Qu’Hervé Briand me pardonne mais je n’ai pas pu m’empêcher de chroniquer à propos de la rencontre qu’il a eu, à l’automne 2006, avec Michael Steinberger l’auteur de « Au Revoir To All That » livre dont j’ai relaté la parution récente, dans sa traduction française, sous le titre un peu racoleur « La cuisine française, un chef d’œuvre en péril. » À cette époque il devait être Dr adjoint de l’INAO, maintenant il coule des jours, sans doute plus conformes à ses souhaits, comme délégué territorial Ouest de l’INAO. Je le suis reconnaissant sur la photo ci-dessus d'exhiber la mogette de Vendée qui vient d'obtenir la 13e IGP de la région ! (Photo © Ouest France)
Le journaliste gastronomique américain le qualifie dans sa présentation de « haut responsable de l’organisation » ce qui, eu égard à sa place dans l’organigramme, pour un regard étasunien, peu se justifier, mais dans le subtil dosage entre les professionnels, la tutelle Ministérielle et sa Directrice, sa position le plaçait simplement dans la situation d’un agent public en charge de l’application de décisions prises par le Comité National de l’INAO. Qu’Hervé Briand se sente, comme beaucoup des cadres dirigeants de l’Institut, à la fois en charge de défendre la doctrine des AOC à la française, mais aussi soumis à une certaine forme d’impuissance, justifie largement sa prudence face à un interlocuteur qui, quoiqu’il en dise, n’est pas lui-même à l’abri de ses contradictions et de ses à priori. Pourquoi d’ailleurs n’est-il pas aller interroger le Président du Comité Vins ?
Je le cite.
« Cet homme, grand et sympathique, choisissant bien ses mots – j’avais affaire à un bureaucrate –, convint que le système était en lambeaux. Accroître si considérablement le nombre des appellations avait été une erreur, reconnut-il, une erreur qui avait sévèrement nuit à la réputation des vins français à l’étranger. « Notre image n’a pas été détruite, mais elle a été affectée par la qualité moindre de ces vins. » Suivait le couplet sur l’agrément, son côté économique et social, les pressions des producteurs et le oui franc et massif dans 99% des cas. Air connu, puis HB abordait les réformes en cours d’élaboration « Les problèmes dans la bouteille, me dit-il, ont souvent pour origine des problèmes dans les vignobles ou dans les chais. Nous voudrions éliminer ces problèmes. »
Et là Michaël Steinberger pose une question qui sonne de façon très prémonitoire : « Mais pour résoudre ces difficultés, était-il opportun de créer plus de règles encore ? »
Et bien sûr de jouer ensuite le provocateur « Soudain, je m’avisai de jouer le rôle de Milton Friedman, le libéral par excellence. Au lieu de multiplier les règles, pourquoi ne pas en réduire plutôt le nombre, et laisser la liberté aux vignerons de faire ce qu’ils ont à faire et aux consommateurs de décider quels sont les vins qui méritent d’être bu ? »
Réponse de HB à la sauce américaine « Au cours des années 1930 et 1940 la régulation était légère. « Les règles n’étaient pas très nombreuses – elles couvraient les limites territoriales et les variétés de cépages. Historiquement, les producteurs d’une même appellation fabriquaient leur vin de la même façon. Ce n’était pas le même vin, mais un vin similaire. » Fallait le dire vite cher Hervé, la typicité et l’air de famille couvaient déjà sous cette interprétation élastique de l’Histoire mais quand je lis que « certains d’entre eux s’étaient éloignés de manière inacceptable des pratiques de fabrication traditionnelles » je me contente de répliquer : « lesquels ? » et était-ce vraiment eux qui perturbaient la notoriété de leur appellation. Pour étayer ma démonstration j’ose rappeler tous les soucis fait à JP Brun en Beaujolais. Ce flou artistique, cette ambigüité assumée, c’était bien là où ça faisait mal et ou malheureusement ça fait toujours mal.
Quand au couplet : « Lorsqu’on appartient à une tradition collective, me dit Briand, il faut bien établir des règles pour les choses importantes, et vous ne pouvez laisser faire un vin complètement différent. » il serait risible s’il était insignifiant mais, contrairement à notre Miltonfriedmanien d’occasion, moi je ne rêve pas, moi je ne verse pas dans la charge anti-fonctionnaire, mais je me contente de surligner les choses importantes en ajoutant que dans la doctrine des pères fondateurs des AOC les régles étaient celles qu’ils se donnaient à eux-mêmes pour se les appliquer. Même pour des neurones étasuniens ça ne peut se traduire par la seule mainmise publique sur les vignerons. Le malheur c’est qu’avec de tels glissements sémantiques nous avons confiés les clés de nos AOC à l’étage européen qui n’adore rien tant que la paperasserie avec quelques coquelicots dans les chaintres pour faire joli, ils adorent verdir les règlementations et les aides ces chéris.
