Suffirait-il de s’asseoir face à une paillasse sur laquelle sont déposés 80 flacons pour avoir la prétention de porter un jugement définitif sur les vins du Roussillon ?
Bien sûr que non, car la réalité de ce territoire ne peut être saisie et comprise au travers d’une dégustation, fusse-t-elle à l’aveugle et effectuée par des dégustateurs patentés. Pousson a totalement raison lorsqu’il écrit « l'exercice de dégustation à l'aveugle et de classement des vins «est parfaitement ridicule, dépassé, ringard» «quand un système déconne, mieux vaut en changer!» «Comprendre que « le meilleur », ça n'existe pas, c'est stupide, irréaliste. Il y a des vins pour chacun, et pour chaque moment.»
Je partage aussi le point de vue de Sylvie Tonnaire dans Terre de Vins « le Roussillon est le plus beau vignoble du Sud de la France voire de l’Europe. Pourquoi ? Pour trois raisons simples : la géographie, la géologie et le patrimoine ampélographique… link
Mais, comme toute bonne dégustatrice, elle ne fait pas grand cas de l’histoire réelle du vignoble du Roussillon lorsqu’elle écrit : « Ces trois raisons simples se conjuguent à l’Histoire de la viticulture, c’est ici que sont nés les vins doux naturels, miraculeux de longévité. S’ils sont passés de mode aux yeux du plus grand nombre, pour les autres, ce n’est que du bonheur… »
En effet, l’histoire de la viticulture du Roussillon ce fut avant tout celle des VDN de masse, grandeur et chute d’une économie viticole dominée par de grandes marques. Une petite rente pour la grande masse des viticulteurs du Roussillon qui ne prédisposait guère à l’appréhension des attentes des consommateurs.
L’Indépendant de Perpignan le soulignait dans son article « Dans son "combat" Vincent Pousson a trouvé un allié de poids en la personne de Jacques Berthomeau, contrôleur général du Ministère de l'Agriculture, bien connu en Roussillon pour avoir joué en son temps le rôle de médiateur dans un problème financier des muscats. »
Ironie du peu de mémoire du journaliste car au temps où je fus médiateur les muscats étaient l’espoir du renouveau des Vins doux, demandez-donc à Jean-Luc Pujol, alors jeune et brillant vigneron à Fourques dans les Aspres, président de la Confédération Nationale des VDN, link et le Rivesaltes devenu Grand Roussillon le désespoir des vignerons.
Lorsque je fus dépêché, en plein mois d’août, par le Ministre de l’époque Louis le Pensec, sur le conseil d’un certain Jean-Luc Dairien actuel directeur de l’INAO, c’est les stocks de Rivesaltes avaient atteint la limite du supportable et que le château de cartes artificiellement tenu par le CIVDN s’écroulait. C’était chaud : un vigneron fut embastillé pour avoir balancé un cocktail Molotov dans les chais d’un négociant qui cassait les prix. Le président du CIVDN de l’époque Bernard Dauré ne contrôlait plus rien.
L’économie de la viticulture roussillonnaise était l’une des pires de France, le revenu viticole était le plus bas de France, bref, il fallut faire sauter le CIVDN, créer le CIVR pour fédérer les vins secs et les vins doux. Faire comprendre, y compris aux politiques de l’époque la SOCODIVINS, que l’avenir du Roussillon ne se trouvait pas dans le renouveau des VDN de masse.
Ce petit rappel historique pour dire l’état de la viticulture roussillonnaise à l’entrée du XXIe siècle. Je n’irai pas au-delà de ce constat pour ne pas apparaître comme un ancien combattant mais j’ai passé 18 mois de ma vie, à raison de 2 ou 3 jours par semaine à sillonner le Roussillon profond. Pas pour y faire du tourisme ou de la dégustation, mais pour me frotter aux hommes de ce pays. J’ai même connu en ce temps-là un certain Hervé Bizeul en son fief qui n’avait pas encore découvert la Petite Sibérie…
Quelques questions en vrac :
- Les Vignerons catalans, qui s’en souvient ?
- La Martiniquaise what else ?
- Le Grand Roussillon c'était quoi au juste ?
- L’économie de Banyuls a-t-elle été sauvée par le Collioure ?
- Celle du Maury et de sa coopé « soviétique » a-t-elle raté le bon wagon ?
- Demandez-donc à Jean-Luc Thunevin ce qu’il pense de la rentabilité de son investissement à Maury ?
- Quel est le poids de la coopération en Roussillon ?
- Le Mas Amiel joue quelle carte ?
Comme le répète souvent mon vieux mentor Michel Rocard « la prise en compte de la réalité économique ne saurait nuire à la compréhension de l’avenir… »
L’avenir économique des vins du Roussillon, les vins secs comme on dit là-bas, le « revenant bon » pour les vignerons, passe par un travail collectif de fond – qu’il ne faut pas assimiler à celui des OPA actuelles et officielles – de la nouvelle génération de vignerons pour que leur notoriété toute fraîche, bien fragile, ne soit pas détériorée ni par une engeance de dégustateurs hors-sol, ni par le poids d’une histoire qui n’est pas encore soldée…
Comme mes archives sont bien tenues, mieux que celle des journalistes de l'Indépendant de Perpignan, les copies des articles sont d'époque novembre 1998 et avril 1998. La note au Ministre est elle du 9 mars 1999.