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9 décembre 2015 3 09 /12 /décembre /2015 06:00
Pourra-t-on défendre les AOC à l’OMC ? « Le système américain est une prime au producteur le plus malhonnête et au consommateur le plus stupide… » Louis Lorvellec.

À l’heure où nous voguons dans le monde du vin français sur le mol océan du tout AOC-IGP, c’est-à-dire d’une identification du produit par son origine géographique fondé sur un cahier des charges, et que les tenants de cette dérive font la chasse à tout ce qui ressemble à la diversité, au nom d’un air de famille symbole de l’uniformité, sortir nos têtes du petit marigot national, où d’ailleurs les vins cohabitent avec d’autres produits, tout particulièrement les fromages, me semble bon pour nos neurones bien encrassés par un goût immodéré du repli sur nous-même.

 

C’est pour cette raison que je vous propose la lecture du CR d’une conférence de Bertyl Sylvander lors d’un des Cafés-débats de Marciac en Aveyron.

 

Une autre raison, plus personnelle, m’y pousse : Bertyl Sylvander cite quelqu’un qui m’a été très cher : Louis Lorvellec, professeur de droit rural à la faculté de Nantes. Nous nous sommes rencontrés lorsque je pilotais la réécriture de nos textes sur les AOC afin de pouvoir entamer la négociation au plan européen. Et puis, le jour où j’ai quitté les manettes, lui et son collègue JC Hélin qui avait été mon mentor en droit administratif en 1968, m’ont demandé si je serais intéressé par un poste de professeur-associé à mi-temps à la Faculté de Nantes. Étonné, et aussi flatté, j’ai accepté. Ils m’ont fait coopter et pendant 3 ans j’ai donc pu apporter « mon expérience de la négociation européenne » auprès d’étudiants de 3ième cycle. Ce fut une expérience riche et unique. Louis Lorvellec nous a quiité en 2001.

 

L’auteur dans son introduction, avec humour, indique : « J’ironisais tout à l’heure sur mon nom. Bertil Sylvander n’est pas un nom d’ici : mon père est Suédois et je suis né en Algérie. La mère de mon père était anglaise d’adoption et son père était russe… Je suis donc très mal placé pour parler d’origine, mais c’est peut-être pour cela que je suis fasciné par les gens qui ont des racines, qui savent parler du coin où ils sont nés, où leurs grands-parents sont nés, qui connaissent toutes les histoires du village… »

 

 

Si l’on regarde plus précisément l’état des forces par rapport à la question de départ, on constate que les manières de concevoir le commerce dans les pays libéraux et dans les pays de tradition administrative et étatique reposent sur des principes différents.

 

Cette conception est étroitement liée à l’histoire, à la culture, à la religion, à toutes sortes de déterminants socio-politiques. Prenons la tradition latine : on estime que les gens n’ont pas toutes les cartes en main, qu’il peut y avoir tromperie et sous-information : l’Etat doit donc jouer un rôle de régulateur. En revanche, l’approche anglo-libérale considère que tout est possible : vous avez le droit de tout faire si vous ne trompez pas vos concurrents et vos clients. Sur le marché, l’étiquette, le nom du produit, et la communication sont donc déterminants. De ce point de vue, la stratégie du me too (du « moi aussi ») est légitime. Si je suis capable de faire ce que fait l’autre, moins cher et mieux, et qu’en plus, j’arrive à promouvoir mes activités par la publicité, il n’y a pas de problème. C’est ce qu’indiquent les accords de l’OMC sur la propriété intellectuelle, dont l’article 23 concerne le vin et liste les produits d’appellation qui ne doivent pas être imités. En revanche, l’article 22 stipule que tous les autres produits peuvent être imités à condition que le consommateur ne soit pas lésé. Mais qui décide que le consommateur est lésé ou non ? La question reste posée. Les juristes américains disent ainsi que les Etats-Unis peuvent fabriquer du vin et l’appeler « chablis », tout simplement parce que les consommateurs américains ne savent pas qu’il existe en France une zone d’appellation d’origine contrôlée ainsi nommée. S’ils l’ignorent, ils ne sont donc pas lésés !

 

Quand vous faites vos courses dans un supermarché américain, vous vivez des expériences assez étonnantes. Vous trouvez par exemple du brie from old Europ, ce qui signifie que le terroir, c’est l’Europe tout entière. De même, les Canadiens estiment pouvoir faire un produit qui s’appelle parmesan, car il ne s’agit après tout, à leurs yeux, que d’un fromage en poudre un peu fort que l’on met sur les pâtes... Ils ne savent absolument pas que ce fromage est issu d’une région autour de Parme. Il y a pire : 80% des Chinois ignorent que la France existe. Ils n’en connaissent même pas le nom. Nous-mêmes faisons souvent la même chose. Quand nous parlons du « frigo », nous évoquons la marque Frigidaire. Nous devrions donc dire « réfrigérateur »...

