"J'exploite 23 ha de vigne, tout en Bordeaux rouge. Je livre l'ensemble de mes vins à la cave coopérative. Je possède 8 ha en propre, le reste correspond à du fermage familial. J'ai démarré sur une structure d'environ 13 ha de vignes. A l'époque, le vgnoble était mixte, moitié rouge, moitié blanc et sur l'exploitation, nous cultivions du maïs, des arbres fruitiers. Lors de mon installation, j'ai emprunté pour acquérir un peu de propriété. A l'époque, les parcelles de vigne se négociaient près de 290-300 000 F l'ha. J'ai également emprunté pour réaliser un plan de restructuration, assurant la replantation de toute l'exploitation en rouge, y compris les terres qui supportaient les céréales et le verger. La vigne procurait une marge beaucoup plus intéressante. Il a fallu financer le renouvellement de tout le matériel d'exploitation. A la coopérative, nous étions un groupe de jeunes viticulteurs à avoir repris de petites exploitations familiales. Nous voulions démontrer notre esprit d'entreprise et tenir les promesses que l'on avait mises en nous. Les techniciens de coopérative, les oenologues, les négociants, les techniciens de Chambre...tous, ils nous disaient que nous avions plus de chances de nous en sortir en produisant de la qualité. Nous avons foncé tête baissée. Avec mes collègues, on s'est engagé dans une charte de qualité. La coopérative avait mis en place un système de paiement tenant compte de la taille, des travaux effectués, du mode de ramassage, avec visite deux fois par an des parcelles... Je me suis mis à faire du désherbage en plein, j'ai semé les inter-rangs, j'ai modifié la taille pour passer des grandes acures aux petites acures. Pendant plusieurs années, j'ai fait tomber des raisins, j'ai effeuillé, enlevé les contre-bourgeons... Nous avons fait tout ça. le comptable me mettait en garde, m'avertissant que les coûts de production devenaient élevés. Mais j'étais très motivé. A la coopérative, mon vin était vinifié à part, sous un nom de château. J'ai obtenu des médailles dans plusieurs concours. J'étais persuadé que de toute façon, en produisant un bon vin, j'arriverai à mieux le vendre, à amortir les coûts élevés. la coopérative avait investi dans de la thermorégulation pour toute la cuverie, sans parler de la traçabilité, la mise aux normes, une chasse à air pour tous les châteaux. " Manque de bol ", les cours ont commencé à plonger. En deux ans, entre 2003 et 2005, mon chiffre d'affaires a été divisé par deux. De 210 000 euros, il est passé à 9000. Avant la crise, la coopérative vendait très bien en vrac. Elle possédait une certaine réputation, due à la qualité de sesterroirs et à sa manière de travailler. a l'époque, le comptable nous disait que nous valorisions aussi bien nos vins en vrac qu'en bouteilles. Nous avions noué un partenariat avec un négociant, qui nous garantissait d'enlever les vins 10% au-dessus des cours de marché. aujourd'hui ce négociant nous achète au même prix que les autres. Seule différence : il se permet de choisir les vignes qui l'intéressent, exige une certaine méthode de vinification, déguste les différentes cuves et, souvent, en choisit parmi celles qui ne font pas partie de son contrat. Il profite de la situation. Pour la récolte 2006, en janvier, nous en sommes à 750 euros le tonneau. [... ]
Extrait du témoignage de Jean-Luc D recueilli par Catherine Mousnier dans le Paysan Vigneron revue régionale viti-vinicole des Charentes et du Bordelais N° de janvier 2007 consacré à la Crise des vins de Bordeaux : Une prise de conscience collective
Je vous livre ce témoignage, sans commentaire, car il parle de lui-même. Dans sa présentation du dossier, Catherine Mousnier, écrit " Voilà au bas mot trois ans qu'une partie significative de la viticulture bordelaise est plongée dans une profonde crise. Les viticulteurs les plus touchés ont perdu la moitié de leur chiffre d'affaires en l'espace de deux campagnes. le pire, c'est qu'ils avouent, désemparés, " n'avoir rien vu venir ". Par un brutal revirement de situation, comme le marché en a le secret, la crise a fauché nombre d'entre eux en pleine ascension, qui n'avaient même pas démérité..." Comprenez-moi, moi qui suis sur la dunette depuis 2001, je suis un peu vénère de lire des choses pareilles. J'hallucine. Mais bon comme disait le président du CIVB de l'époque : tous les feux sont au vert, je n'étais qu'un oiseau de mauvaise augure, un mauvais français, rien qu'un haut-fonctionnaire parisien qui ferait mieux de fermer sa gueule. Les faits sont tétus et les hommes versatiles...