L’Union Européenne, hormis l’euro, qui est sa devise officielle et la monnaie unique commune à dix-sept de ses États membres, et de quelques politiques communes : dont la plus célèbre : la PAC, n’est, plus de 50 ans après sa naissance sous l’impulsion de Robert Schuman et d’Alcide de Gasperi, qu’un pâle ersatz des Etats-Unis d’Europe. À dire le vrai, même si en vertu des fameux accords de Schengen nous circulons librement à l’intérieur de ses frontières, nous ne partageons vraiment pas grand-chose ensemble, nous n’avons guère le sentiment d’être les citoyens d’une communauté de destin et de bâtir ensemble une entité territoriale et humaine forte et solidaire. Le chacun pour soi, les nationalismes, les régionalismes, attisées par les menaces, réelles ou fantasmées, ne laissent guère de place à un réel vivre ensemble. Je ne suis ni européiste, ni eurosceptique, mais tout bêtement un euro-réaliste qui, puisqu’il est né sitôt après le dernier grand conflit européen, sait ce que cette communauté nous a apporté – en dépit de ses insuffisances, de sa timidité, de sa couardise, de sa bureaucratie, de sa vulgate libérale – : la paix, une prospérité partagée et un ancrage qui peut nous permettre, dans les grandes fractures de la mondialisation, de faire contrepoids aux nouveaux empires économiques.
Mon propos de ce matin n’a pas l’ambition de redonner à la gangue européenne de la vigueur, de faire lever sa lourde pâte mais, plus modestement, de partager avec nos voisins italiens, un mot que je trouve beau : l’agriturismo. Il sonne bien, il chante, il monte, s’élève, léger, charmant, il fleure bon la campagne, je n’ose écrire le terroir, il évoque de bonnes tables : « Qu’est-ce que la gloire de Dante à côté des spaghettis ? » s’exclamait en 1954 l’écrivain Giuseppe Prezzolini, il embrasse bien plus largement que le balourd oenotourisme des produits de haute civilisation : les fromages, les vins et l’huile d’olive entre autres. En effet, je trouve étrange que de beaux esprits qui passent leur temps à nous seriner les plus beaux accords mets-vins s’empressent aussitôt d’enfermer le vin dans son pré-carré de châteaux et de Clos fut-il Vougeot. Pas étonnant que le mouvement Slow Food soit né dans la péninsule même si, hormis la dérision de son appellation, son emprunt à la langue anglaise dominante est la preuve de notre incapacité à forger des mots qui nous ressemblent. Pour avoir un temps travaillé dans l’huile d’olive, et m’être rendu à la foire de Vérone, la défense de l’origine fait parti des gènes de nos voisins italiens.
Ma proposition est simple : elle s’apparente à la procédure bien connue de l’adoption. Plutôt que d’avoir recours à un mot laid, poussif, pour nommer ce nouvel accueil des urbains de tous les pays dans notre univers du bien vivre, pourquoi ne solliciterions-nous pas nos voisins italiens, qui partagent avec nous les mêmes valeurs, pour, avec leur consentement, adopter ce mot. Le faire nôtre. Je ne doute pas que nos amis italiens accueilleraient cette initiative avec enthousiasme : nous pourrions prendre comme ambassadrice Carole Bouquet viticultrice sur l’île de Pantalleria et comme ambassadeur le directeur Italien de l’OIV : Federico Castelluci. Une fois l’adoption approuvée, gravée dans le bronze ou le terroir si vous préférez, nous ferions une grande fête où nous mêlerions, sans discrimination, nos vins et nos fromages bien sûr, mais tout ce que nos tables peuvent receler de produits de saison goûteux, de charcuterie, de viande, de poissons et de glaces, de sorbets et autres pâtisserie, seul le café ne serait qu’italien. La « boisson du Diable », introduite au XV e à Venise, n’a pas d’équivalent dans le monde. Ce serait la fête des Voisins à l’échelle de deux pays. Nous apprendrions plus encore à nous connaître et, ainsi, je suis persuadé que nous ferions progresser l’idée que cette Union mal foutue vaut mieux que la solitude de nos vieilles nations.
