Cette chronique du 28 juin 2013 je la remets en ligne en hommage à Denis Dubourdieu qui vient de nous quitter. Je m'incline devant la peine et la douleur de sa famille et de ceux qui lui étaient chers. Je leur présente mes plus sincères condoléances.
Le 14 novembre 2008 il avait eu l’amabilité de répondre à mes « 3 mêmes questions à Denis Dubourdieu un œnologue de référence » ICI
Longtemps je me suis demandé si j’allais titrer cette chronique : « Denis Dubourdieu l’Extravagant »link mais au dernier moment j’ai préféré laisser de côté ce qui aurait pu être perçu par les non-initiés comme une provocation, alors que ce n’aurait été qu’un clin d’œil à l’une de ses belles réalisation, pour m’en tenir, pour une fois, à une formulation simple.
Dubourdieu « Il n’y a ni Dieu ni bourg là-dedans » comme le dit avec humour le titulaire du patronyme. En effet, « le bourdieu est une propriété qui appartenait à quelqu’un de Bordeaux, selon les savants géographes bordelais, René Pijassou et Philippe Roudier. Du Bourdieu désignait quelqu’un d’une telle propriété sans savoir s’il y taillait la vigne ou s’il en était propriétaire. Les bourdieu sont les ancêtres des crus. »
Bonne origine ne saurait donc mentir le CV de Denis Dubourdieu est dense et riche : œnologue, chercheur et professeur d’université directeur de l’Institut des Sciences de la Vigne et du Vin, consultant et vigneron mais je dois avouer que c’est sur cette dernière facette que l’homme se révèle passionnant car ses attaches terriennes et familiales donnent à ses réponses une belle chaleur et une vraie sincérité. « Celui qui peut, agit. Celui qui ne peut pas enseigne. » G.B.Shaw.
En effet je dois avouer que je préfère lorsque Denis Dubourdieu nous parle de sa grand-mère maternelle Jeanne Masencal plutôt que de l’élevage du sauvignon sur lie ou de la fermentation en barriques. Ceci souligné j’ai tout lu avec beaucoup d’attention et j’ai en partie comblé mes immenses lacunes dans les domaines de l’art du vin, surtout pour ce qui concerne la pourriture noble « En quoi réside notre savoir-faire pour obtenir une pourriture noble rapide et précoce ? (ndlr celle qui favorise l’explosion du fruit et non la seule concentration en sucre). Il n’y a pas de secret. C’est simplement en pratiquant la viticulture la plus traditionnelle qui soit, celle de mes grands-pères et de mon père, ni plus, ni moins. C’est en ayant cette passion folle, ruineuse, du sol extrêmement bien travaillé qui, dès le printemps, amorce la précocité du cycle de la vigne. Nous sommes certainement les seuls crus de Barsac qui travaillons l’intégralité de nos sols à la charrue, l’intégralité ! Aucune parcelle n’est désherbée chimiquement ou enherbée, aucune ! Ce sol de Barsac, à la fin du mois de février, est d’un beige grisâtre, battu par les pluies de l’hiver mais quand le labour le retourne, il devient tout d’un coup magnifique ; il prend la couleur fauve d’une robe d’alezan ou de setter irlandais. A ce moment-là, toute la chaleur des premiers rayons de mars vient s’y emmagasiner. Cette forte évaporation le ressuie par le haut ; les racines se réchauffent, la vie débute… »
Là je comprends, je retrouve mes racines si je puis m’exprimer ainsi. Mais, comme je suis un petit chroniqueur qui aime bien mettre les pieds dans le plat, je ne puis m’empêcher de citer le Denis Dubourdieu qui ne va guère plaire aux adorateurs des vins nus « Mais que de bêtises entend-on dans ce métier ! Que de vins sans finesse, que de grossières caricatures, justifiés par des argumentations simplistes, retiennent l’intérêt de certains critiques : vins ni collés ni filtrés, vins naturels, vins sans sulfites, vinifications intégrales, élevage des vins rouges sur lies, cuves ovoïdes, champ telluriques dans les caves…, etc. Je me suis toujours demandé si les gens qui racontent ces âneries y croient ou s’ils pensent que le public est tellement naïf qu’on peut lui faire avaler n’importe quoi. » J’adore les ânes Denis Dubourdieu et j’écris tellement d’âneries que je suis sans aucun doute un bon public mais, à mon âge, on se refait pas et je reste totalement allergique aux exercices dégustatifs entre grands amateurs. L’émotion du vin ne passe pas par ce vocabulaire qui n’évoque rien pour moi. Sans doute en écrivant cela je n’arrange pas mon cas mais il n’empêche que ma sensibilité n’en est pas moins exacerbée que celle des susnommés.