Évidemment ce cher Steinberger, « perverti » par la doctrine de Sève dégainait son argument canon « Il me paraissait à moi que le problème était que les bons vignerons se trouvaient contraints de transgresser de mauvaises règles. J’invoquai le nom de Jean Thévenet, dont les difficultés avec son appellation dans la région de Mâcon avaient fait l’objet de certains articles de journaux. »
« Débat de nègres dans un tunnel » tout le monde aux abris, chacun dans son bunker : le gros de la troupe dans l’un, la petite poignée des irréductibles dans sa baraque en paille, la messe est dite, repliez vos gaules nous sommes entrés dans le royaume de la norme. Le piège s’est refermé. Ayant suffisamment payé de ma personne sur ce sujet au point d’être tricard du côté du CAC je ne vais pas en rajouter une couche. Cependant, s’il est un point sur lequel je suis à 100% d’accord avec Michaël Steinberger c’est que le monument édifié par les Paganini de la Qualité, avec un Grand Q, tous les grands acheteurs internationaux s’en tapent comme de leur première chemise. Alors tout ça pour ça ! C’est à pleurer. Pas étonnant que, comme je l’ai lu dans VSB, Philippe Vergne président du Syndicat des Vignerons du Languedoc, demande que les zones AOC touchées par la crise soient considérées comme zones défavorisées et puissent prétendre à l’indemnité compensatrice de 15 à 20 € à l’hectare. S’il estime qu’on est dans le juste prix avec une fourchette de 47 à 50 € en vins de pays de département, la fourchette de 53 à 56 € pour les AOC « ne reflètent pas leur valeur »
Alors, lorsque notre brave Hervé Briand, qui n’en pouvait mais, se prend les pieds dans le tapis, rétrospectivement on se dit que poser le problème ainsi n’avait pas grand sens. La poutre et la paille, air connu.
Pour mémoire je cite « Un excellent producteur – et là Briand se piégea lui-même, ce qui l’obligea à reformuler –, un producteur qui a une bonne intuition du marché peut faire un vin qui aura beaucoup de succès sans pour autant faire partie d’une AOC. Monsieur Thévenet n’est pas un mauvais homme ; c’est un grand homme, et il fait un grand vin. Mais nous sommes confrontés à ce problème partout ailleurs en France : des gens qui font du vin complètement différent. Et on ne peut laisser faire ça. » Le manque de conviction perceptible dans sa voix laissait penser qu’il ne croyait pas lui-même à son argumentation. »
Je m’en tiendrai là en laissant notre cher chroniqueur américain à ses rêves libéraux et à sa vision, certes passionnante, mais un chouïa trop appréhendée par le petit bout de la lorgnette lorsqu’il mélange allègrement les problèmes des vignerons qui ne font pas comme les autres, assez minoritaires (ce qui ne signifie pas sous ma plume qu’il ne faut pas se soucier d’eux) et ceux de la masse des AOC dont le souci principal est que leurs vins n’intéressent plus le marché. Tout commence dans les vignes, une fois le vin fait il faut le vendre et tous les machins normalisateurs qui coûtent des sous n’y peuvent rien. La nouvelle segmentation administrative des vins n’a d’intérêt que si, à la source, certains ne se contentent pas de produire des vins de papier.
Allez cher Hervé Briand, tu me connais bien, tu as croisé mon chemin au 78 rue de Varenne, je t’ai toujours un peu étonné par ma légèreté, mon goût prononcé pour ce que tu considérais comme de la frivolité, mon rapport t’a un peu sidéré mais comme tu es un type sincère, comme face à Michael Steinberger, en bon petit soldat tu as fait ton devoir avec sérieux et honnêteté. Ce retour en arrière c’est de l’histoire, rien qu’un petit fragment du passé que j’ai rangé au rayon des occasions manquées. Mais, après tout, pourquoi s’en faire, même si l’adage populaire affirme que le temps perdu ne se rattrape jamais, comme le dit très finement un responsable professionnel de haut rang, à propos de la bataille pour la non libéralisation des droits de plantation en 2016, « Tant qu’un dossier n’est pas perdu, il peut être gagné ». L’avenir nous le dira, cinq années ça semble un temps long mais en attendant vive le Catenaccio ! En français c’est moins sexy : on bétonne ! Et bien sûr en Suisse, c'est le verrou suisse. Va doucement c'est tout bon diraient non amis savoyards !