À l’heure où nous voguons dans le monde du vin français sur le mol océan du tout AOC-IGP, c’est-à-dire d’une identification du produit par son origine géographique fondé sur un cahier des charges, et que les tenants de cette dérive font la chasse à tout ce qui ressemble à la diversité, au nom d’un air de famille symbole de l’uniformité, sortir nos têtes du petit marigot national, où d’ailleurs les vins cohabitent avec d’autres produits, tout particulièrement les fromages, me semble bon pour nos neurones bien encrassés par un goût immodéré du repli sur nous-même.
C’est pour cette raison que je vous propose la lecture du CR d’une conférence de Bertyl Sylvander lors d’un des Cafés-débats de Marciac en Aveyron.
Une autre raison, plus personnelle, m’y pousse : Bertyl Sylvander cite quelqu’un qui m’a été très cher : Louis Lorvellec, professeur de droit rural à la faculté de Nantes. Nous nous sommes rencontrés lorsque je pilotais la réécriture de nos textes sur les AOC afin de pouvoir entamer la négociation au plan européen. Et puis, le jour où j’ai quitté les manettes, lui et son collègue JC Hélin qui avait été mon mentor en droit administratif en 1968, m’ont demandé si je serais intéressé par un poste de professeur-associé à mi-temps à la Faculté de Nantes. Étonné, et aussi flatté, j’ai accepté. Ils m’ont fait coopter et pendant 3 ans j’ai donc pu apporter « mon expérience de la négociation européenne » auprès d’étudiants de 3ième cycle. Ce fut une expérience riche et unique. Louis Lorvellec nous a quiité en 2001.
L’auteur dans son introduction, avec humour, indique : « J’ironisais tout à l’heure sur mon nom. Bertil Sylvander n’est pas un nom d’ici : mon père est Suédois et je suis né en Algérie. La mère de mon père était anglaise d’adoption et son père était russe… Je suis donc très mal placé pour parler d’origine, mais c’est peut-être pour cela que je suis fasciné par les gens qui ont des racines, qui savent parler du coin où ils sont nés, où leurs grands-parents sont nés, qui connaissent toutes les histoires du village… »
Si l’on regarde plus précisément l’état des forces par rapport à la question de départ, on constate que les manières de concevoir le commerce dans les pays libéraux et dans les pays de tradition administrative et étatique reposent sur des principes différents.
Cette conception est étroitement liée à l’histoire, à la culture, à la religion, à toutes sortes de déterminants socio-politiques. Prenons la tradition latine : on estime que les gens n’ont pas toutes les cartes en main, qu’il peut y avoir tromperie et sous-information : l’Etat doit donc jouer un rôle de régulateur. En revanche, l’approche anglo-libérale considère que tout est possible : vous avez le droit de tout faire si vous ne trompez pas vos concurrents et vos clients. Sur le marché, l’étiquette, le nom du produit, et la communication sont donc déterminants. De ce point de vue, la stratégie du me too (du « moi aussi ») est légitime. Si je suis capable de faire ce que fait l’autre, moins cher et mieux, et qu’en plus, j’arrive à promouvoir mes activités par la publicité, il n’y a pas de problème. C’est ce qu’indiquent les accords de l’OMC sur la propriété intellectuelle, dont l’article 23 concerne le vin et liste les produits d’appellation qui ne doivent pas être imités. En revanche, l’article 22 stipule que tous les autres produits peuvent être imités à condition que le consommateur ne soit pas lésé. Mais qui décide que le consommateur est lésé ou non ? La question reste posée. Les juristes américains disent ainsi que les Etats-Unis peuvent fabriquer du vin et l’appeler « chablis », tout simplement parce que les consommateurs américains ne savent pas qu’il existe en France une zone d’appellation d’origine contrôlée ainsi nommée. S’ils l’ignorent, ils ne sont donc pas lésés !
Quand vous faites vos courses dans un supermarché américain, vous vivez des expériences assez étonnantes. Vous trouvez par exemple du brie from old Europ, ce qui signifie que le terroir, c’est l’Europe tout entière. De même, les Canadiens estiment pouvoir faire un produit qui s’appelle parmesan, car il ne s’agit après tout, à leurs yeux, que d’un fromage en poudre un peu fort que l’on met sur les pâtes... Ils ne savent absolument pas que ce fromage est issu d’une région autour de Parme. Il y a pire : 80% des Chinois ignorent que la France existe. Ils n’en connaissent même pas le nom. Nous-mêmes faisons souvent la même chose. Quand nous parlons du « frigo », nous évoquons la marque Frigidaire. Nous devrions donc dire « réfrigérateur »...
Cela dit, chez nous, concernant l’origine, finies les approximations. Bien des viticulteurs vinifient à la parcelle. Leur produit est identifié comme issu précisément d’une parcelle de tant d’ares, aux caractéristiques extrêmement précises. Et mentir sur la parcelle, c’est bien tromper le consommateur. Il y a là non seulement une différence de stratégie commerciale, mais surtout une différence de culture. Ce qui a fait dire à un juriste de Nantes, disparu en 2001, Louis Lorvelec, que le système américain est une prime au producteur le plus malhonnête et au consommateur le plus stupide… »
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