Le rhume surgit souvent par les pieds, les miens glacés m’ont transformé dimanche soir en une fontaine dégoulinante et aspergeante. Que faire ? Un rhume soigné dure 1 semaine et un rhume non soigné dure... 8 jours. Autrement dit : un rhume va toujours guérir spontanément dans les mêmes délais. En conséquence je me suis contenté de choyer l’intérieur de mon nez en lui appliquant une thérapie douce à base de fumigation à l’eucalyptus et de nettoyage au sérum physiologique. Bien sûr je suis resté cloitré à la maison et, la mort dans l’âme je ne suis pas allé déjeuner au Yard. Cela m’a sans doute évité une grosse déconvenue mais je déteste voir mes projets contrecarrés par une force majeure.
Le lien est-il totalement rompu ? Je ne sais, mais ce que je sais c’est que ce n’est pas de mon fait. J’attends. Je l’attends…
Mardi j’irai déjeuner à 13 h au Yard.
La boucle de la semaine sur les médias et les réseaux sociaux ce fut le spectacle du DRH d’Air France, la chemise en lambeaux, escaladant une clôture en grillage pour fuir une poignée de surexcités vociférant. Comment, dans le climat de tension qui règne dans cette entreprise, les deux parties, la direction et les syndicats, la CGT tout particulièrement, ont-ils, soit mésestimés les risques, soit joués à un jeu dangereux celui de la catharsis. Ma vieille expérience, et ma très bonne connaissance de l’intérieur de cette entreprise – aimer les femmes présente des avantages collatéraux trop souvent négligés – me font pencher pour la seconde branche de l’alternative. Mais à trop jouer avec le feu on se brûle.
Le très gauchiste journal les Echos, propriété de ce pauvre Bernard Arnault, a publié une interview d’un chercheur en sciences politiques et spécialiste des conflits sociaux et des syndicats, Jean-Marie Pernot : Air France : « On n’en arrive pas là sans que la direction ait aussi des responsabilités»
Comment expliquez-vous et jugez-vous les violences intervenues à Air France ?
- Je suis avant tout surpris de tout l’engouement et du déchaînement médiatique autour de cette affaire. Il faut remettre les choses à leur juste proportion : c’est un conflit social qui dérape, comme il y en a déjà eu et comme il y en aura encore. Certains ont pété les plombs, c’est un incident d'une triste banalité mais il n’y a pas mort d’homme, il faut passer à autre chose et arrêter le défilé des bien-pensants.
Il est aussi facile de ne tourner les regards que vers les syndicats. On n’en arrive pas à de telles situations sans que le management ait aussi des responsabilités. La direction porte une part assez lourde dans la dégradation du climat social, notamment dans sa gestion des annonces, voire sur la versatilité de sa stratégie.
Pour qui n’a jamais mis les pieds dans une entreprise, surtout une très grande avec un siège social pléthorique – ce qui est le cas d’AF qui a gardé ses bonnes vieilles habitudes de société nationale – la capacité de lecture des évènements est très limitée. De plus, dans une entreprise de transport, la classe reine, celle qui tient le manche à balais, les commandes du TGV : les roulants de la SNCF, le volant d’un 35 tonnes ou celui d’un bus ou du métro, possède une force de dissuasion quasi-nucléaire. Paralyser l’entreprise et le pays. Alors, on la flatte, on cogère avec elle et, de ce fait, les autres catégories du personnel accumulent des rancœurs. Les gros bras qui ont fait la chasse au DRH venaient de la maintenance, lieu privilégié du syndicalisme radical.
Mais ce qui m’a beaucoup plu sur les réseaux sociaux ce sont les postures des révolutionnaires en chaise longue qui, face à leur écran, en tapotant sur leur clavier, bonnes âmes, chantaient les louanges de la tournure radicale prise, selon eux, par la lutte des classes. Violence physique contre violence sociale, les arracheurs de chemise érigés en avant-garde de la classe ouvrière, aidés en cela par le Mélanchon qui aime la castagne lorsque ce sont les autres qui la mènent. Pauvres petits encore dans les jupes de leur mère qui pensent qu’un jean troué aux genoux est le plus grand symbole de leur piteuse révolte.
Alors je me suis souvenu de « la Gauche Prolétarienne dirigé par Benny Levy, alias Pierre Victor, le Raïs de la GP, faux clandestin reclus au fin fond de Normale Sup rue d’Ulm, petit brun affublé grosses lunettes d’intello qui donnaient, à son regard «gris et froid comme celui d’un héros de James Hadley Chase» (Claude Mauriac dans son journal Le Temps immobile vol 3 attribue cette description à Gilles Deleuze…), chef suprême d’un noyau dur pour qui la «guerre civile» ne pourrait être menée par la classe ouvrière sans que des flots de sang soient versés.
« Soit le patron d’une boîte moyenne, on peut établir la vérité des faits, à savoir qu’il a exploité les ouvriers abominablement, qu’il est responsable de pas mal d’accidents du travail, va-t-on l’exécuter ?
