Je n’aime rien tant que les enchaînements soudains et imprévus, ils vont bien à mon esprit d’escalier. Le 18 mai au matin tombe dans ma boîte à lettres électronique : « Dernière Minute » en provenance de Philippe Ouvrard. Je décachète. La photo et le texte me plaisent, je consulte mon agenda papier acheté chez Gallimard (chic, non) et je note le lieu : Le Flâneur des Deux Rives, l’heure : 18h et l’adresse 60 rue Monsieur-le-Prince à quelques encablures de chez moi.J’avoue qu’un type qui se nomme Châteaureynaud, même dans un seul mot (oui j’ai un peu triché dans le titre mais c’est pour la beauté du geste) et qui plus est vous invite à venir passer un moment avec lui pour « discuter beaucoup, se sustenter un peu, et boire raisonnablement de fins breuvages entre amis, ne pouvait que mériter de la considération.
Donc à l’heure dite, avec juste ce qu’il faut de retard pour ne pas paraître provincial, j’enfourche mon fier destrier noir pour fondre sur la rue Monsieur-le-Prince qui se jette dans le boulevard Saint-Michel à hauteur de la rue Soufflot. Le Flâneur des Deux Rives est perché face à l’ex-Olympic-Luxembourg de l’autre Mitterrand, le Fredo qui se prend pour une star. J’attache ma monture solidement. Au dehors des petites grappes picolent en devisant. Bon signe, j’entre par une porte grande ouverte. La turne est pleine comme un œuf, pleine de gens de lettres. Je marche sur des œufs. Au grand étonnement des convives je mets en boîte les photos des belles bouteilles. Ensuite, comme je ne peux entrer dans une librairie sans tripoter le cul des livres, je m’adonne à mon exquis plaisir. J’en achète 3 dont le dernier Châteaureynaud, Georges-Olivier de son prénom : GO, La vie nous regarde passer chez Grasset.
La cigarette après l’amour, je ne fume plus depuis une décennie : elles sont loin les Boyards maïs (chronique Transgression absolue : la Boyard papier maïs dosée à 2,95 mg de nico link): je déguste les breuvages proposés : un blanc, un rosé, un rouge et du champagne. Pour ne pas être pompette je crache discrètement et proprement dans un gobelet. Vins honnêtes ! Le pâté me tend les bras je m’en tartine une lichette. J’adopte le champagne servi en flute plastique (ce n’est pas une critique) Ensuite je complète ma collection de clichés et je m’enquiers de savoir où se trouve l’homme du jour Georges-Olivier Châteaureynaud. Pas très difficile à repérer notre homme, barbe blanche, chapeau, chemise à carreaux, est d’une belle taille et arbore un sourire avenant. Vu mon état d’ignorance coupable sur son œuvre je ne fais pas le calamantran et je lui confesse n’avoir jamais ouvert un de ses livres. GO Châteaureynaud n’en prend nul ombrage et m’accorde quelques instants.
Ensuite je baguenaudais, papotais avec Dominique Cagnard auteur d’une vache dans ma chambre, carburais au Gonet tout en feuilletant le livre de GO Châteaureynaud sous titré à l’intérieur Monette et Jo, ses géniteurs, la photo de l’invitation, scindée en deux morceaux raboutés. Aborder une œuvre par son dernier opus n’est certainement pas la meilleure approche mais comme l’auteur y parle pour la première fois de lui, de sa mythologie familiale, il se souvient, découvrir l’homme avant son œuvre n’est pas un péché mortel contre la littérature. Comme moi GO Châteaureynaud est un baby-boomer qui avoue « je lisais tout ce qui me tombait sous les yeux ou sous la main », moi aussi. En dehors de ce goût immodéré pour la lecture nos destins sont bien différents : nouvelliste et romancier notre auteur a obtenu, entre autre, le prix Renaudot en 1982 pour la Faculté des Songes et moi je n’ai fait que papillonner.
L’entrée dans le livre me fut difficile, les 2 premières pages, curieusement numérotées 11 et 12, ne m’accrochaient pas, trop écrites. Je reposai le livre, le temps d’un purgatoire s’imposait. Reprenant ma lecture au haut de la page 13 je n’ai plus lâché le livre. Lu d’une seule traite, sans hâte, goûtant l’authenticité, l’humanité, la simplicité, la vérité, l’adoration de Monette sa mère, ce père absent même lorsqu’il est présent, tous ces petits riens qui forment la trame de la vie d’un gamin, la chambre de bonne au huitième étage à Neuilly, son dénuement, ses chiottes à la turque, les odeurs, la pension... le Grand-Père, Tantine, Leturc le garçon par qui vint l’apprentissage de la lecture...sa mob... ses profs... ses conneries... la maison de Porsguen en Bretagne... les extraits qui suivent touchent tant mes souvenirs de petit vendéen crotté que je vous les propose en amuse-bouche si je puis dire.
« Porsguen était une odeur, un océan d’odeurs plutôt, dans lequel nous nous immergions dès la première seconde, en descendant de la voiture. Dès l’abord, en arrivant devant la ferme, il était impossible d’ignorer l’odeur du tas de fumier qui occupait le centre de la cour. C’était un tas de fumier de chromo, ou d’illustration d’abécédaire. Un coq y prenait la pose. Du poulailler tout proche, sans doute jamais nettoyé depuis la mort du paterfamilias et le renoncement de la mère agonisant lentement dans son lit-clos, s’exhalaient des relents de fiente (...) A ce concert l’homme ajoutait sa note aigre. Si l’on pénétrait chez les fermiers, des frères âgés qui vivaient sans femmes, et sans eau courante eux non plus, on était pris à la gorge par des remugles de vieux linge sale et de baratte oubliée. »
« A Porsguen Vraz, le père était mort, bientôt suivi par l’un des fils, Job, et le temps s’était figé. J’ai entrevu Job, je n’ai connu la mère Lareur que grabataire. Elle habitait son lit-clos. Les deux fils qui lui restaient, Jakez et Fanch, tous deux bretonnants, tous deux célibataires, sombraient lentement dans le vin d’Algérie, Fanch surtout, Jakez, l’aîné, émacié, édenté comme son frère, mais beaucoup plus malin, tenait mieux ou buvait moins. »
La vie nous regarde passer Monette et Jo de Georges-Olivier Châteaureynaud un très bon cru, à lire absolument. C’est chez Grasset 18€.