Au temps où La Villette c’était les abattoirs avec ses chevillards et autres viandards les restaurants spécialisés dans la bidoche draguaient leur chalandise. L’un d’eux le Cochon d’Or, selon le mitterrandolâtre Pierre Bergé, était aussi fréquenté par le François de Jarnac car il était très prisé des amateurs de bonne viande. « Là, les cuisiniers savaient que la règle d’or pour servir un entrecôte – je tiens au masculin, comme Mme Saint-Ange – est de le laisser reposer autant de temps qu’il a mis à cuire. Non, il ne faut pas l’envelopper dans du papier d’aluminium, qui lui donnerait un goût de viande bouillie ; le recouvrir d’une assiette suffit amplement. Ils n’oubliaient pas, pendant la cuisson, de badigeonner régulièrement la viande avec du beurre clarifié pour éviter une fâcheuse carbonisation. Bref, dans ce restaurant tout était réuni pour plaire à ceux qui n’étaient pas touchés ni par la grâce de ce qu’on a appelé la nouvelle cuisine ni par la décoration des assiettes sur lesquelles des marmitons se penchent en se prenant pour des artistes. Mais y a-t-il encore des marmitons ? » écrit-il.
Le grand courtisan qu’il était parfois y accompagnait François Mitterrand. « Il ne prenait pas d’entrée – il savait ce qui viendrait – et préférait attendre. Car il fallait attendre. Quand le chateaubriand arrivait accompagné de ses pommes soufflées, suivi de l’indispensable sauce béarnaise, on comprenait qu’on n’était pas venu pour rien. De fait, comme on dit dans les guides, cela valait le voyage. Mais pour dire le vrai, François Mitterrand préférait les restaurants de poissons. »
J’avoue que je ne suis pas un grand amateur de Chateaubriand, je laisse planer le doute, et si je chronique ce matin sur son origine c’est pour deux raisons, comme toujours, une bonne et une mauvaise sans vous préciser laquelle est la mauvaise…
La première c’est que les Mitterrandiens de stricte observance, j’en ai eu un comme Ministre en la personne de Louis Mermaz, étaient très sourcilleux sur la déclinaison phonique du patronyme du François de Jarnac ; pour eux, et à juste raison, ceux qui le nommait Mitr’and, tel le Georges Marchais, se rangeaient dans le camp de ses adversaires les plus acharnés à le salir. Pour ma part, n’ayant jamais porté à l’ancien Garde des Sceaux du gouvernement Guy Mollet une grande sympathie je n’ai pas, pour autant, avalé une part de son nom. Comme mon boss, le Michel, nous ne mangions point de ce pain-là.
La seconde, c’est que dans une chronique, « Sauvez le Chateaubriand », longue comme un jour sans pain, le polémiste Laurent Dispot, s’insurge contre « la manipulation subreptice (qui) consiste à profiter de l’équivalence de prononciation, pour la faufiler de l’oral à l’écrit »
Notre homme, après avoir étalé toute l’étendue de sa culture, glisse quelques lignes sur l’objet de son courroux « le statut du chateaubriand n’est pas du tout celui du champagne associé à la Champagne. Il n’a rien à voir avec la ville et la région de Châteaubriant. »
Pour ne rien vous cacher, même en n’étant pas un grand amateur de Chateaubriand, il ne m’était jamais venu à l’esprit d’attribuer l’origine de la viande au bassin de production de Châteaubriant qui n’est pas particulièrement renommé pour la qualité de son troupeau bovin.
Et c’est là où il me prend une envie de faire remarquer à ce cher Dispot que toutes ses circonvolutions sur le Chateaubriand pour exiger une orthographe conforme à l’origine de cette recette sont certes louables mais qu’à aucun moment il n’est question ni de l’origine de la viande : race et lieu d’élevage, ni des conditions d’élevage, d’abattage et de mûrissement de la viande.
L’essentiel c’est la viande, sa maturation, pas le mode opératoire de la recette monsieur Dispot !
Les pièces du dossier
- « Beaucoup ignorent l’origine du nom et de la recette de cette viande fondante qui les fait fondre, y entendent quelque chose comme « château brillant ». Certes, on peut de délecter de tournedos Rossini sans entonner des airs d’opéra, et raffoler de carpaccio sans rien connaître à la peinture vénitienne. N’empêche : rien ne pourra défaire l’intime intrinsèque du lien généalogique d’un plat avec la personne dont il porte le nom. Surtout pas quand celle-ci entretient avec lui un rapport de filiation charnelle comme c’est le cas de Chateaubriand et de Rossini qui ont créé eux-mêmes les recettes portant leur nom.
