Bernard Lambert fait partie de ceux qui ont compté dans ma « fabrication »
Le 25 juillet 2011 j’écrivais :
Je me souviens de Bernard Lambert, ce fils de métayer, sa Gitane maïs aux lèvres, son charisme échevelé et envahissant, son slogan «le Crédit Agricole paiera !», les poulets de mon frère Alain capté à sa SICA-SAVA de Challans, son bouquin au Seuil «Les Paysans dans la lutte des classes» 1970 préfacé par un certain Michel Rocard du PSU, c’était le temps de Secours Rouge, des réunions enfumées, de la vérité au fond des verres, la Vendée agricole qui basculait, se défigurait, prenait le seul chemin qu’on lui offrait...
Gordon Wright qui s’est penché sur l’histoire de la France contemporaine et écrit un livre majeur « La Révolution rurale en France » en 1964, décrit le contexte dans lequel Lambert s’est construit :
Teillé : tradition féodale et révolution paysanne
« Le village de Teillé se trouve dans les marges méridionales de la Bretagne, dans l’agréable région de pâtures voisine de Nantes. Le receveur des P.T.T, avec un rien de fierté, montre le chemin de la ferme de Bernard Lambert, un des plus jeunes députés du Parlement français.
C’est une région où la féodalité, bien qu’officiellement morte en 1789, a survécu en esprit et dans les mœurs jusqu’à nos jours. Une grande partie des terres était exploitée en métayage jusqu’en 1945 ; les propriétaires pouvaient venir faire un tour sans prévenir pour surveiller la moisson, regarder ce qui se préparait en cuisine, prendre dans la basse-cour un poulet pour l’emporter. Certains parmi les plus vieux paysans continuent à saluer en se courbant lors d’une telle visite et s’adressent au propriétaire en l’appelant « Monsieur notr’maître ». Bernard Lambert rapporte qu’en 1938 son père, un métayer, avait gagné une radio dans une tombola – la première qu’on eût vue à Teillé, qui l’admiration et l’enchantement de tout le village. Deux jours après, le propriétaire se présentait : « Lambert, vous me devez de l’argent ; pas de luxe chez vous tant que vous avez des dettes. Je vais prendre la radio et je la créditerai à votre compte. » « Un bon moyen de faires des communistes », fait sèchement remarquer le jeune Lambert.
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Cher tous,
La cave achevée, moins un cyprès et un micocoulier, je vous ai cette année écrit un petit discours. Je vais vous le lire et vous l’enverrai avec le PV de l’AG.
J’ai trouvé que je vous le devais et qu’il était bien qu’il reste une trace écrite des choses. Et lorsque les choses sont le fondement de ce qui nous anime, elles méritent aussi de prendre corps et forme avec les mots.
Ce petit discours est une manière de vous remercier de votre confiance, de votre soutien, de votre engagement, et aussi de partager avec vous quelques idéaux bien que l’on n’ose plus les énoncer que du bout de la langue.
Un jour, Harry, l’un de nous qui n’est pas là aujourd’hui, m’a dit : « Mais pourquoi t’es-tu embêtée avec un truc aussi lourd, avec autant de paperasses, et beaucoup d’argent laissé à un système ? » D’autres, pas du GFA, m’ont aussi suggéré des voies, dirons-nous plus souples, du genre crowdfunding. Je résume : des tiers financent un investissement précis, en échange de quoi ils reçoivent du vin et une reconnaissance temporelle de la vigneronne, puis l’investissement réalisé, basta, chacun sa route.
Ce n’est pas ce que j’ai choisi. J’ai effectivement opté pour un vieil outil juridique, lourd, qui passe solennellement devant le notaire et le greffe du tribunal de commerce. Les GFA sont entrés dans le code rural en 1970 pour faciliter la transmission des exploitations familiales en favorisant la transmission de parts plutôt que du patrimoine. Dit autrement, c’est la parade que l’on a trouvée au tragique droit d’aînesse qui a fait des générations de « pas à leur place », « de mal dans leur peau », d’amers contrariés. C’était aussi l’une des tentatives de l’Etat pour favoriser l'investissement dans l'agriculture ainsi que d'éviter l'émiettement des exploitations. On notera qu’avec les pratiques culturales elles-mêmes, l’urbanisation et la financiarisation sont les principales menaces qui obstruent aujourd’hui le ciel de l’agriculture. Depuis, les GFA sont les piliers silencieux mais efficaces de l’agriculture. L’immense majorité sont familiaux car la terre est encore une histoire de sang.
Le plus grand, le plus célèbre, et peut-être le plus proche de l’idéal des GFA est celui du Larzac. Il a été constitué trois ans après leur inscription dans la loi, comme s’il avait été créé pour cette cause. Il s’agissait alors d’un acte de résistance face aux achats à l’amiable de l’armée ou à l’expropriation. Bernard Lambert, le fondateur des Paysans Travailleurs, eux-mêmes ancêtres de la Confédération paysanne - il se trouve être natif du pays nantais-, y voyait un « laboratoire du foncier ». Entre la propriété foncière individuelle et les kolkhozes et sovkhozes soviétiques, le GFA est la traduction philosophique d’une conciliation, en l’espèce de l’individuel et du collectif. Et, peut-être en héritière de Bernard Lambert et de l’anarcho-syndicalisme qui a éclos en Loire-Atlantique, cette conjugaison de l’individuel et du collectif, l’un n’existant pas à l’exclusion de l’autre mais au contraire s’aidant l’un l’autre, me convient philosophiquement. Je crois profondément que toute action est et doit être la traduction au plus juste de la pensée.
Je vais aller encore plus au cœur de la pensée, à ce qui nous réunit aujourd’hui. Vous savez tous que je ne suis pas venue dans les vignes pour faire du vin. Je suis venue dans les vignes pour les vignes, ou plus exactement pour la terre, et plus probablement encore pour accepter de me soumettre afin de vivre libre. Néanmoins, travaillant les vignes, il me fallut bien faire du vin. C’est alors que j’ai compris que le vin était ce que je devais aux vignes et que dès lors il devait être bon. Car la vigne et le vin, et c’est là que le GFA prend tout son sens, sont les témoins de notre inscription dans le temps qu’il fait, c’est-à-dire le présent, et le temps qui passe, c’est-à-dire le passé et l’avenir.
Je vais reprendre cette expression dont j’ai découvert très récemment qu’elle puisait son origine dans la Bible. Plus que n’importe quelle autre culture, parce qu’elle est pérenne et nous survit, la vigne nous donne des racines et le vin des ailes. Le GFA est pour moi une manière de partager et transmettre cette inscription dans le temps et dans l’espace, de vivre une aventure individuelle et collective. Et parce que ses parts sont transmissibles entre les générations, au moins dans le principe, il nous permet de faire notre part d’humanité sur terre et pour la terre. Au nom de quoi je veux bien m’encombrer et vous encombrer de paperasses. Le GFA Larzac perdure à ce jour. Je nous souhaite également longue vie.
Catherine Bernard