Qu'Eric Rosaz me le pardonne cette chronique n'est pas un poisson d'avril mais du pur jus Berthomeau vinifié en cave particulière et commercialisé en vrac par le grand négoce prédateur. Sans doute va-t-il trouver le nectar un peu acide mais c'est le millésime 2010 qui veut ça et, Dieu sait qu'il était attendu ce millésime depuis que des gars, qui n'y connaissaient pas grand chose à la chose du vin, l'avait affublé, tel Cyrano d'un Cap. Beaucoup, sans doute pour me flatter, affirment que c'est un beau millésime de garde, qu'il vieillit bien, qu'il garde toute sa fraîcheur, sa puissance, son authenthicité. Qu'importe le jugement des experts ou des amateurs, ce qui compte c'est qu'il fut produit en alliant le meilleur de la tradition et tout ce que pouvait lui apporter la modernité. Nous en sommes fiers même si la cuvée resta somme toute confidentielle du fait que les maîtres du troupeau ne la trouvaient pas à leur goût. La poussière et les toiles d'araignée donnent aux dernières bouteilles ce cachet qu'aiment tant évoquer les nostalgiques des splendeurs du passé. J'aurais pu me contenter de savourer ce millésime avec mes bons amis et mes copines mais c'est alors que le sieur Lalau a dégainé.Dans une récente chronique link il a brocardé, dans son style percutant, la nième antienne de FranceAgrimer sur la nécessaire simplification de l’offre.
Tiré en sursaut de mon demi-sommeil de petit chroniqueur éloigné des hauts lieux stratégiques, là où les têtes d'oeufs élaborent les plans de bataille, je me suis dit : est-ce que je rêve ? Sont-ils en train de remettre ça ? Me refaire le coup de la segmentation ? Pire encore rebadigeonner avec de la peinture fraîche la stratégie de reconquête pour les vins français ? Mieux éveillé, dans ma petite ford intérieure, je me suis laissé dire : comme c'est étrange que dans notre beau pays françois, où la survivance du féodalisme conjuguée à un pouvoir central qui balance entre le libre jeu des acteurs et la régulation via des outils dit interprofessionnels accouche d'un chacun pour soi de bon aloi et ou la concurence par le bas entre régions, vignerons, négociants est la règle qui prévaut, nos penseurs se remettent à tirer de nouveaux plans sur la comète ? Pour faire joli, entretenir la flamme dans la nouvelle grande maison si peu héritière des anciens offices, dit par produit. Défendre son territoire face au Q de l'INAO ? Je n'irai pas jusqu'à ce stade de l'ironie mais, comme le disait ce bon cardinal Marty, avec son bel accent rocailleux de l'Aveyron, je m'interroge ? S'interrogez vaut mieux que s'appitoyer c'est plus charitable.
Mon propos de ce matin, fort modeste, ce qui de ma part est un effort louable, se limitera à constater qu’une stratégie de conquête ou de reconquête ne peut et ne doit pas se contenter de se fonder sur une simple projection des tendances à l’instant T. Certes c'est simple, le nez sur la courbe : on entonne tous derrière, tous derrière et lui devant. Je plaisante bien sûr mais tout de même je suis fasciné par les envolées des commentateurs de la chronique d'Hervé qui retombent aussi vite qu'un soufflé dans les recettes éculées du packaging, du marketing et dans le marigot de notre belle GD à la française. Plus encore ce qui me réjouit le coeur c'est le nième couplet sur l'absolue nécessité de veiller à la qualité de nos AOC qui propulse le suivi aval qualité au rang de priorité des priorités. A ce niveau de préconisation stratégique nous sommes dans l'omnibus et les vaches nous regardent passer en se gondolant (normal les Vache qui Rit sont en tête de gondole). Je n'aurais pas l'outrecuidance de signaler que beaucoup de vins, dit de qualité, et qui le sont, ne trouvent plus preneur à des prix rémunérateurs. Mais bon je ne suis qu'un vieux con qui se doit d'écouter les gens d'expérience montant en chaire pour exhorter le peuple vigneron. Enfin, pour m'achever, ces beaux esprits repassent les plats sur la marque en la mettant à toutes les sauces. Vraiment c’est lourd et lassant, surtout lorsqu’on y fourre tout et le contraire de tout. Depuis que je bourlingue dans le monde des marques j’en ai peu vu naître du pur génie d’un marketeur en chambre mais plutôt de stratégies fondées sur de lourds moyens ou sur des valeurs perçues par le consommateur (signature). Je n'aborde pas la question chinoise car je prépare une chronique sur ce marché en liaison avec un opérateur.
Allez maintenant, comme le dirait le sieur Pousson : je sors mes chaussons, pour faire un peu de rucking dans le regroupement. Oui je l'écris et j'assume : nos stratèges conseilleurs ne sont que des suiveurs. Que préconisent-ils ? Tous dans l’océan rouge puisque c’est là que tout le monde se bouscule ! Certes, je ne dis pas qu’il ne faut pas y aller mais dans ce cas il faut armer de lourds chalutiers et, que je sache, nous ne sommes pas, faute d’avoir fait mouvement quand il en était encore temps, bien pourvu dans ce domaine. Nous n’avons pas su anticiper, sacrifier quelques pions inutiles pour avoir le coup d’avance, nous sommes lourds, peu mobiles, bavards, nous avons déserté certains champs de bataille lors des assauts décisifs. Qui puis-je ? Rien ! Sauf à m’adresser aux chefs de nos armées mexicaines. Ce que je ne ferai pas. Pour autant tout n’est pas perdu si nous acceptons d’analyser vraiment l’état de nos forces et de nos faiblesses, et de choisir. Sauf à radoter je vous épargne mon couplet.