 

Cela dit, chez nous, concernant l’origine, finies les approximations. Bien des viticulteurs vinifient à la parcelle. Leur produit est identifié comme issu précisément d’une parcelle de tant d’ares, aux caractéristiques extrêmement précises. Et mentir sur la parcelle, c’est bien tromper le consommateur. Il y a là non seulement une différence de stratégie commerciale, mais surtout une différence de culture. Ce qui a fait dire à un juriste de Nantes, disparu en 2001, Louis Lorvelec, que le système américain est une prime au producteur le plus malhonnête et au consommateur le plus stupide… »

 

L'intégralité  de l'intervention ICI

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commentaires

A
J'ai retrouvé la phrase que je voulais citer :<br /> "The proof of the pudding is in the eating", on peut l'appliquer au vin. Alors il faut exiger que l'on puisse goûter avant d'acheter.
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A
Grand plaisir de retrouver ici Lorvellec et Hélin. Et quel sujet intéressant. A compléter par celui du vocabulaire. Nos amis Britishs disent "sausage" pour le saucisson, le boudin, le salamis, la saucisse...
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O
Très belle chronique Jacques qui m'interpelle beaucoup. Pour différentes raisons.<br /> <br /> La différence de socle anthropologique entre "les américains" et nous-mêmes fiers à l'excès de notre culture, de notre siècle des lumières de notre pays des lumières. Et pourtant l'ombre n'est pas si lointaine...Pourquoi ???<br /> <br /> Il y a peu de temps, dans le comté de Lancaster, à la poursuite des Amish qui ont anticipé la COP 21 depuis presque deux cent ans. Nous nous arrêtons au supermarché du coin. La veille piégés dans un BYOB, nous n'avions rien à boire. Pour nous prévenir d'un triste repas du soir, nous décidons dans ce supermarché d'acheter une bouteille. On fait le tour du magasin. Je me disais qu'il y avait peut-être un vin bio sans sulfite "local " pour nous sauver la soirée, comme Gérard Bertrand. Dont je salue le travail même si ça peut choquer certains. Rien, sauf une bouteille de vin bio d'Argentine. On l'achète. Et puis dans le tour des rayons, on tombe sur des BIB avec marqué en gros dessus: " The most popular wine FRANZIA, Chablis, World classics California table wine, product of argentine ".<br /> La même chose avec "Burgundy".<br /> Donc, considérant que les appellations ne sont pas loin de radoter, je me pose quand même dans ma petite tête le bilan comptable du hiatus entre la rigidité interne du Cahier des charges de nos belles AO CCCP et l'absence de protection à l'export de ces soit-disant marques collectives. Idée que je ne supporte pas plus.<br /> <br /> Donc c'est "businees as usual". C'est soit que je suis largué avec mes petites idées passéites, soit que c'est quand même un sacré bordel. Si révélateur.<br /> <br /> William Fèvre avait beaucoup pesté contre ces contrefaçons. Il y a presque trente ans, il avait produit une cuvée en vin de pays à l'époque dénommée "Vin de pays de la Napa Vallée de l'Yonne".
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L
J’ai mis 3-4 rmq sur ton mur FB. Ce genre de sujet me passionne. Au moment où le bleu-blanc-rouge que je respecte sans l’idolâtrer prend des teintes plus brunes qui me vont moins bien, l’étranger que je suis, chevillé dans le schiste catalan avec passion et loyauté (mais pas aveuglement) se pose encore plus de questions (voir : http://leblogdeluc.jimdo.com/2015/12/08/un-debut-d-explication ). <br /> L’AOP (beaucoup plus adéquat qu’avec le « C » final) fixe un cahier des charges. J’ai cru à mes dépens qu’il reposait tjs sur une certaine logique, économique et/ou qualitative. C’est parfois le cas, mais constamment sur un fond protectionniste et d’esprit de clocher. On n’est pas obligé d’y adhérer mais, si on le fait, il faut s’y conformer. Enfin, c’est ma vision.<br /> L’alternative est le Vin de France car les appellations intermédiaires (IGP) ne font que changer le niveau des exigences, pas la méthode. Mais le VDF gomme la notion de provenance – c’est la règle du jeu. Pour un Français, « France » est déjà un signe de qualité en soi (comme votre XV le démontre constamment). <br /> Il est inique qu’un Angevin ne puisse pas inscrire sur son carton qu’il fait du vin en Anjou, alors que les vignerons de Grignan ont, eux, souhaité cacher que c’est dans le Tricastin qu’ils travaillent. Cela étant, je comprends que ceux qui jouent le jeu d’une appellation (O ou simplement G) ne souhaitent pas que l’on sème la confusion. C’est légitime.<br /> Il y a aurait à cela deux remèdes : 1) limiter la zone décrite par les appellations/indications protégées. Que veut dire un vin de « Bourgogne » ? Qu’est-ce qu’un « vin d’Oc » ? 2) déterminer des « zones » autorisées à figurer, bien distinctes des indications qui existent déjà.<br /> On m’expliquera comment un vin de cépage produit au fin fond du Fenouillèdes (il y en a d’excellentissimes) présente un rapport avec la « Côte catalane ». Collioure oui, par contre. On m’éclairera aussi sur la similitude entre un jus de la plaine autour du casino de Santenay et les raisins au-dessus de Brochon ou Fixin. <br /> Après, mais c’est un autre débat, la propriété intellectuelle ... <br /> A qui reviennent les « droits » quand on reproduit une photo d’un château appartenant à des particuliers, prise de l’extérieur de l’enceinte sans enfreindre les limites de la propriété ?
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P
Voici une chronique qui pose beaucoup de question. Pourquoi appeler un vin qui n'en est pas " Chablis " ? Quelle mouche pique le " fabricant " quels profits en attend il ?Il le fait consciemment dans un seul but mercantile et le double langage adopté par les juristes n'y changera rien sur le plan moral et le respect du droit des autres. La chute de la chronique est très forte et devrait nous rendre encore et toujours plus vigilant à l'égard du très, vraiment très secret, futur accord de libre échange entre E.U. et Europe presque peu évoqué en France mais heureusement plus, par nos voisins Allemands plus vigilants et chez qui commencent à s'élever des oppositions radicales.
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