Certains vont dire que je suis foutraque, que mes idées sont braques, qu’à l’heure où l’on bloque des trains à Vintimille, il y a mieux à faire que de célébrer l’adoption d’une belle appellation qui ainsi nous deviendrait commune ! En êtes-vous si sûr ? L’Italie vous connaissez ? Avez-vous pris la peine de la découvrir ou ne faites-vous pas comme avec vos voisins : bonjour-bonsoir, chacun chez soit et les cochons seront bien gardés. En tant que petit chroniqueur de la Toile je m’efforce d’être curieux des autres et comme je ne peux passer mon temps chez eux alors je lis : leur littérature ou des ouvrages tel que celui publié par Autrement : l’Atlas de l’Italie contemporaine qui, donne une vision synthétique, accessible à tous, de ce pays avec lequel nous partageons « une histoire commune faite d’incompréhension et d’admiration réciproque » Comprendre ce pays singulier pour mieux se comprendre est le maître-mot de cet ensemble de textes et de cartes. Approche, historique et géographique, qui permet de sortir de nos clichés et de nos idées reçues.
La botte italienne, cette péninsule qui s’étire sur 1300 kilomètres à la pointe de laquelle une grande île, dont le nom nous semble synonyme de mafia : la Sicile et, sous notre Corse rétive, la Sardaigne massive. Reste que, ces derniers jours, c’est un confetti d’île, à mi-distance de Catane et de Sfax, qui fait la une de l’actualité. Son nom, jusqu’à ce moment historique, évoquait le Guépard de Giuseppe Tomasi, prince de Lampedusa. L’Italie de Berlusconi, du malgoverno, du calcio, d’Umberto Bossi, de Mussolini, des années de plomb, du cinéma néo-réaliste, des Ferrari et de la Vespa, « une marqueterie de paysages et d’écosystèmes particuliers qui ont favorisé la formation de multiples patries et campanilismes » avec la césure entre son Nord industrieux et son Sud pouilleux : avec deux capitales Rome et Milan... L’Italie qui n’est pas la fille aînée de l’Eglise mais, où l’empreinte du catholicisme renforcé par l’enclave du Vatican même si les papes ne sont plus, depuis l’éphémère Jean-Paul 1 er, italiens, reste forte. L’Italie de l’absolue richesse de son patrimoine artistique : Florence et sa galerie des Offices, Venise sa Biennale et sa Mostra, la Rome antique..., L’Italie et son piccolo è bello le small is beautiful à l’italienne : petites unités à base familiale spécialisées dans des secteurs à technologie mâture et à haute valeur ajoutée : les Tods de Della Valle, Gucci, Prada, Armani, Alessi... L’Italie des mommoni (fils à maman) ces bomboccioni qui vivent longtemps dans les jupes de la mamma (résidence tardive au domicile familial : 70% des 20-34 ans en 2008). L’Italie longtemps terre d’émigration est maintenant la pointe la plus avancée de l’immigration « Aujourd’hui, ce promontoire au littoral difficilement contrôlable représente un Eldorado pour des masses d’immigrés venus de pays pauvres ou émergents, ou une simple étape dans leurs marches, semées d’embûches vers l’ouest et le nord. L’Italie, point de passage obligé entre l’Orient et l’Occident, creuset historique des influences de ces deux entités, est membre d’une Europe dont l’épicentre se situe désormais au nord et tend même à s’orienter vers l’est. »
Il y eu, dans un passé récent, entre l’Italie et la France « une guerre du vin » et j’ai le souvenir du Traité de paix et d’amitié cosigné par Filippo Pandolfi et Henri Nallet, Ministres de l’Agriculture, d’abord dans le Vieux Nice au Palais de la Préfecture des Alpes Maritimes, appelé aussi Palais des rois sardes, l’ancienne résidence des rois de Sardaigne, puis à Bordighera dans une villa où eut lieu le 12 février 1941 une rencontre entre Benito Mussolini, alors chef du gouvernement, et le caudillo Francisco Franco pour discuter de l'entrée en guerre de l'Espagne au côté des forces de l'Axe. Souvenirs, souvenirs, si je retrouve le Traité dans mes archives je chroniquerai...