Je préfère, à ce stade de mon offensive, sans user de précaution mais en respectant les règles pour nr pas me faire sanctionner, prendre nos stratèges conseilleurs à contre-pied en affirmant que notre chance principale se situe dans l’Océan bleu, celui où peu de nos concurrents s’aventurent encore, car notre force c'est notre diversité, voire même notre complexité. Attention, ce sont des forces à la condition que nous ne vendions pas des vessies pour des lanternes, que notre authenticité soit avérée, perçue et comprise. Contrairement à l’idée reçue, ressassée, la complexité ne fait pas peur ni aux jeunes pousses ou ni aux néo-consommateurs où qu'ils se trouvent, bien au contraire, ils savent se mouvoir dans des mondes virtuels hautement complexes et certains apprennent vite. Notre problème c’est que notre complexité est souvent un grand foutoir et que nos discours pour y entrer : soit celui qui consiste à vouloir courir derrière la tendance, celui qui veux faire jeune, celui qui veut séduire, nos consommateurs en reçoivent chaque jour des kilos au km2 et ils s’en tamponnent ou s'en lassent ; soit les discours classiques : entrez dans notre monde merveilleux du vin, c’est beau, c’est joyeux, c’est culturel, sont chiants car nous les bâtissons avec nos vieux mots poussifs, nos histoires copié-collé de communicants, notre entre-nous-même lassant et chiant. Nous sommes dans la culture de la surpâture, fermés comme des huîtres, souvent hors du champ des nouveaux canaux d’irrigation. Si nous voulons rester un grand pays généraliste du vin mettons-nous en capacité de produire tous les vins voulus mais à la condition expresse de ne pas continuer à proposer des vins ayant le cul entre deux chaises (SAQ mon cul aurait dit Zazie). Ambigüité quand tu nous tiens alors je sors mon suivi aval qualité...
Ceci écrit je ne prêche pour aucune chapelle. De là où je suis, où je vis, au plus près du monde, attentif à tout ce qui s'y passe, en me frottant avec tous ceux qui vendent du vin, j’essaie de comprendre, d’anticiper et non d'ânoner. Mais bien sûr, eu égard à mon statut de tricard, je n’ai aucune capacité à influencer l’alimentation intellectuelle de nos autoproclamés stratèges. Comme souvent dans la théorie des jeux, le leur est souvent à somme nulle (ce qui est gagné par l’un est perdu par l’autre, et réciproquement) Le Monde tel qu’il est peut déplaire, et il me déplaît souvent vous le savez, mais pour autant dans notre vieux pays fourbu il est une matière première mal exploitée : l’intelligence ! Je ne fais pas ici référence à la mienne mais à ce que le Groupe Stratégique Cap 2010 avait impulsé : l’Intelligence économique. Dans les nouveaux canaux de l'Internet c'est le contenu qui fera la différence. Où est-il ce contenu, cette richesse mal exploitée ? Nulle part et surtout pas dans ce que je lis de la nouvelle mouture de la simplification nécessaire de l'offre. D'ailleurs si elle est gagnante pourrait-on m'expliquer pourquoi avons-nous tant attendu et pourquoi dès à présent nous ne mettons pas ces belles paroles en musique ?
J'ai des réponses à ces questions mais elle n'apportraient rien au débat et surtout aux choix car l'inertie qui sous-tend les batailles d'arrière-garde révèle un mal bien plus profond que je retrouve dans mon travail actuel sur la définition d'une stratégie pour la viande bovine française. Incapacité radicale à accepter de conjuguer le petit, le local, très prescripteur, porteur d’images fortes : nos vaches mangeuses d’herbe et la grande conso qui, que ça plaise ou non, c’est steak haché à tous les étages : à la maison, c’est facile, les enfants aiment ça et bien sûr au Mc Do ! D’un côté les puristes gastronomes dégainent leur bidoche de luxe du boucher star, de l’autre les Charal&consorts leur grosse machine à broyer de la viande, et comme au récent SHIRA de Lyon, pendant que Bocuse amusait la galerie avec ses *trophées dans les soupentes du salon les acheteurs des collectivités ou des chaînes de restaurant parlaient buiseness avec les Bigard, Bonduelle and Co. Et les producteurs d’en bas dans tout ça ? On en fait quoi ? On les maintient dans les zones difficiles ? Comment ? Silence gêné de tous, plus facile de s’en tenir aux idées préconçues, de tracer des voies qui ne sont que des impasses. Du côté de la viticulture je n'émettrai aucun avis puisque personne ne me le demande.
Certains vont encore dire que je me suis fait plaisir. Que j'ai lustré mon ego. Et alors, y'a pas de mal à se faire du bien. Qui d'autre mieux qu'Eric Rosaz sait que de sortir des sentiers battus et rebattus c’est prendre le risque de s’exposer, de prendre des coups, de se faire ostraciser mais, que je sache, c’est aussi la seule manière d’initier d’abord un débat, de nourrir une réflexion stratégique, reste ensuite aux décideurs privés ou publics à l'intégrer, à opérer leurs choix, qui peuvent être d’ailleurs être des non-choix. Les robinets d’eau tiède font couler de l'eau tiède dont la fonction principale est souvent de se laver les mains... Moi je suis délibérément hot et je serais aux Primeurs de Bordeaux le 6 et le 7 avril, et en Beaujolais le lundi 11 avril pour écouter, voir et entendre ceux qui font et ceux qui vendent du vin et, bien sûr, ceux qui les achètent. Désolé d'avoir manié un peu facilement l'ironie à l'endroit de mes collègues mais, comme nous sommes le 1ier avril je peux leur dire pour m'en tirer :
Poisson d'avril !
Tout cela n'était qu'une plaisanterie de garçon de bain ou mieux me concernant de danseur mondain...