Dans le monde de la vigne et du vin on ne présente pas Denis Dubourdieu, son nom sonne comme une référence. Très beau cursus à la française, grande école puis université, Ingénieur Agronome (Ecole Nationale Supérieure Agronomique de Montpellier) (1972)Maître es Sciences Economiques (Université de Bordeaux 1) (1973) Docteur Ingénieur en Œnologie Ampélologie (Université de Bordeaux 2) (1978) Docteur d’Etat es Sciences (1982) il s'inscrit dans la lignée du père de l'oenologie moderne Emile Peynaud qui, en 1996, répondait à la question : "Pensez-vous que le modèle que vous avez instauré avec J. Ribéreau-Gayon soit appelé à durer ?"
"Je l'ai dit et répété de nombreuses fois : le vin est le reflet du degré de raffinement d'une civilisation. Il dépend de ceux qui le font et de ceux qui le boivent. Les goûts et les méthodes de travail évoluent constamment. Par conséquent, il est probable que dans dix, vingt ou trente ans, avec d'autres vignobles, d'autres installations, avec d'autres œnologues, les vins soient différents des nôtres."
Propriétaire de plusieurs crus de Bordeaux : Denis Dubourdieu Domaines www.denisdubourdieu.com) Château Doisy-Daëne, cru classé en 1855, Barsac Sauternes, Château Cantegril, Barsac Sauternes, Clos Floridène, Graves, Château Haura, Graves, Château Reynon, Premières Côtes de Bordeaux ; Œnologue conseil : auprès de nombreux crus et domaines viticoles réputés en France, Espagne, Italie, Grèce Portugal et même au Japon ; Professeur à la Faculté d’œnologie de l’Université Victor Segalen Bordeaux 2 et Vice-Président de l’Institut Sciences de la Vigne et du Vin de Bordeaux, Denis Dubourdieu, bien évidemment, constituait pour moi et mes questions une cible de choix. Sa réponse positive et rapide m'a bien évidemment comblé. Que voulez-vous, j'ai l'orgueil de croire que mon petit espace de liberté fait parti de ces lieux rares, car vous êtes des gens de qualité chers lecteurs, où l'on a plaisir à s'exprimer.
Question N°1 : Supposons que je sois un jeune bachelier passionné par le vin. Je cherche ma voie Sur le site du CIDJ je lis « L’œnologue, grâce à ses connaissances scientifiques et techniques, accompagne et supervise l’élaboration des vins et des produits dérivés du raisin. Sa principale activité concerne la vinification. Il conseille les viticulteurs dans le choix des cépages et la plantation des vignes. Il surveille les fermentations en cave, le traitement des vins et leur conditionnement. Il effectue des analyses et procède à des recherches technologiques visant à l’amélioration des cépages. L’œnologue peut également être chargé de la distillation ou fabrication des alcools à partir des marcs de raisins. Enfin, connaisseur et expert en dégustation, il participe à la commercialisation des vins en France et à l’étranger. En raison de la concurrence rencontrée désormais par la production française de vin sur le marché mondial, l’œnologue remplit une fonction stratégique pour le maintien ou l’amélioration de la qualité des produits de la viticulture française. »
Présenteriez-vous ainsi votre métier à une jeune pousse Denis Dubourdieu
Réponse de Denis Dubourdieu :
Oui à peu près.
J’ajouterais que l’œnologue doit d’abord et surtout aider le producteur à définir le style et le goût de son vin de sorte qu’ils soient à la fois attractifs et inimitables, plaisants et typiques.
Grâce à ses connaissances scientifiques et à son savoir faire l’œnologue conseille le producteur sur l’itinéraire technique à suivre, du sol à la bouteille, pour atteindre l’objectif fixé. Son savoir est puisé dans plusieurs disciplines des sciences de la Terre et de la Vie : sciences des sols, écophysiologie de la vigne, microbiologie des fermentations, chimie et physico-chimie du vin.
Ainsi, l’œnologue est une sorte d’architecte du vin qui doit être à la fois artiste et « savant », intuitif et précis, sensible et rigoureux. Il doit aussi s’intéresser au marketing et à la communication pour capter les attentes conscientes ou latentes des marchés et « raconter » les vins produits.
Si l’œnologue joue un rôle stratégique pour la défense et le progrès de la viticulture française il peut aussi exercer son métier hors de nos frontières tant l’industrie du vin est aujourd’hui mondialisée et le savoir faire français dans ce domaine prisé sur les cinq continents.
