Pline l’Ancien considère comme manifestation de la civilisation la capacité de transformer le lait en fromage : « il est surprenant de constater que certains peuples barbares qui vivent du lait, peuvent ignorer ou dédaigner, après tant de siècles, les qualités du fromage. » écrit-il.
« Dans la tradition antique, des représentations sociales qui, d’une manière presque automatique, associaient le fromage au monde pastoral et paysan, à la gastronomie du pauvre, vinrent s’ajouter des préjugés d’ordre culturel. » note Massimo Montanari.
« De Caton à Varron, de Columelle à Pline, des pages importantes des traités et de littératures antiques sont consacrés à l’élevage des moutons et des chèvres et à la préparation des fromages fabriqués avec leur lait. Dans la plupart de ces textes, le domaine d’utilisation des laitages a décidément une connotation sociale. Le passage où Columelle écrit que le fromage « sert non seulement à nourrir les paysans mais aussi à orner les tables élégantes » est significatif. Le message est clair : le fromage constitue un plat de résistance et, souvent, la source première d’approvisionnement des tables paysannes, alors que sur les tables riches, il apparaît comme un simple « embellissement », c’est-à-dire non comme un protagoniste ou comme un plat en soi, mais comme un ingrédient de mets plus élaborés. C’est justement sous cette forme – et seulement sous cette forme – que le fromage apparaît dans le traité De re coquinaria d’Apicius, le seul livre de recettes ce l’époque romaine qui soit parvenu jusqu’à nous. »
Cette image du fromage aliment typiquement paysan perdure tout au long du Moyen-Âge : « ce sont les pauvres qui s’en nourrissent, les pèlerins, les habitants des vallées alpines, pour qui les laitages sont une composante capitale du régime quotidien. Ce sont les clients des auberges qui s’en nourrissent. »
Le fromage est parfois utilisé à la cuisine des puissants comme ingrédients des sauces et des farces. Il est cependant rare de le voir servi à table, valorisé comme un produit en soi.
Mais, dans le premier traité européen spécifiquement consacré aux laitages, Summa lactticiriorum en 1477, le médecin italien, Pantaleone da Confienza, professeur à l’université de Turin, note « J’ai vu de mes yeux, rois, ducs, comtes, marquis, barons, nobles, marchands, plébéiens des deux sexes, se nourrir volontiers de fromage… il est évident que tous l’apprécient »
Massimo Montanari note à juste raison que « dans cette phrase se trouve formulé le renversement du préjugé séculaire : le fromage est bon pour tout le monde, nobles et plébéiens. »
« La modification des comportements à l’égard du fromage, qui est nettement perceptible au XIVe siècle, est aussi liée à l’apparition, au cours des deux siècles précédents, des premiers fromages de qualité », produits de grande réputation appréciés sur le marché et liés à des lieux d’origine déterminés ainsi que des techniques de fabrication précises. »
La fabuleuse histoire des fromages commençait.
Pantaleone da Confienza cite des fromages italiens d’excellence : « comme le pecorino ou le marzolino de Florence fabriqué en Toscane et en Romagne ; le piacentino de vache « appelé parmesan par certains », produit dans les régions de Milan, Pavie, Novare, Verceil, et les petits robiole de la région de Montferrat.
Il passe aussi aux fromages français parmi lesquels « il rappelle en particulier le craponne et le brie qui jouissait probablement d’une certaine renommée au niveau international puisqu’on le trouve aussi dans des livres de recettes italiens du XIVe siècle. »
Le plateau de fromages devenait un plat à part entière chez les particuliers et dans les restaurants…
Et puis à la bascule du milieu du XXe siècle la grande saignée de l’exode rural conjuguée avec la montée en puissance d’une puissante industrie laitière et fromagère, vont mettre en danger beaucoup de fromages traditionnels, soit par la disparition de la geste ancestrale, soit par l’appropriation indue de leur fabrication par les fromager industriels. En France, Lactalis détient en portefeuille un très lourd pourcentage des AOC fromagères.
De plus, le plateau de fromages ou le chariot de fromages ont souvent disparus des restaurants, même si, depuis quelques années, sous la pression de ceux qui se sont fait la bouche avec des assiettes de fromages dans les bars à vins, les fromages de caractère refont surface dans les restaurants à la mode.
C’est pour cette raison que je vais vous conter l’histoire de deux rescapés : la fourme de Valcivières et le Montebore.
Source « Entre la poire et le fromage » Massimo Montanari