Mon rapport avec John Malkovich est étrange, nous ne nous sommes jamais croisés, donc n’avons jamais échangés, mais depuis qu'un jour - que je ne sais plus situer précisément dans la première décennie des années 2000 - à Paris, sur mon vélo, sanglé dans un imperméable mastic, alors que j'étais arrêté au feu rouge, deux américaines s'exclamèrent : « Waouh ! John Malkovich... » N'en déplaise à mon ego surdimensionné j'aurais bien du mal à me glisser dans la peau du grand John même si, pendant la semaine que j'ai passé dans un Riad à Essaouira, Vikash Dorassho qui y séjournait en famille, me gratifiait, à chaque fois que nous nous croisions, d'un « comment va notre John Malkovich ? »
Depuis ce jour, avec une étrange régularité, mes amis peuvent en témoigner, on me refait le coup, « vraiment vous ressemblez à… » et moi je n’arrive toujours pas à me glisser dans la peau de John Malkovich.
D’abord c’est un gamin, il a 5 ans de moins que moi, mais en laissant de côté le physique, et bien sûr le talent, ce cher John et moi avons des amours en commun : les chiffons et le Luberon.
Je l’écrivais dans une chronique du 20 août 2007 Dans la peau de John Malkovich
« Bien m'habiller, c'est une manière de bien contrôler la situation. » ou « Faire des vêtements, c'est peut-être une façon de s'en guérir ».
À l’heure où resurgit le vieux clivage agressif de la guerre froide : Aigle américain-Ours russe dans les milieux souverainistes de droite et de gauche, John, qui s'exprime parfaitement dans la langue de Molière, mettant ainsi « les interprètes au chômage » comme le relève Pascal Mérigeau, en 2007, à la question de savoir « s'il se sentait encore américain depuis qu'il a choisi de vivre en France ? » répondait :
« Pour moi, être américain, c'est être international avant tout... Etre américain, ce n'est pas être pour ou contre Bush, c'est défendre une certaine capacité à savoir s'adapter à toutes les circonstances de sa vie. »
Moi ça me va très bien, se sentir chez soi partout, loin de tous les replis identitaires, citoyen du monde et tout de même né quelque part.
John est éclectique acteur, réalisateur, producteur, metteur en scène et même de scénariste trouve également le temps de concevoir sa propre marque de vêtements, Technobohemian et de produire du vin dans sa propriété du Luberon.
Et lorsqu'on lui demande où il puise l'envie de toucher à tous ces domaines, il répond: « La vie est brève et j'ai eu énormément de passions depuis mon enfance. Mais je n'ai jamais vraiment eu assez de temps pour les assouvir. Donc j'ai envie d'apprendre et d'étudier, de toucher à des domaines éloignés de mon métier, de nourrir ma curiosité. »
Du côté chiffon j’ai acquis je ne sais plus quand dans un magasin éphémère une veste en laine siglé Technobohemian très confortable, mais du côté vin je n’en avais jamais vu la couleur.
Jeudi dernier, sortant d’un rhume carabiné soigné avec succès avec des remèdes de bonne femme, cédant aux violons d’une bonne amie, je me suis rendu en métro à un pince-fesses dans le bar les dessous de Ginette…
IGP du Vaucluse, pas très sexy comme dénomination mais dans ma petite Ford d’intérieur je me disais peut-être bien que je vais y rencontrer le Piton du Luberon. Pour être clair j’étais un peu bougon au sortir de la ligne 12, l’une des pires, à la station Lamarck-Caulaincourt avec son ascenseur à bestiaux. Pas à prendre avec des pincettes le vieux, mais bon à la guerre comme à la guerre : quand faut y aller, faut y aller.
Muni d’un verre, outil du dégustateur que je ne suis pas, d’une tablette pour prendre des notes que je ne prends jamais, j’errais entre les bouteilles. Tout de même, tout au fond, une étiquette m’accrochait l’œil par son graphisme épuré. Original, me disais-je pendant qu’une voix derrière moi, comme en écho, m’indiquait « c’est le vin de John Malkovich ! »
LQLC : Les Quelles Lacoste, John a acquis une propriété de 8 ha, dont 6 plantés de vignes, Cabernet-Sauvignon, Pinot noir et bientôt Carménère, sise dans la commune de Goult au lieu-dit Lacoste.