Question N°2 : « Monsieur Seignelet, qui avait assis Bertrand face à lui, donnait à mi voix des leçons d’œnologie, récitait des châteaux, des climats, des millésimes, émettait des jugements, prononçait du vocabulaire : puis il voulut enseigner à son fils aîné le rite grave de la dégustation. » Tony Duvert « L’île Atlantique » éditions de Minuit 2005. Dans le fameux manga « Les Gouttes de Dieu » « Le héros est présenté comme œnologue alors que manifestement c’est plutôt un œnophile doué et cultivé.
Quel est votre sentiment sur ce glissement sémantique Denis Dubourdieu ?
Réponse de Denis Dubourdieu : En effet, il ne faut pas confondre œnophile et œnologue pas plus que mélomane et musicien ou écrivain et lecteur. L’œnophile apprécie le vin, le commente, le critique. L’œnologue concourt à le produire en utilisant ses connaissances scientifiques. Le titre d’œnologue est règlementé en France. Celui qui l’utilise doit être titulaire du diplôme national d’œnologue ou de ses équivalents étrangers.
Le glissement sémantique que vous évoquez peut avoir deux causes : l’ignorance du sens exact des mots ou l’utilisation abusive d’un titre tenu pour prestigieux et médiatique.
Question N°3 : Moi qui ne suis qu’un pur amateur aussi bien pour le vin, que pour la musique ou la peinture je place ma confiance non dans les critiques mais plutôt dans ma perception au travers de l’œuvre du génie du compositeur ou du peintre. Pour le vin l’affaire est plus complexe entre l’origine, le terroir, le vigneron, le vinificateur, le concepteur du vin, l’exécution est à plusieurs mains. La mise en avant de l’œnologue, une certaine starification, correspondant par ailleurs avec l’esprit du temps, à une forme de marketing du vin, ne risque-t-elle pas de nous priver d’une forme de référence objective, celle de l’homme de l’art, nous aidant à mieux comprendre l’esprit d’un vin ?
Réponse de Denis Dubourdieu : Cette question est surement la plus délicate. Elle pose le problème des relations entre l’œnologue et la critique et/ou les médias.
La « surmédiatisation » de l’œnologue peut elle nuire au plaisir du « pur amateur » ?
Tout dépend dans quel esprit le vin est conçu et produit.
Si le travail de l’œnologue consiste à formater les vins des crus qu’il conseille pour d’abord complaire au goût réel ou supposé de tel ou tel critique, alors oui cela peut conduire à des vins standardisés, caricaturaux et souvent sans charme. Mais on aurait tort d’accuser le seul œnologue ou la critique de cette dérive ; c’est souvent le producteur qui pousse aux excès en tous genre : surmaturation, bois, oxygénation intempestive, alcool, sucres résiduels…etc, sacrifiant finesse et complexité sur l’autel de la grosse note que parfois d’ailleurs la presse ne lui attribue pas. Ceci dit, il ne faut pas exagérer les dangers de la médiatisation du vin et de l’œnologie. Je ne pense pas qu’on buvait mieux avant l’avènement de la critique et la starification des œnologues ou des winemakers, ni que les régions sans école d’œnologie influente fassent pour autant de meilleurs vins.
Selon moi, c’est évidemment à l’amateur qu’il faut penser lorsqu’on élabore un vin, à son émotion, à son plaisir, en espérant que la critique s’en soucie également (ce qui est souvent le cas). Le travail de l’œnologue consiste à révéler (s’il existe) le goût typique du lieu où le vin est produit. La pureté et la complexité de ce goût doivent toujours être privilégiées. Ce sont les antidotes à la lassitude voire à l’aversion que finissent toujours par susciter les vins trop simples ou défectueux.
Ainsi, je préfère conseiller des producteurs de vins classiques élaborés à partir de cépages situés à la limite nord de leur culture, murissant leurs raisins lentement et parfois difficilement. Ce sont les cabernets ou le petit verdot à Bordeaux, la syrah à l’Hermitage, le pinot noir et le chardonnay en Bourgogne, le riesling en Alsace, le viognier à Condrieu ou à Grillet, le Mourvèdre en Provence, le tempranillo en Rioja, le san giovese en Toscane, l’aglianico en Campanie…etc. Car je suis convaincu que la complexité, l’originalité des vins et donc leur valeur naissent toujours de difficultés surmontées.