« C’est quand on est au milieu des bois que l’on s’aperçoit que c’est difficile. »
Les bois, au temps de Camus, c’était la cage aux fameux poteaux carrés dans laquelle se tenait le dernier rempart, le gardien de but, le goal qui souvent portait une casquette et pratiquait à mains nues pour capter le fameux cuir.
Le 23 octobre 1957, au Parc des Princes, le Racing Club de Paris reçoit Monaco sous les caméras des « actualités françaises ». Suite à une frappe d’un joueur monégasque et d’une erreur du gardien parisien, la balle finit au fond des filets. Le reporter se tourne alors vers un spectateur debout en imper-cravate qui n’est autre qu’Albert Camus, 44 ans, tout juste auréolé de son prix Nobel. Les malheurs du goal du Racing reçoivent l’indulgence de l’écrivain : “Il ne faut pas l’accabler. Le 23 octobre 1957, au Parc des Princes, le Racing Club de Paris reçoit Monaco sous les caméras des “actualités françaises”. Suite à une frappe d’un joueur monégasque et d’une erreur du gardien parisien, la balle finit au fond des filets. Le reporter se tourne alors vers un spectateur debout en imper-cravate qui n’est autre qu’Albert Camus, 44 ans, tout juste auréolé de son prix Nobel. Les malheurs du goal du Racing reçoivent l’indulgence de l’écrivain : « Il ne faut pas l’accabler. C’est quand on est au milieu des bois que l’on s’aperçoit que c’est difficile ».
« Il s’était habitué à occuper le poste de gardien de but depuis l’enfance, parce que c’était celui où l’on usait le moins ses chaussures. Fils d’une famille pauvre, Camus ne pouvait se payer le luxe de courir sur le terrain : chaque soir, sa grand-mère inspectait ses semelles et lui flanquait une rossée si elles étaient abîmées. Il apprit aussi à gagner sans se prendre pour Dieu et à perdre sans se trouver nul, il apprit à connaître quelques mystères de l’âme humaine, dans les labyrinthes de laquelle il sut pénétrer plus tard, en un périlleux voyage, tout au long de son œuvre. »
Eduardo Galeano, Le football, ombre et lumière.
« On se souvient de ce titre magnifique du roman et film éponyme de l'écrivain autrichien Peter Handke : «L'angoisse du gardien de but au moment du penalty». Tous les amateurs de foot et ceux, plus rares, qui ont parfois tenté l'expérience du gardien à ce moment précis mesureront la justesse et la beauté de ce titre. Il est rare que les artistes s'inspirent de ce jeu entre 22 individus qui courent derrière un ballon rond. Et encore moins de cet homme qui se tient seul et pendant 90 minutes entre trois bouts de bois et se saisit de la balle avec les mains. Pourtant, s'il est un spectacle où l'impondérable est l'enjeu essentiel, où le récit se développe dans le mouvement et s'improvise au fur et à mesure du déroulement de l'action, c'est bien celui d'un match de foot. Le processus dramaturgique de la confrontation se construit dès le coup d'envoi. Les acteurs de l'histoire participent en chœur à l'écriture d'un récit dont nul ne connaît d'avance le «pitch». Ceux qui regardent le spectacle comme ceux qui le font ignorent son dénouement. C'est une des fictions les plus réalistes et c'est ce qui fait, peut-être, la magie et la morale de ce spectacle vivant.
Mais le pénalty tout comme le tir-au-but, est sans aucun doute la dramaturgie la plus intense du football, un face-à-face au bout duquel il y aura un gagnant et un perdant, un sauveur et un maudit.
Deux noms, connus par ma génération, illustrent bien l’intensité de cet acte sacrificiel : Maxime Bossis et Faruk Hadzibegic.
Leur « pénalty raté » l’un face à l’Allemagne, qui n’était que la RFA, à Séville, le 8 juillet 1982, en demi-finale de la Coupe du Monde, l’autre le 30 juin 1990, à Florence, en quarts de finale de la Coupe du Monde face à l’Argentine de Maradona.
L’Histoire avec un grand H planait sur ce drame moderne : Séville 82 : La France crie vengeance, et lors du Mondial-1990, Croates et Serbes jouaient sous le même maillot, celui de la Yougoslavie – ce fut la dernière fois, une fin précipitée par le dernier penalty… Dans les mois qui suivirent, tant et tant de supporters devinrent les miliciens d’une guerre civile. Une guerre durant laquelle les nationalismes se sont affrontés dans le sang, sous les bombardements.
Mais revenons à la dramaturgie comme le dit très bien Platini le banni :
« Celui qui n’a jamais vu ce match n’a jamais vu un match de football. Celui qui n’a jamais vu ce match n’a jamais vu un match de Coupe du monde. Aucun film au monde, aucune pièce ne saurait transmettre autant de courants contradictoires, autant d'émotions que la demi-finale perdue de Séville ».
