Balzac, malheureusement pour lui, « gagnait toujours moins d’argent qu’il n’en dépensait et, jusqu’à sa mort, ce célèbre écrivain, gloire des lettres françaises, vécut dans la hantise de la prison pour dettes. Mais qu’il fut en période financière faste ou trouble, son régime ne varia guère : jeûnes pendant les périodes de travail intense, « pour ne pas envoyer la fatigue d’une digestion au cerveau » (Lettres à Mme Hanska), excès après les périodes de création, excès énormes, choquants, comparables aux bordées que tinrent les marins arrivés au port après une longue traversée.
Balzac écrivait vite. Harcelé par ses créanciers, éperonné par une imagination fertile, il se mettait à l’ouvrage, fermait sa porte, travaillait dix-huit heures par jour, et deux mois après l’imprimeur recevait le manuscrit du Père Goriot ou d’Illusions perdues. »
Au menu, des fruits, parfois « d’un œuf à la coque vers 9 heures du matin ou des sardines pilées avec du beurre s’il avait faim, d’une aile de volaille ou d’une tranche de gigot le soir. »
« Il ne buvait que de l’eau » et « terminait son repas par une ou deux tasses d’excellent café noir sans sucre. »
« Balzac buvait de grandes quantités de café, extrêmement fort, non seulement pour chasser le sommeil, mais encore pour se maintenir dans un état d’excitation propice à la création. Grâce au café, prétendait-il, « les idées s’ébranlent comme les bataillons de la Grande Armée sur le terrain de bataille […]. Les souvenirs arrivent au pas de charge […] les traits d’esprit arrivent en tirailleurs ; les figures se dressent ; le papier se couvre d’encre ». (Traité des excitants modernes, Ollendorf, 1902)
« Le bon à tirer signé, il filait au restaurant, avalait une centaine d’huîtres en hors-d’œuvre, arrosées par quatre bouteilles de vin blanc, puis commandait le reste du repas : douze côtelettes de pré-salé au naturel, un caneton aux navets, une paire de perdreaux rôtis, une sole normande, sans compter les fantaisies telles qu’entremets, fruits, poires du doyenné, dont il avalait plus d’une douzaine. Rassasié, il envoyait, le plus souvent, l’addition à son éditeur. »
Glouton ? Non !
Balzac, « … de l’avis de tous, était le plus aimable des convives et, de plus, loin d’être insatiable, avait de long moment de mesure. Il alternait sans effort des périodes où il se contentait de repas rapides et d’autres où il passait un temps infini en recherches de l’aliment parfait. »
Avec son ami, Léon Gozlan, « il fit une chasse au macaroni, pâte très à la mode à Paris. »
Cette chronique doit tout à l’excellent livre d’Anna Muhlstein « Garçon, un cent d’huîtres ! » Balzac et la table chez Odile Jacob.
À l’époque, « chaque citoyen, domicilié à Paris, devait monter la garde quelques jours par an, faute de quoi il était condamné à une journée d’incarcération. »
Balzac jugeait insupportable cette contrainte et trouvait de multiples moyens pour y échapper. Lorsqu’il se trouvait coincé « il se tirait d’affaire en offrant quelques pièces d’or ou 2 ou 3 bonnes bouteilles de Vouvray aux agents venus l’arrêter. »
Pourtant, le 27 avril 1836, « les représentants de la loi, craignant à la longue de perdre leur place s’ils ne revenaient pas avec leur prisonnier » « Il fut fourré à ‘hôtel des Haricots, la prison de la Garde Nationale, rue des Fossés Saint-Bernard. »
Depuis sa cellule du « troisième étage, avec vue sur l’entrepôt de vins », il tapa son éditeur Werdet. « Celui-ci s’exécuta immédiatement et se rendit à la prison muni de deux cents francs. À sa grande surprise, Balzac jugea la somme mesquine, mais l’invita à dîner. Il avait demandé le repas chez Véfour, lui expliqua-t-il, voulant laisser à sa sortie le souvenir de « toutes les traditions de l’art de bien vivre. »
Lire la critique de « Garçon, un cent d'huîtres ! Balzac et la table » par Philippe Menestret ICI