbières de l’opération.
Le jeune vice-président chargé de la communication me posait la question de mon ressenti. Comme c’est un vigneron c’était du vin présenté dont il voulait parler. Que je sache tel n’était pas le but de notre invitation : nous étions là pour voir si la connexion avec les jeunes fonctionnait. Bien évidemment je n’ai aucun moyen de me prononcer au seul vu de ce que j’ai vu. Comme je l’ai écrit précédemment je reste dubitatif sur l’impact de cette opération sur la cible visée. Bien sûr je n’engage que moi mais l’image des Corbières me semble bien décalée par rapport à ce que cherchent les filles et les garçons qui fréquentent le Delaville Café sur le Boulevard Bonne Nouvelle. On ne se décrète pas tendance on le devient. Que l’AOC Corbières ait pour « ambition de sensibiliser et de séduire la génération des 20-35 ans » via l’Internet et les médias numériques me semble un défi intéressant mais, comme je l’ai écrit récemment, les Corbières se retrouvent ainsi en compétition dans un « Océan Rouge » où se pressent beaucoup de concurrents pourvus de moyens importants. Pour durer, pour se différencier, hameçonner durablement les jeunes consommateurs il est primordial de bien cerner ce que l’on est. En clair, la qualité du contenu du ou des messages prime sur la simple présence dans les tuyaux du Net. Le buzz ne se décrète pas, il se créé et encore faut-il avoir semé, être patient, pugnace et ne pas croire ou faire accroire que le nombre d’amis sur Facebook est le baromètre d’un retour commercial rapide.
Ma petite expérience de presque 6 années sur le Web du vin, sans autre moyen que le contenu de mes chroniques, ne me confère aucune supériorité d’un quelconque ordre mais me permet d’écrire qu’il ne faut pas mettre la charrue avant les bœufs, ne privilégier que la forme au détriment du fond – certes nécessaire mais nullement suffisante – et surtout avoir une approche trop générale : une tranche d’âge recouvre de fortes disparités sociales et économiques. Les jeunes, comme les seniors, ne sont pas des masses indifférenciées et qu’il y a des écarts énormes entre par exemple les jeunes du club de dégustation de Sciences-Po (ou d’autres grandes écoles) et la population qui fréquentait hier au soir le Delaville café. Même si ce que j’écris va hérisser les concepteurs, je n’en suis pas pour autant négatif. Je reste à ma modeste place de chroniqueur pour écrire que faire vaut mieux que subir mais de grâce « ne pensez pas à la place de ceux à qui vous vous adressez ». Comme j’aime à l’écrire mettez-vous dans la peau de John Malkovitch : les consommateurs, en fonction de leur âge, de leur statut, sont de drôle d’oiseaux pas toujours très faciles à cerner. Le Web, Facebook, Twitter où tout le monde s’agite, bouge pour, qu’au milieu du flux incessant, du trafic intense, ceux qui surfent vous remarquent. Y être, en être, ne suffit pas. L’important est de vraiment créer des liens qui démultiplient vos messages. Un réseau social ne sert à rien si le flux ne coule que dans un sens. (Lire ma chronique Réseaux sociaux : vous avez dit sociaux moi sur Facebook j’y retrouve la tyrannie du marché... link
Et pendant ce temps-là le sieur Michel Smith écrivait – je lui laisse bien évidemment l’entière responsabilité de ses propos – « Les directeurs de syndicats viticoles et d’inter professions, les présidents de tout et les édiles qui n’ont encore rien compris mais qui croient savoir, les journalistes grincheux et auto suffisants, toutes les têtes pensantes et savantes qui gravitent dans la sphère viticole à coups de dizaines de milliers d’euros l’opération « de prestige », tout le monde un tant soit peu amoureux du vin devrait venir chaque année à Carcassonne pour prendre une magistrale leçon de communication. Une leçon simple que l’on doit aux cerveaux de quelques vignerons en mal de reconnaissance qui se mettent ensemble, qui se plient en quatre avec enthousiasme pour se faire connaître et faire goûter leurs vins sans pour autant débourser des sommes colossales. Comme dirait Valérie Diotte, fidèle lectrice de nos pages : mille bravos ! »
Un point qui n’est pas de détail le vin de Corbières qui nous a été servi était excellent il provenait du Domaine Prieuré Sainte Marie d’Albas à Moux 11700 www.saintemariedalbas.com Le propriétaire Vincent Licciardi était présent, ce fut un hôte prévenant et fort sympathique. Il en veut, il y croit alors puisqu’il vient de reprendre le domaine découvrir le fruit de son travail et l’apprécier c’est l’encourager. Enfin, comme Xavier de Volontat sait depuis longtemps que ma plume n’est guère complaisante il recevra ma chronique avec son flegme et sa distance habituelle.
* Gérard Menbussa fut une cuvée culte Beaujolais-Villages de Cyril Alonso (une chronique à venir sur P.U.R.)
* Mozart est là est un souvenir de La cave mozza-maniaque de Yannig Samot, Mmmozza, 57, rue de Bretagne (3e)