À tort on parle de pénalty, le péno de notre enfance, alors qu’il s’agit d’un tir-au-but qui est une épreuve utilisée pour départager deux équipes à la suite d'un match nul. Dans le cas du pénalty, le tireur ou tout autre joueur de champ peut tenter à nouveau sa chance en cas d’échec dans la continuité de l’action. Pour le tir au but c’est sans appel en cas d’échec du tireur, tir à côté, au-dessus ou sur les montants ou arrêt du gardien de but.
La loi 14 du football fait partie des 17 lois du jeu régissant le football, maintenues par l'International Football Association Board (IFAB). La loi 14 se rapporte au coup de pied de réparation, communément appelé « penalty » (de l'anglais penalty kick).
L'inventeur du « penalty kick » est l'Irlandais William McCrum, en 1890, en tant que membre de l'Association irlandaise de football de l'époque.
Le 8 juillet 1982, à Séville, les Bleus perdent en demi-finale de la Coupe du Monde contre les Allemands aux tirs au but. L’ancien Nantais Maxime Bossis s’en souvient.
- Comment vivez-vous le fait d’avoir manqué un tir au but?
Je n’en ai plus jamais tiré depuis. Je suis resté traumatisé par ça. Après dans le jeu, je n’ai pas été traumatisé car j’ai enchaîné derrière avec une saison extraordinaire au FC Nantes avec un titre de champion de France en 83. Les tirs au but, en revanche, ça n’était plus pour moi après cet échec.
- Vous avez dû vous refaire le film souvent?
Évidemment, je me suis refait le film. Je n’étais pas prévu dans les cinq premiers tireurs donc je n’étais pas préparé psychologiquement à ce tir au but (il était le sixième tireur). J’ai hésité jusqu’au but pour savoir quel côté j’allais choisir. Je me suis toujours demandé pourquoi j’ai autant assuré le coup et essayé de placer le ballon alors que j’étais tout à fait capable de le placer de l’autre côté ou de tirer en force au milieu. Plus de 2.000 fois, je me suis dit que j’aurais dû tirer autrement ce tir au but. Après, j’ai vu que d’autres en ont raté comme Platini en 86 mais c’est vrai qu’il y a beaucoup de tristesse et de culpabilité quand on rate un tir au but.
- Vous vous souvenez parfaitement du moment où vous partez le tirer?
Je me souviens de mon départ du rond central et de ma marche jusqu’au point de penalty. Ça m’a paru durer une éternité. Je me rappelle aussi que je me disais: «Qu’est-ce que je fais? Je place le ballon où? Je tire en force?» J’ai sans doute trop hésité avant ce tir au but. On me parle tout le temps de ce tir au but manqué. C’est impossible pour moi de ne pas m’en souvenir mais je n’en ai quand même jamais fait de cauchemars.
France-Allemagne de 1982, c’est un vrai chagrin que les Allemands, par la voix de Helmut Schmidt, chancelier de l’époque, ont tenté d’adoucir par le biais d’un télégramme envoyé à François Mitterrand dans lequel il écrivait :
«Le jugement de Dieu qui, selon la mythologie classique, entre en jeu dans chaque combat entre deux peuples a voulu que cette chance échoie au camp allemand dans ce match. Nous sommes de tout cœur avec les Français qui méritaient d’aller de l’avant tout autant que nous.»
En 1990, l’Italie accueille le Mondial de foot. Le 30 juin à Florence, les Yougoslaves affrontent, en quarts de finale, les Argentins de Maradona. Au coup de sifflet final, le score est nul. La séance des tirs au but s’achève sur ce qui a été qualifié à tort le penalty raté du capitaine, Faruk Hadzibegic.
Ce sera l’ultime apparition de l’équipe nationale d’un pays en voie d’implosion. C’est dans les virages des stades, tenus par la pègre, qu’ont été formés, en Serbie et en Croatie, les groupes paramilitaires, dont les méfaits, dans les années 1980, préfigurent les conflits de la décennie suivante.
Ce « penalty manqué » par Faruk Hadzibegic devenait soudain une histoire de football et de guerre. Le symbole, le déclencheur de l’éclatement d’un pays.
Gigi Riva, dans son livre le Dernier Penalty, formidable enquête, histoire de football et de guerre, ne manque pas de le rappeler, l’explosion de la Yougoslavie, «une idée romantique à l’agonie» alors, bruissait depuis quelque temps – dix ans après la mort du dirigeant Tito, la fédération socialiste n’était maintenue à flot qu’à coups d’illusions. Ainsi, ça avait chauffé fort lors d’un match entre le Dynamo Zagreb et l’Étoile Rouge de Belgrade. Dans le stade, les supporters avaient déployé des banderoles avec des slogans identitaires et créé une émeute.
Gigi Riva est rédacteur en chef de l’hebdomadaire italien L’Espresso, homonyme d’une légende de la Squadra Azzura et il a couvert la guerre des Balkans. Son livre raconte comment foot et politique se sont croisés durant un demi-siècle, jusqu’au paroxysme de Florence en 1990.
« Dans les Balkans, dire que le sport est comme la guerre n’est pas une métaphore. La guerre est la continuation du sport par d’autres moyens. »