Orly, le bus de la RATP, pas de taxi : j’ai horreur des chauffeurs de taxis, l’autoroute, le tunnel qui débouche sur le périphérique, la Porte d’Orléans, Paris, ses bagnoles et surtout ses drôles de deux roues vrombissants sur lesquels des gros cons se prenaient pour les rois de la chaussée, Denfert-Rochereau. Comme nous n’avions pas de bagage mais tout juste un vague sac à dos nous décidions de marcher jusqu’à Saint-Germain en passant par le Jardin du Luxembourg. C’est drôle, je ne ressentais aucune oppression, l’air de Paris c’était le mien. Jasmine rayonnait, cette échappée belle c’était son œuvre. Les touristes erraient en paquets. Le Flore bien sûr, à l’intérieur, rien que pour faire plaisir à Jasmine qui s’enfilait des œufs de Marans coque pendent que je sirotais le demi maison. Ensuite quelques nippes pour moi, Jasmine insistait, puis pour elle, je le voulais. Je claquais du fric avec jubilation. Nous déjeunions à la Maison de l’Aubrac, rue Marbeuf, j’avais les crocs pour une côte de bœuf partagée avec mon bout de femme dont les yeux me donnaient envie. Que faire ensuite ? Une toile, pas sur les Champs bien sûr, mais dans l’un de mes cinémas culte : le Champo où nous avons attrapé la séance de The Servant. L’odeur de cette salle marquait mon territoire post-soixante-huitard. Jasmine posait sa tête sur mon épaule, une séance de ciné à l’ancienne, le pelotage en moins. En sortant Jasmine téléphonait à Raphaël qui jouait les nounous pour Matthias. Tout allait bien. La librairie Campagne : une razzia de bouquins. Il nous fallait acheter une valise à roulettes. Le temps passait et il nous fallait gagner la gare de Bercy où le Paris-Venise se tenait à quai.
Un T2 dans un wagon-lit des années 60, pas vraiment le confort mais, là encore, un parfum de départ incomparable. Sur le quai ça piaillait. Discrètement j’arrosais le chef de train pour obtenir deux places au minuscule wagon-restaurant. Impatient, tendu, je me sentais comme un gosse, comme au temps où avec maman nous prenions la Micheline pour nous rendre à Chantonnay voir ma sœur à son pensionnat de bonnes sœurs. Les sœurs de la Sagesse avec leur robe gris souris et leur tête emprisonnée dans un bandeau amidonné. Le convoi s’ébranlait dans un infernal bruit de ferraille, le passage aux aiguillages transmettait à notre carlingue des torsions qui semblaient la faire imploser, nous allions prendre notre temps car manifestement nous n’étions pas dotés d’une motrice très vaillante. Qu’importait ! Demain matin nous butterions sur le Grand Canal et ce serait merveilleux. Jasmine souhaitait que nous nous habillions au mieux de notre garde-robe pour le dîner. Je m’exécutais sans ronchonner. L’ambiance au wagon-restaurant était familiale et bon enfant. Menu simple et vin acceptable. Nous prenions notre temps. Encore une fois une bouffée de souvenirs me submergeait mais je l’écartais en couvrant Jasmine de compliments. Elle en rosissait de plaisir. Je la sentais légère prête à m’amener, comme elle sait si bien le faire, sur le chemin qu’elle voulait me voir emprunter. Le paysage défilait sans que je puisse identifier précisément tous les morceaux de France que nous traversions. Le maître d’hôtel nous offrait une Grappa. De retour dans notre T2 je voulais m’installer à l’étage mais Jasmine décrétait qu’elle adorait les hauteurs. J’osais un « Tu as déjà pris un wagon-lit » Sa réponse rigolarde me mit un peu la puce à l’oreille « Non, mais je pourrai ainsi mieux te surveiller. Sait-on jamais avec toi, s’il te prenait l’envie d’aller séduire une belle italienne... »
Mes protestations véhémentes me valurent un « tu dors tout nu je suppose » qui aurait du confirmer mes appréhensions. Je m’enfonçai dans la lecture d’un des livres acheté chez Campagne Les Mémoires de Saint-Simon « cette pute me fera mourir... » soupirait Marie-Thérèse, reine de France, épouse de notre Roi Soleil, lorsqu’elle le voyait s’afficher avec la belle Montespan. Nos dirigeants politiques ont une lourde hérédité à porter sur leurs frêles épaules. La bite, la bite, par elle passait le pouvoir des femmes. Lorsque vint l’extinction des feux je souhaitais à Jasmine une bonne nuit si haut perchée. Comme aucune réponse ne vint je supposais qu’elle dormait déjà. J’aurais du me méfier de la mâtine. Le balancement du wagon me berçait et je sombrais. Dans mon sommeil de plomb deux détails chatouillèrent mon inconscience, plus de tangage et une douce euphorie qui gagnait mon bas-ventre. Pas une de ces érections nocturnes, si familières, où le sexe est silex, dur, douloureux même, non de la douceur, du suave, du miel. Le train stationnait sans doute dans une gare, laissant les lourds trains de marchandises circuler. L’euphorie montait. Sur mon corps je sentais une légère charge puis tout au bout de ma verge une résistance, qui n’en était pas une, car la fluidité ne laissait dans mon rêve qu’une fine caresse. Ce qui me fit sortir de mon rêve fut l’emballement qui me surmontait. Jasmine allait et venait sans retenue, asynchrone, en me murmurant d’une voix étouffée « dors mon amour, Matthias a besoin d’une petite sœur... » Lorsque je m’épandais en elle je ne pouvais m’empêcher de penser à mon premier voyage vers l’Italie des Brigades Rouges...