C’est la Révolution dans le petit monde de la dégustation des Primeurs de l’UGCC….
Adieu les 5 grands châteaux, leurs allées gravillonnées, leurs beaux buffets, leurs belles hôtesses, place aux travées grises du Matmut Atlantique moquette juste posée, à l’accueil de Chevallier et Laspalès, que vive le Silent Tasting !
Du passé faisons table rase « Redonner un professionnalisme sans faille aux dégustations »
Points sur les i, revenir aux fondamentaux, silence dans les rangs, Olivier Bernard, le président de l’UGCB c’est le chef comme dans Full Metal Jacket « … les conditions de dégustations que l’on va proposer n’ont jamais été vues. D’avance, je ne veux rien entendre ! »
Exit les qui n’avait rien à y faire « … hier on cherchait à faire plaisir à tout le monde… Depuis 25 ans, nous avons gentiment laissé rentrer dans les dégustations des gens qui n’avaient pas grand-chose à y faire. »
Le chef n’a pas tout à fait tort sur ce point, mais la faute à qui ?
Aux organisateurs bien sûr, mais bon, passons.
Pauvres journalistes, une centaine, qui n’auront plus droit au charroi en 5 groupes pour déguster du lundi au vendredi en commençant à Sauternes dans 5 châteaux différents 5 groupes d’AOC crus.
Chef Olivier Bernard justifie ce rationnement « 25 châteaux, dans lesquels les conditions de dégustations n’étaient évidemment pas homogènes »
Sans être mauvaise langue la nouvelle organisation coûtera moins de pognon, façon de faire pour rationaliser le retour sur investissement.
Donc, les quatre matinées de dégustations seront désormais concentrées en deux et surtout centralisées au nouveau stade de Bordeaux, le bien-nommé Matmut-Atlantique. Une destination moins glamour, mais permettant selon Chef Olivier Bernard « un cadre professionnel inégalé. »
Si c’est lui qui le dit, ça aura sans doute la même gueule qu’une dégustation primeurs délocalisée à la Porte Maillot : sinistre !
« Pour les metteurs en marché, une journée de dégustation est également créée le lundi, réunissant au nouveau stade bordelais l’ensemble des 120 propriétés de l’UGCB dans un Silent Tasting, qui se veut aussi efficace que silencieux. Ce nouveau concept de dégustation studieuse propose à ces opérateurs l’inscription sur quatre créneaux de deux heures (entre 9h30 et 17h30, sans possibilité de déjeuner), avec la possibilité de reconduire de deux heures leur session.
« Ces gens doivent pouvoir déguster dans de très bonnes conditions » résume Chef Olivier Bernard.
J’adore !
« De 9 à14h, la matinée de mardi sera dédiée aux vins de Graves, Pessac-Léognan, Pomerol et Saint-Emilion, puis celle de mercredi aux Médoc (dans les deux cas avec possibilité de revenir sur les Sauternes présentés lundi). Balayant toute critique sur une telle concentration des dégustations, le président de l’UGCB estime que « les pros savent déguster 25 vins à l’heure. Robert Parker nous a habitués à déguster l’intégralité des vins de l’Union en une demi-journée… »
Lot de consolation les critiques et journalistes pourront cependant participer aux dégustations en propriétés pour la distribution, ainsi qu'au Silent Tasting.
Et toc !
Et cerise sur le gâteau : plus de dégustation à l’aveugle !
Là, Jancis Robinson MW s’étrangle, peu convaincu par les règles chères au théâtre classique : unité de temps et de lieu « Mais là où j’en veux le plus à ces changements, c’est que l’UGCB ne permettra plus les dégustations à l’aveugle » estime-t-elle, ajoutant « qu’ils pensent sans doute que nous pénalisons leurs vins dégustés à l’aveugle, mais ce changement proposé nous prive de l’un des principaux aspects des primeurs ».
Vous allez me dire que vous n’en avez rien à péter de l’organisation des dégustations des primeurs GCC. J’en conviens aisément mais si j’ai pris la peine de vous en informer c’est pour participer à l’immense peine causée à mes chers collègues de la petite critique. C’est horrible se taper le Matmut-Atlantique et voyager en car avec les acheteurs de la GD !
Mais rassurez-vous tout cela c’est pour la piétaille.
Il y a quelques années, un de nos plus immenses critiques que le monde entier nous envie déclarait « il est très évident que si je voulais m’asseoir dans le salon d’un grand hôtel et faire défiler les propriétaires, chacun avec son échantillon, je pourrais le faire. Si je ne le fais pas, c’est par respect du système en place et par déontologie. »
Fort bien, il ajoutait « Du premier moût à l’ouverture des primeurs, je goûte tous les vins que je veux quand je veux… »
Il ponctuait sa leçon « … il y en a qui gardent le vin en bouche 20 secondes, réfléchissent 45 secondes à ce qu’ils ont ressenti et consacrent 1 minute et demie à rédiger leur commentaire et attribuer leur note et, hop au suivant…
Moi je goûte les vins entre 4 et 6 fois chacun, à des moments différents, des jours différents. En amont, j’ai goûté des raisins, et des pépins, fin août, j’assiste aux vendanges, aux vinifications. Je suis dans le vignoble d’un bout de l’année à l’autre. C’est ce qui me permet de décrire le potentiel et de donner des conseils… »
Quel surhomme ! Bordeaux lui doit tout…
Je comprends mieux qu’il traitât les Primeurs de simple grand’messe lui, qui tel un moine selon la règle de saint Benoît, fixée vers 530, fait Matines entre minuit et le lever du jour fait Laudes : à l'aube vers 6 heures, Tierce troisième heure après le levant : à 9 heures ou avant la grande messe, Sexte sixième heure après le levant : à midi environ, None neuvième heure après le levant : à 15 heures environ, Vêpres : au début de soirée vers 17 ou 18 heures, Complies : le soir, avant le coucher du soleil…
Récemment dans son style alambiqué il regrettait sans vraiment regretter que :
« Certes certains crus célèbres (et hélas de plus en plus nombreux) n'acceptent que présenter leurs vins primeurs qu'à la propriété. Ne pas les déguster alors qu'ils sont les plus recherchés de tous c'est trahir quelque part notre devoir d'information. La dégustation demie aveugle est un exercice indispensable à l'hygiène du dégustateur et à l'entretien de sa compétence, et c'est pour cela que j'ai toujours milité pour que le maximum de collègues puisse y avoir droit. Mais elle n'est en aucun cas gage de vérité supérieure. Et pour les obsédés de l'échantillon traficouillé rien n'empêche de le mettre en dégustation aveugle! Pour ma part la synergie entre tous les types de dégustation (y compris dès la fin des vinifications ou à la veille de la mise en bouteille et bien sûr à tous les stades de vieillissement post mise) reste la seule façon de comprendre non seulement le potentiel de départ mais aussi la valeur globale de chaque château. C'est un long, constant et souvent ingrat travail qu'on ne souhaite pas aux amateurs dont on envie parfois la liberté de ton et même le droit d'avoir des préjugés et de la mauvaise foi. »
Là je dis joker, sinon je deviendrais vulgaire…