Mais laissons là les sujets qui fâchent et revenons à Jeanne Masencal qui a régalé Denis et ses parents lors des déjeuners dominicaux et repas de fête à Cantegril. « Toute la bonté et la générosité de Jeanne s’exprimaient dans sa cuisine. Avant de se mettre au fourneau, point n’était besoin pour elle d’aller au marché ou si peu. Il y avait presque tout à Cantegril ; on aurait pu tenir un siège. Un potager admirable donnait à profusion légumes et petits fruits ; la basse-cour ne fournissait pas seulement de poulets et des œufs, mais aussi dindons, pintades, canards et pigeons. Il y avait une dizaine de clapiers et, évidemment, un parc à cochon. Le verger comptait toutes les vieilles variétés de pommes, poires, pêches, abricots, prunes, cerises, noix et noisettes. Les confitures, gelées et fruits à l’eau de vie étaient millésimés et mis en bocal au château. Jeanne ne se contentait pas de régner sur cet empire domestique, elle en assurait, pratiquement seule, l’entretien, non par seul souci d’économie mais pour le plaisir d’offrir à ceux qu’elle aimait, le fruit de son travail. Des nécessiteux de sa connaissance et même des vagabonds de passage profitaient de ses dons. Cantegril, c’était alors, à la fois, la banque alimentaire et le « resto du cœur » mais 3 étoiles. Qui ferait cela aujourd’hui ? […]
Et Denis Dubourdieu se souvient « des menus pantagruéliques de Cantegril et des plats savoureux de ma grand-mère. Il y avait les pâtés de porc et les galantines de volaille, le lapin en gibelotte aux petits oignons ou à la persillade, les civets de lièvre, la poule au pot et son bouillon, les escargots ramassés après les pluies d’orage et préparés au hachis de jambon, les volailles à la broche et à la « tue cochon », des boudins incomparables et des « costillons » (petites côtes) à se damner. Et puis les petits oiseaux en brochettes ou confits, les grives de vendanges grillées sur les braises de sarments de vigne. Je me souviens aussi, avec l’eau à la bouche, d’autres plats que je dégustais plutôt chez mes parents : le perdreau au verjus, la bécasse rôtie flambée à l’armagnac dont la saveur unique défie la description, la lamproie au vin rouge ou au barsac confectionnée selon la recette de ma mère toujours inégalée. A la table de la grand-mère maternelle de Florence (ndlr l’épouse de Denis Dubourdieu), j’ai savouré la palombe rôtie flambée au lard, gibier tenu pour « sec dans ma famille et pourtant onctueux lorsqu’il est accommodé ainsi ; étonnement, c’est aussi dans ma belle-famille que j’ai découvert l’alliance magique des vins blancs liquoreux et de l’alose grillée entière sur les sarments entre des feuilles de laurier sauce. Ce mariage parfait, je le célèbre encore moi-même, à Reynon, chaque année à la saison, en servant nos vins de Barsac sur l’alose grillée par mes soins. »
Vous allez me dire que je n’ai guère parlé vin. Normal, m’aventurer sur ce terrain eut été bien présomptueux de ma part. Le mieux que vous puissiez faire si vous souhaitez mieux connaître et Denis Dubourdieu et ses vins c’est de faire l’acquisition, dans la collection Autour d’une bouteille avec, du livre de Gilles Berdin « Denis Dubourdieu l’œnologie dans tous ses états » chez Elytis 16€. Enfin, pour clore cette chronique, à l’heure où je l’écris, l’ensemble des 130 ha des propriétés de Denis Dubourdieu termineront leur conversion en Agriculture Biologique. « Par réflexe de survie, d’une prise de conscience, certes tardive, des dangers des pesticides pour nous –mêmes et notre environnement. Risques sous-estimés par l’administration mais inquiétants pour le consommateur. »