Imaginez l’Isabelle Saporta invitée au salon Livres en Vignes pendant lequel se déroule « Le chapitre de l’équinoxe, de la plume et du vin » se terminant par un dîner fastueux et festif organisé par la Confrérie des Chevaliers du Tastevin où « Frairies, esbatements et réjouissances » se succèdent dans un joyeux tumulte.
Assise à la table d’honneur au milieu de messieurs en smokings désuets et de dames permanentées en robe de soirée, elle se fait passer une avoinée, disons par un Louis-Fabrice Latour ou par son successeur à la tête du négoce bourguignon le sémillant Frédéric Drouhin, « Votre article est un tissu de mensonges et d’approximations madame S. Il ne vous vient jamais à l’idée de vérifier vos informations…»
Suit une passe d’armes vinaigrée… et la donzelle de répliquer avec une certaine emphase :
- Si mon article vous a déplu, vous m’en voyez navrée… Mais la liberté d’expression est le dernier pré carré de l’indépendance de la presse.
Railleur, l’outragé lance un dernier scud :
- Liberté d’expression ? C’est une blague ? Il suffit d’acheter une pleine page de pub dans votre torchon pour changer un pamphlet en dithyrambe !
La madame lui balance une leçon de morale :
- Vous pensez que votre argent vous immunise contre la vérité, c’est ça votre problème !
Et notre grand négociant de se lever et de se retirer de la salle de réception de l’ancienne abbaye de Cîteaux à la manière d’un quelconque politicien en pétard se tirant d’un plateau de télévision « Ce que je pense ne regarde que moi et votre vérité ne vaut pas la salive que j’use à poursuivre cette conversation ! Je vous souhaite à tous une excellente fin de soirée ! »
STOP !
NON CRÉDIBLE
Où est-ce qu’il a vu jouer cela ce cher Corbeyran ?
Scénario absolument invraisemblable en l’establishment bourguignon : le dénommé Jean-Michel Froideval héritier de la puissante maison de négoce Froideval n’est pas raccord avec qui que ce soit de connu.
De plus, jamais au grand jamais, un grand négociant bourguignon ne se commettrait ainsi à interpeler une journaliste et, même s’il pensait tout au fond de lui-même qu’une bonne page de pub chez Butane&Degaz ou chez le père Denis dont la belle-mère ne boit que du Bordeaux pourrait lui valoir un beau papier de De Ruines ou d’un pigiste de la vieille dame permanentée, il offrirait à l’impertinente dame, au mieux une belle dose de silence teintée de mépris, au pire une touche d’ironie.
Quant à la Géraldine Leroy-Barreyre (ces noms à tiret me font toujours penser à Roux&Combaluzier), copie people de la journaliste d’investigation « au palais désastreux et à la langue de vipère, dont l’incompétence n’a d’égale que son étroitesse d’esprit » je n’ai aucun souvenir d’en avoir croisé une dans le magasin des journalistes du vin. Afin de ne pas m’attirer les foudres des féministes je ne ferai aucun commentaire sur la profondeur de son décolleté, ni sur le beau dénudé de son dos à la Mireille Darc.
Bref, la BD de Corbeyran Clos de Bourgogne Le Monopole part sur des bases bien incertaines mais, comme je suis respectueux de la créativité de l’auteur, je ne vais pas m’en tenir là.
L’intrigue est bien ficelée : « Paul Bernodet décide de vendre son domaine, le Clos du Pré, et demande à la jeune journaliste d’élucider la mort de Hélène Janson, une amie disparue trente ans plus tôt dans un accident de voiture. Froideval et Bernodet étaient tous les deux amis et proches de la jeune femme. Depuis ils se détestent et en sous-main Froideval tente de racheter les vignes de Bernodet. Mais qu’est ce qui pousse Bernodet à vendre ? Géraldine a en fait deux affaires à résoudre. »
Le trait de Ruitzge est net et précis.
Je suis allé au bout sans grand effort mais je ne partage pas l’opinion d’un critique pour qui « La Bourgogne et les caractéristiques de cette région viticole apparaissent en toile de fond dans ce récit bien ficelé qui explore le passé de Paul Bernodet. Se basant sur des faits qui pourraient être authentiques, Éric Corbeyran signe une histoire mêlant habilement drame, suspens et tensions. De quoi tenir en haleine les lecteurs. »
Non c’est une Bourgogne de carte-postale glamour qui nous est présentée, sans doute existe-t-elle mais elle n’est que le dessus d’un grand panier où la complexité des situations familiales et sociales sort de cette image d’Epinal.
Tout le monde ne peut avoir le génie d’un Pétillon pour saisir avec humour et férocité la réalité d’un pays.
Sur ce lien vous découvrirez quelques planches de la BD.
Cette histoire d’amour, de haine, de trahison, de transmission, touche par instant, surtout dans sa chute, à une réelle humanité, elle se feuillette facilement sans pour autant laisser un grand souvenir. C'est un peu court en bouche comme le diraient les grands dégustateurs patentés.
J’ai beaucoup apprécié le portrait du courtier Julien Merzereau, sa grosse berline allemande noire, son rôle pas très reluisant et, comme de bien entendu sa fonction de carpette sur laquelle l’impérieux Froideval s’essuie les pieds :
« Je m’en moque ! Débrouille-toi pour m’obtenir le domaine ! Si tu échoues je me passerai de tes services ! »
Dallas quoi, son univers impitoyable…