Le chateaubriand est à la « bouche »* ce que la madeleine de Proust est à la pâtisserie. Sauf que c’est beaucoup plus grave, vu que Monsieur le vicomte fut partie prenante dans l’invention de cette virile recette de viande, alors que le môme Marcel ne mit jamais la main à la pâte, et que même, dans son premier jet (si j’ose dire), il parlait d’une biscotte… »
« Bouche » est ici selon l’auteur la cuisine et la boucherie jouant la même partition.
- La recette « Passons aux choses sérieuses : cinq cents grammes dans le filet, et même huit cents pour quatre ou cinq personnes ; jusqu’à dix centimètres de hauteur ; marinade (poivre, ail, thym) ; si les procédures sont respectées, il n’est pas illégitime de recourir au faux-filet, à l’aloyau, au cœur de rumsteack, au merlan ; le filet se tranche perpendiculairement aux fibres ; si le morceau est trop mince, le présenter dans sa longueur. L’idéal de la cuisson est la nuance subtile entre le rose pâle à cœur et le saignant léger. Une réduction de beurre, d’échalotes, si possible confites, de vin blanc, d’estragon, et de jus de citron. Poêlée de haricots verts ; variation : des cèpes ; ou les deux ensembles. Des pommes de terre en quartier (de noblesse, bien sûr) d’abord blanchies puis passées au four. Je désapprouve les pommes soufflées ; elles sont toujours amusantes, mais, comme d’habitude, l’huile de friture est ici un destructeur de goût, un parasite nuisible. Éviter tout ce qui tue la viande ; elle est là pour revivre par la cuisine. Le cresson frais est parfait. Les manipulations spectaculaires qui consistent à flamber un chateaubriand dans l’assiette n’ont de sens que de tricher en donnant du corps, mais un corps étranger, celui de l’alcool, à une viande qui, par là, reconnaîtrait ne pas en avoir. Cela revient à condamner le Vicomte au bûcher. je n’appelle pas ce qui sort de ce dérisoire autodafé un chateaubriand mais une jeannedarc. »
Le CHATEAUBRIAND selon Cuisine et Vins de France
« Il fait partie des plus grands classiques de la gastronomie française. Le chateaubriand est « le » steak par excellence et aucun restaurant français digne de ce nom ne peut se permettre de ne pas l’avoir sur sa carte. Le chateaubriand est en fait un filet de bœuf d’une épaisseur de deux à quatre centimètres, c’est d’ailleurs cette épaisseur qui fait sa particularité. Il y a des restaurants qui proposent des morceaux plus épais, allant jusqu’à dix centimètres !
On peut s’étonner du nom donné à un simple morceau de viande ! Deux explications sont proposées. Il y a d’abord la version qui penche pour le célèbre homme de lettres, François-René de Chateaubriand, dont le cuisinier, un certain Montmireil, aurait créé la Grillade de bœuf à la Chateaubriand. Une explication qui ne fait pas l’unanimité puisque la recette n’apparaît qu’environ trente ans après la mort de l’écrivain. Une autre explication fait référence à la ville de Châteaubriant en Loire Atlantique, réputée pour ses élevages bovins. »
Le Chateaubriand le restaurant « Même pas sept ans d’existence, et déjà un mythe. L’emblème d’une époque qui a décidé de changer de régime culinaire, de tout envoyer valser et de repousser les limites. Le vaisseau d’Iñaki Aizpitarte, capitaine rock star, est le résultat quotidien d’une recette unique dont l’équilibre subtil continue d’offrir une des expériences restauratoires les plus excitantes : la salle de bistrot à l’élégance parfaite, tout en détails, le staff beau mais toujours un peu fêlé, l’ambiance électrique de Studio 54 des années 2010, la remise en question permanente des hiérarchies internes, des modalités d’accueil et des possibles… »
Et si vous tenez vraiment à manger 1 Chateaubriand, pas au Chateaubriand y font pas, mais peut-être à Châteaubriant, je vous conseille de commander au sommelier 1 Côte Rôtie 2012 de Jean-Michel Stéphan, une cuvée nature bien sûr provenant des 2 côtes la Brune et la Blonde. Selon les Papilles « cette cuvée détient une robe profonde et limpide, le nez est aromatique aux arômes de fruits noirs et d’épices accompagné d’une pointe de notes lardées et mine de crayon ; la bouche est agréable, la matière est ample et veloutée, les tanins sont fins et soyeux. »