Je suis un tout-nu, le tout-nu s’opposant à l’être qui se croit indécrottablement rationnel.
« ... j'étais encore indécrottablement rationnel, prétentieux, timoré et avare dans ce dedans de ma tête de Blanc qui croit détenir le pouvoir de commander au mouvement en s'opposant à lui, au lieu d'aller avec lui, de se fondre en lui, d'abord, et d'obéir ensuite à ce que décide le corps. » (1)
Nudité originelle qui n’a rien d’indécente mais que de tout temps nous avons enfouie sous nos vêtements, les fards à la fois pour cacher nos imperfections et nous faire plus beau que nous sommes.
Les temps modernes ont inventé la correction : la correction physique par la chirurgie esthétique, les implants, la correction de l’image par l’effet Photoshop.
Eternelle jeunesse, plaire, séduire, le vin n’échappe pas à la tendance emporté qu’il est par le flux marchand qui exige qu’il s’aligne sur les normes des produits de grande consommation. Lisse. Constant. Plaisant. Sans défauts.
La fin justifiant les moyens un long exorde monte : pour leur plaisir faites-leur des vins à leur goût, pas du sur-mesure mais du prêt-à-porter marqueté.
Pourquoi pas, c’est un choix tout à fait respectable et défendable mais que devient alors le couple vin&terroir ?
Pour l’auteur des lignes ci-dessous la messe est dite :
Gravure du 19e siècle à l'occasion de la nomination d'un nouveau curé les paroissiens donnaient une grande fête au cours de laquelle on lui offrait « chasuble et surplis brodés en de saintes nuits ».
« Peu de sujets concernant le vin enflamment ou abrutissent autant les esprits que le couple vin et terroir. Les « terroiristes » me font penser aux talmudistes qui inlassablement essaient de rationaliser ce qui relève du mystère ou de la foi, ce qui est peut être utile sur le plan moral et philosophique mais n’a aucun sens en matière de plaisir et de goût, et encore moins d’agriculture, malgré le mot culture ».
Le lien du vin à son terroir est un mystère et relève de l’acte de foi.
Amen !
J’ai du mal à comprendre où se situe la morale dans ce qui se veut une condamnation sans appel des illuminés et des abrutis qui, pour beaucoup pratiquent une agriculture où la main de l’homme retrouve sa place loin des béquilles et des cataplasmes des Diafoirus modernes et font du vin sans le secours de process de correction. C’est de leur part une philosophie de l’action qui surpasse largement celle de l’auteur.
« Il n’y a qu’une seule chose que nous aimions à voir partager avec nous, quoiqu’elle nous soit bien chère, c’est notre opinion. » notait avec férocité Talleyrand.
Au nom de quoi, cet éminent goutteur, homme de plaisir sans doute, de tous les plaisirs j’espère, peut-il avoir la prétention de nous taxer de rationnel parce que nous exaltons l’intelligence de la main, celle qui a su magnifier un terroir en sachant conjuguer tout ce qui lui a permis de faire son vin. Nul mystère, nulle foi, rien que la trace de l’histoire des hommes qui n’a que faire des jouisseurs hors-sol face à leur verre.
Face à temps de prétention comme l’écrivait Alain Gheerbrant dans La Transversale los Racionales y los Pelados (1)
« Quelques coups de pagaie et je m'aperçus que nous allions donner droit sur un vaste entonnoir, creux d'un bon mètre en son centre. J'eus une seconde d'hésitation : barrer à droite, à gauche ? Ma tête me dit de barrer à droite, pour écarter la pointe de cette cible où nous allions nous planter.
Mais c'était aussi offrir le flanc à la force d'attraction croissante, qui nous happa par le travers. Toutes les têtes se tournèrent vers moi. J'allais perdre le contrôle de l'embarcation et nous basculerions inexorablement au fond de l'entonnoir dans un tête-à-queue.
La voix du capitaine lança un ordre bref, cinglant, courroucé, et ma pagaie se redressa, visant le tourbillon ; nous l'effleurâmes de la pointe et il nous lança au loin comme une flèche en tangente, de toute sa force devenue centrifuge. C'était cela qu'il fallait faire, aller dans le sens du danger, le toucher du bout du doigt de telle façon que sa force elle-même nous rejette après nous avoir attirés.
Eussé-je écouté le corps de la pirogue, accepté spontanément que mon propre corps en fût partie intégrante, je n'aurais pas fait cette faute. Au lieu de quoi, placé dans une situation nouvelle, je m'étais précipitamment réfugié dans ma tête close, et ses raisonnements abstraits, et nous avions failli naufrager. Six mois à l'école des Indiens n'avaient donc pas suffi : j'étais encore indécrottablement rationnel, prétentieux, timoré et avare dans ce dedans de ma tête de Blanc qui croit détenir le pouvoir de commander au mouvement en s'opposant à lui, au lieu d'aller avec lui, de se fondre en lui, d'abord, et d'obéir ensuite à ce que décide le corps. »