Sur la vidéo Marie, micro-cravate, entourée de ses chefs de culture se promenait dans ses vignes. Elle ne s’embarrassa pas de circonvolutions elle alla droit au but. Si Marie s’était contentée d’annoncer une simple baisse, même forte, de ses prix, la place de Bordeaux ne se serrait pas autant émue. La mécanique qu’elle venait d’enclencher était beaucoup plus subtile car la conjonction de son retrait des primeurs, de son refus des allocations au négoce et de la programmation d’une forte baisse modulée, suivant un savant calcul qu’elle détaillait, et étalée sur trois années, plaçait les propriétaires haussiers en porte-à-faux. Pour les courtiers la messe semblait dite, Marie avait annoncé la couleur « Pourquoi m’encombrerais-je d’un entremetteur pour fixer mes prix ? Moi la tendance je m’en balance tout comme ce que mijotent mes concurrents. Je connais mes prix de revient et l’important pour moi est de pouvoir financer mes investissements, qu’ils soient physiques ou commerciaux. Me goinfrer et faire du surprofit ne m’intéresse pas. » Ce froid langage glaça d’horreur ceux qui espéraient voir en Marie une Cigale dispendieuse. D’ailleurs, avec son ton gouailleur, elle avait signifié qu’elle ne partait pas au combat sans d’importantes réserves de munitions. « Je succède à cinq fourmis, des vrais, des âpres au gain, des qui vivaient chichement sur des matelas bourrés d’or. Moi, jusqu’ici, sans faire grand-chose de mes dix doigts, je vivais de trois fois rien qui était déjà beaucoup. Comme vous l’ai dit je sais et j’adore compter alors, ne comptez donc pas sûr moi ni pour dilapider le capital qui vient de me tomber dessus, ni gonfler un bas de laine comme une grosse reine. Nous allons faire du vin, des vins, et nous allons les vendre au plus prêt de ceux qui peuvent ou qui veulent les consommer. Sans doute allez-vous me trouver prétentieuse mais me contenter de jouer à la châtelaine, très peu pour moi ! Bien sûr, mon expérience commerciale est mince : vendre de la charcuterie au Monoprix de la rue de Rennes doit vous paraître à la portée de n’importe quelle grande idiote de mon acabit. Franchement, sans vouloir vous vexer, croyez-vous vraiment que vendre certains de vos GCC à des prix astronomiques est une tâche qui requiert des compétences particulières ? Vu l’emballement actuel ce n’est pas du commerce qui se fait ici mais plutôt du nursing pour nouveaux riches. Bien sûr tout le monde n’est pas logé à la même enseigne et, sans être vraiment à la peine, beaucoup de mes chers confrères ne pètent pas dans la soie. Donc c’est clair ne comptez pas sur moi pour participer à cette version financière de la Grande Bouffe de Ferreri. Ceci dit, qui trop embrasse mal étreint, que les maisons de négoce se rassurent je ne souhaite pas les mettre hors-jeu. Simplement il leur faudra me persuader que le service qu’elles m’apportent justifie le passage de nos vins en bouteilles par eux pour être distribués dans certains pays. Même si vous me prenez pour une nase, je sais cela. Que je sache nous ne sommes à la Bourse des Grains de Chicago ou sur le marché spot du Brent mais rien qu’à Bordeaux. Moi j’aime les contacts directs, la vie quoi. Pas des jeux d’écritures ou des ordres donnés au téléphone. Enfin si j’ai choisi de m’exprimer par ce moyen un peu déshumanisé c’est pour que vous puissiez m’écouter tranquillement chez vous hors d’une assemblée où, sans vouloir vous offenser, il facile à certains d’emporter l’adhésion. Sachez que j’ai pour principe de dire ce je fais et de faire ce que je dis, alors si ce que je dis vous déplaît ma porte est grande ouverte...