L’étiquette est de sa main mais le vin est de celle d’un vigneron de Bonnieux, je l’ai goûté, c’est un rosé sympathique, bien fait, mais si je puis me permettre, cher John, il va falloir y glisser un supplément d’âme.
Je suis prêt à échanger sur le sujet John…
Pas toujours simple d’aborder certains sujets, pas vrai sieur Piton du Luberon mais bon, nul ne pourra me changer il faut toujours que je ramène ma fraise même sur les IGP…
Bref, l’accueil était fort sympathique et j’étais entouré que de filles, ce qui n’était pas pour me déplaire. Étrange, mais où sont passés les garçons remarquai-je auprès d’elles ? Réponse ironique : « y’a foot à la télé… » J’ai donc papillonné, un peu goûté, écouté et même fait des affaires.
L’IGP Vaucluse c’est l’ex-vin de pays du Vaucluse. Les vins de pays de département ont toujours eu bien de la peine à se faire une place au soleil aux côtés de dénomination plus suggestives telle Coteaux des Baronnies.
En Vaucluse elles voisinent avec les vins des Côtes-du-Rhône aux déclinaisons parfois prestigieuses comme Châteauneuf-du-Pape, et les vins du Luberon, il n’est donc pas très simple pour elles de se faire une place dans l’offre.
Et pourtant il y en a une et les IGP me semblent être un bon contrepoids au tout AOP cher au cœur de beaucoup de vignerons. Mais pour aborder le sujet il faut se débarrasser d’une approche purement règlementaire charriant tous les codes traditionnels des vins dit de qualité.
En parlant clair et simple : comment faire dans des conditions économiques acceptables pour les vignerons des gentils vins, agréables, à des prix abordables ?
C’était le défi qu’avait lancé Cap 2010, je ne suis pas sûr qu’il ait été relevé, nous en restons encore à une gestion du vignoble d’une autre époque et, sans vouloir jouer les oiseaux de mauvais augure, nous nous préparons des lendemains qui ne chanteront pas forcément.
Le sieur Michel-Edouard Leclerc dit MEL qui a du pif pour humer la tendance déclare dans son style racoleur à l’emporte-pièce « La demande évolue, et plutôt rapidement, un effet « bobo » s'est emparé de l'univers du vin, il est sorti de son image un peu figée et souvent élitiste. Les nouveaux consommateurs sont préconisateurs, ils achètent l'armoire à vin avant la voiture, c'est culturel, statutaire, et on note une véritable objectivation de la consommation qui passe par le goût, plus que par l'étiquette et le nom prestigieux. »
Il y a donc une place pour des vins simples et populaires mais encore faut-il qu’ils ne donnent pas l’impression d’être tous sortis du même moule uniforme et d’être les petits cousins de tous les vins produits dans le monde uniformisé.
Pas simple, mais ça mérite réflexion. Le buveur amateur que je suis, qui croise chaque jour ces étranges petites bêtes que sont ces nouveaux consommateurs, qui ne sont pas tous des bobos loin s‘en faut, qu’évoque MEL, se doit de le dire même si ça ne plaît guère.
Alors, cher John Malkovich, pour ce Luberon que vous aimez tant, sans forcément jouer la partition d’Angelina et de Brad, avec le vin de votre propriété qui, je le souhaite sera de plus en plus le vôtre, vous pouvez contribuer à la notoriété du petit peuple des sans-grades de cette belle région.
Tout commence au cep et fini chez nous tout au bout, dans nos verres : écoutez-nous !
Merci au président et aux animateurs de l’IGP Vaucluse de m’avoir invité même si j’ai la fâcheuse tendance à la ramener. J’ai passé une bonne soirée en très bonne et belle compagnie.