Les petits maux qui me cloîtrent ces derniers temps dans mon appartement sont bien dérisoires à côté du malheur qui s’abat sur notre foutu monde que l’on dit civilisé.
Pas envie d’écrire, tiens pas en place, tourne en rond, pioche dans ma pile de livres, en commence un puis un autre, me disperse, dépiaute une mandarine, me rassied, me saoule d’opéra, rien ne va, rien ne me va où que ce soit…
Le Chagrin des Belges, Het verdriet van België est un célèbre roman d’Hugo Claus, publié en 1983.
Certains vont me reprocher mon chagrin de proximité alors que des morts, par fournées, chaque jour, dans le monde entier, sont passés sous silence, même pas oubliés car même pas nommés.
J’en conviens mais il faut que vous sachiez que la Belgique a beaucoup contribuée à ma culture picturale.
Dans les années 90 ce fut la boulimie, les galeries, les expositions, une immersion totale, une passion, rien ne m’arrêtait. Je chinais des toiles partout, une addiction, une faim inextinguible.
Et ce fut un jour Marcel Broodthears au musée du jeu de Paume en 1992.
« Moi aussi, je me suis demandé si je ne pouvais pas vendre quelque chose et réussir dans la vie. Cela fait un moment déjà que je ne suis bon à rien. Je suis âgé de 40 ans.»
Moi je roulais vers mes 44 ans.
Dans son journal, le mardi 8 octobre 1822, Eugène Delacroix, cher au cœur de JPK, écrivait en maugréant dans son journal :
« Quand j’ai fait un beau tableau, je n’ai pas écrit une pensée. C’est ce qu’ils disent. Qu’ils sont simples ! Ils ôtent à la peinture tous ces avantages. L’écrivain dit presque tout pour être compris. Dans la peinture, il s’établit comme un pont mystérieux entre l’âme des personnages et celle du spectateur […] Ainsi les esprits grossiers sont plus émus des écrivains que des musiciens ou des peintres. »
Broodthears fut comme Delacroix un plasticien qui aurait aimé être écrivain.
« De toutes les façons de se procurer des livres, la plus glorieuse est de les écrire soi-même » écrivait-il.
De peinture j’en parlais aussi, à Gordes, sous les charmilles, avec Michel Henochsberg.
Mais qui donc est Michel Henochsberg me direz-vous ?
Un ami perdu de vue alors que nous habitions tous deux dans le XIVe, j’écris habitions car lui l’a quitté en janvier de cette année pour rejoindre le cimetière Montmartre.
Tristesse, en des temps difficiles pour lui je fus l’un de ses rares amis à ne pas lui tourner le dos, nous correspondions épisodiquement mais je ne le savais pas malade.
Je m’en veux de ne pas avoir pu l’accompagner mais les regrets ne servent à rien et c’est pour cela que j’ai décidé d’écrire cette chronique.
Nous nous sommes connu par le cheval, le pur-sang, pendant tout mon séjour au 78 rue de Varenne le dossier des courses et du PMU fut pour moi un dossier réservé.
« Professeur d’économie de métier, il a exercé à l’université Paris X-Nanterre, Michel Henochsberg a été très présent dans les institutions du galop ces 25 dernières années. Entre 1989 et 1996, il fut président du Syndicat des éleveurs des chevaux de sang et, en parallèle, président de l’Association des éleveurs européens de chevaux de 1992 à 1996. Très proche de Jean-Luc Lagardère, il en fut même le vice-président à France-Galop en 1995. Il connut de grands succès dans l’élevage avec des poulinières comme Allegretta (mère d’Urban Sea et de King’s Best) ou encore Caretta qui a donné Kingsalsa et Al Nasr. Très impliqué aussi dans le monde des médias, il est entre autre à l’origine de la création de Jour de Galop. »
Mais pour moi Michel c’était surtout la revue Dérèglements de Comptes avec Jean-Michel Alberola le peintre.
« Entraînée, contre ses inclinaisons, dans le tourbillon de l'économie mondiale, la France n'en finit pas de désespérer ses dirigeants actuels. Ils la dessinent moderne, dynamique, agressive, totalement plongée dans cette nouvelle compétition où les premiers sont ceux qui vendent le plus.
Hélas, le français n'est pas commerçant, il n'est que producteur : depuis longtemps, entre l'Economie et la France s'est installé un grand malentendu.
Dès le carolingien et le capétien, l'espace français est d'abord celui d'un Etat : aussi, tout est en place aux premiers frémissements de la modernité économique pour que la France manque l'économie. Car il faut répéter que la nature de la verticalité étatique s'oppose fondamentalement à une fluence économique qu'elle s'emploie, vaille que vaille, à canaliser, à baliser, à circonscrire.
Certes le pays se révèle d'emblée grand lieu de production. Campée sur un sol fertile tramé d'innombrables villages (le concept de base de la réalité française) parvenus rapidement à l'autoconsommation, la France est une matrice féconde. Prodigalité laborieuse liée à la pression constante d'un pouvoir, à nourrir dans tous les sens du terme. »
Extrait de la revue Dérèglements de Comptes 8ème partie 1990 Jean-Michel Alberola et Michel Henochsberg (le texte intégral peut vous être transmis à la demande).
J’ai donc voulu tardivement saluer Michel au travers de l’une de ses multiples facettes, son compagnonnage de longue date avec Jean-Michel Alberola qui expose en ce moment au Palais de Tokyo du 19 février au 16 mai
L’AVENTURE DES DÉTAILS
« Je ne fais que des détails, je ne fais que ça. Je compte simplement sur l’addition des détails. »
« L’exposition personnelle de Jean-Michel Alberola au Palais de Tokyo cartographie la diversité méconnue de son travail. Mettant en scène de nombreuses œuvres inédites en dialogue avec de précédentes créations, elle convoque les figures de penseurs majeurs, de Robert Louis Stevenson à Guy Debord, de Franz Kafka à Karl Marx, en passant par Simone Weil et le cinéma, et forme le point de départ d’une réflexion plus large sur l’histoire et l’état du monde, sur le temps ou sur les déplacements, des plus infimes aux plus actuels.