Supposons qu’on veuille rallier pour les besoins de la révolution cette bourgeoisie moyenne, qu’on dise qu’il ne faut exécuter que la toute petite poignée d’archi-criminels, en établissant pour cela des critères objectifs.
Cela peut constituer une politique tout à fait juste, comme par exemple pendant la révolution chinoise…
Je ne sais pas si cela se passera comme cela ici, je vais te donner un exemple fictif : il est vraisemblable qu’on ne liquidera pas tous les patrons, surtout dans un pays comme la France où il y a beaucoup de petites et moyennes entreprises, cela fait trop de monde. »
Souvenir d’une conversation avec mes hommes de la Grande Maison le 31 mars 2013 :
- Tu te rappelles de l’équipée de Benny Levy à Palente chez les Lip…
Le silence qui s’ensuivit marquait le triomphe du malingre. Il jouissait de son avantage car évoquer devant moi le souvenir du gourou de la Gauche Prolétarienne c’était, il le savait le bougre, me replonger dans un temps où le grand n’importe quoi régnait en maître.
- C’était le gros Geismar qui pilotait une vieille 4L vers Palente. Un peu avant l’usine, quelques camarades locaux les attendent. J’en suis car j’étais déjà des deux bords. Quand on s’aperçoit que le Benny est flanqué de Geismar ça gueule sec.
- Putain, tu te prends pour un touriste. Franchement si tu pointes ta tronche dans l’usine tout le monde va se dire que les maos viennent foutre la merde dans notre grève…
Le pépère Geismar il n’en revenait pas. Ni une, ni deux, il se retrouvait accroupi au fond d’une bagnole qui, deux précautions en valaient mieux qu’une, le déposait sur le quai de la gare de Dijon pour embarquer dans le premier train pour Paris. Pendant ce temps-là, tel un brave visiteur, « Pierre Victor » dont nul ne connaît le visage du côté de Palente, franchit les grilles de l’usine, accompagné de deux ouvriers de chez Renault, sans encombre. Même qu’il se fait cornaqué par un responsable de l’accueil. Tout lui est ouvert, même les AG, à la condition qu’il respecte la libre parole et bien sûr ne participa pas aux votes. Le gars qui les accueille c’est Jean Raguenès, OS chez Lip depuis 3 ans, dont Benny Levy, qui a son service de renseignement, sait que c’est un père dominicain détaché de son couvent qui fut, en mai 68, l’aumônier des étudiants en droit et qu’il a défendu les katangais de la Sorbonne…
Duruflé biche, tout le monde l’écoute. Il quête une approbation dans mon regard. Je relance gentiment :
- C’était le bon moment pour être présent !
- Ça c’est sûr, Benny « Pierre Victor » arrivait alors que tout se nouait. Je m’en souviens bien on était le 12 juin 1973 et Comité d’Entreprise devait se réunir pour prendre de lourdes décisions. Depuis que le PDG Saintesprit avait démissionné à la mi-avril, les actionnaires suisses d’Ebauches SA, à qui Fred Lip avait cédé un tiers de son capital, ne l’avaient pas remplacé. Tout le monde subodore qu’ils veulent résister aux japonais de Seiko ou Kelton et aux américains de Timex mais qu’ils n’en ont rien à traire des autres branches armement, machine-outil et mécanique…
- Ben dit-donc Duruflé y devrait t’embaucher pour les pages saumon du Figaro, ironisait Merchandeau…
- Que veux-tu, nous, comme les Lip nous travaillions dans la précision, on en était, pas comme les branleurs de maintenant qui se la pète en baskets et en jeans et qu’on jamais vu la gueule d’un ouvrier…
- Entre 68 et l’arrivée de grand con de Giscard qu’est-ce qu’on s’est éclaté avec les barbouzes et les mecs des CDR… Une grande époque que nous ne retrouverons jamais. Nous sommes dans une ère de médiocres, de petites bites sans envergure… surenchérissait Contrucci.
- Y’a pas photos les mecs, même si je n’aime pas beaucoup mes curés, Piaget et Raguenès, qui ne pouvaient pas se piffer, c’étaient des couillus et même l’archevêque de Besançon, Marc Lallier, il n’envoyait pas dire ce qu’il avait envie de dire. Pas de la petite bière qui défile pépère de République à Nation, des gars qui sont capables de mettre la main sur le trésor de guerre de Lip. Opération commando à la nuit tombée qui investit la « chambre froide », là où sont stockés le disponible, vingt-cinq mille montres prêtes pour la vente, et qui met ce petit trésor en lieu sûr. Le « casse social » du siècle ! Le camarade Benny Levy à l’impression de vivre le scénario idéal, pur et dur en direct et il est partagé entre le malaise et la jubilation… L’illégalité des larges masses c’est le credo de la GP et ça le fait bander, si tant est qu’il bandât ; mais ce qui le trouble c’est que ce mouvement est entre les mains des révisionnistes modérés, Piaget CFDT et PSU est de ce type de catho dévoué qui n’est pas vraiment la tasse de thé de « Pierre Victor » qui haïssait les syndicalistes légaux.