Appliquée aux Bettencourt, Liliane et sa fille, la citation des Nourritures terrestre d’André Gide « Familles, je vous hais ! Foyers clos ; portes refermées ; possessions jalouses du bonheur.» est un pied-de-nez de l’Histoire qu’aurait apprécié à sa juste valeur provocatrice Pierre Bettencourt, le frère d’André le mari de Liliane. Il l'avait fait imprimer sur un billet de 20 francs, ce qui provoqua l’ire de la Banque de France calmée par le bras long du Ministre Bettencourt. Mais sous ce patronyme se cache le trouble Eugène Schuller, le père de Liliane sa fille unique, financeur de la sinistre Cagoule d’Eugène Deloncle, l’inventeur de l’Oréal. Nous sommes ici face à l’ambigüité française en un temps que nous ne voulons plus connaître.
Pierre Bettencourt (1917-2006), je l’ai découvert au cours d’une soirée, chez un ami, dans le secret de sa bibliothèque emplie de trésors bibliophiles. Pendant que d’autres, les forçats de la plume, faisaient semblant de ne pas s’emmerder dans les dîners au château, pour ce faire ils comptaient les convives, dépiautaient les menus et s’extasiaient face aux vins servis, moi vautré dans un canapé je touchais, que dis-je j’effleurais, je caressais, je dénudais des livres rares aux saveurs excitantes, je les dégustais sans hâte, je m’extasiais. Vous pensez bien que je n’avais aucune compassion pour les petits marquis qui, en bout de table, se croient importants alors qu’ils confinent à l’insignifiance. Moi je suis un privilégié de la plume qui surfe sur ses insignifiances, les revendique même, mais qui se fait un grand plaisir de pisser au long de la raie des coqs de basse-cour. Suis-je vulgaire ? Je ne sais mais je suis et je reste aux côtés de ceux qui ne suivent pas les chemins ordinaires. Je leur réserve mon admiration. La réussite ne se situe pas toujours dans les soi-disant hauteurs de fortune mais se niche plus souvent dans le talent pur. Merci a toi P... toi qui, en plus, me dit que je fais parti de la famille. Avec de tels enfants j'en suis heureux et flatté.
Pendant que les Allemands occupait la France avec la complicité du Maréchal, Pierre Bettencourt, dans la maison familiale de Saint-Maurice-d'Ételan (Seine-Inférieure) , elle-même occupée par les militaires, « inventa une occupation irréductible: l'édition, sur sa propre presse à bras. Le culte de l'acte esthétique, l'amour du métier, la recherche de la beauté qui se niche dans le moindre détail » Cette résistance ne le quittera plus. « Après des études secondaires au Havre et en Savoie, Pierre Bettencourt suit au Collège de France le cours de poétique de Paul Valéry. En 1948, il offre ainsi, dans la quasi-clandestinité de son art des catacombes, un texte d'Antonin Artaud l'année même de la mort du poète: Le Théâtre de Séraphin. Cette diatribe inspirée, rédigée à Mexico en 1936, recèle la force des mages maudits: «Cela veut dire qu'il y a de nouveau magie de vivre; que l'air du souterrain qui est ivre, comme une armée reflue de ma bouche fermée à mes narines grandes ouvertes, dans un terrible bruit guerrier.»
Pierre Bettencourt le passeur « devait mettre ainsi entre quelques mains choisies d'autres poètes essentiels, comme Henri Michaux et Francis Ponge. Il devait surtout, après avoir publié Plukifeklair Mouinkonnivoua de Jean Dubuffet, devenir l'ami de cet artiste, qui lui adressera, de 1949 à 1985, des lettres tordantes » Pierre Bettencourt, le chaînon manquant 20 juillet 2010 | Par Antoine Perraud sur Médiapart.
Pour vous, rien que pour vous, quelques photos prises à la volée, mais pas volées, rien que pour le plaisir de se glisser dans les lignes de ce Bettencourt là, loin de la petite frappe suceuse de vieille héritière, loin des ressauts mère-fille, loin des requins de la basse-finance, tout près de cet artisan qui voyageait en solitaire, défiant l’esprit du temps, hors tout, sauf la beauté et l’inutilité du geste.