Si, ce 1er avril, j’ai convoqué James Joyce, l’auteur d’Ulysse, pour vous mettre sous le nez une Révolution, silencieuse pour l’heure, la fin de 30 ans de quotas laitiers, l’un des derniers piliers de la fameuse PAC dézingué, adieu la stabilité d’un système protégé, vive la compétitivité, que coule le lait maternisé en poudre pour les bébés de l’Empire du Milieu, ce n’est pas pour vous faire le coup de Poisson d’avril.
Alors pourquoi ?
Pour plein de raisons qui n’en sont pas !
L’Irlande d’abord, lorsque Michel Rocard présida le Conseil des Ministres, de ce qui était alors la Communauté Européenne à 12, et qu’il accoucha dans la douleur la fameuse réforme des quotas laitiers, il tira une belle épine du pied de son collègue irlandais très lié à l’industrie du lait de son pays. Celui-ci pris sa succession et lui renvoya l’ascenseur dans ce qui devint les accords de Dublin réformant le marché du vin.
Si vous n’y comprenez goutte, ça n’est pas grave, goutte de lait ou goutte de vin, moi ça m'évoque l’Irlandais, surnom donné à James Joyce lors de son séjour à Paris, où il s'installa en 1920 sur les conseils d'Ezra Pound, alors qu’il a vécu la plus grande partie de sa vie hors de son pays natal. En 1921, après une année de travail acharné, il y terminera Ulysse.
* en couverture : James Joyce par Pierre Le-Tan
Ensuite, parce que je suis fasciné par la phrase de 408 signes ci-dessous tirée d’Ulysse :
« Et par le même chemin s’écoulent d’innombrables troupeaux de sonnaillers et de massives mères brebis, de béliers à leur première tonte, d’agneaux, d’oies d’automne, de jeunes bœufs, de juments renâclantes, de veaux étêtés, de moutons angoras et de moutons de parcs, de bouvarts de chez Cuffe et de bêtes impropres à la reproduction, de truies et de cochons bien doublés, et les variétés les plus diversement variées des pourceaux les plus distingués, des génisses du comté d’Angus, des bouvillards au pedigree sans tache avec les jeunes laitières primées du herdbook et les bœufs : et là se fait entendre un perpétuel piétinement, caquètement, mugissement, beuglement, bêlement, meuglement, grondement, rognonnement, mâchonnement, broutement des moutons et des porcs et des vaches à la démarche pesante venus des pâturages de Lush et de Rush et de Carrickmines et des vallées baignées d’eaux courantes de Thomond, des marécages de l’inaccessible M’Gillicuddy et du seigneurial et insondable Shannon, et des pentes douces du berceau de la race de Kiar, leurs mamelles distendues par la surabondance du lait, et enfin dénient des barriques de beurre et de petit-lait et de tonnelets et des poitrines d’agneaux et des mesures de froment et des œufs oblongs par mille et mille, de toutes grosseurs, d’agate et d’ambre. »
Enfin parce qu’à sa publication en 1922, Ulysse de James Joyce fit scandale et connut la censure. Aux Etats-Unis, où il sortit dans un premier temps sous forme de feuilleton dans le magazine américain The Little Review entre mars 1918 et décembre 1920, avant d'être publié dans son intégralité le 2 février 1922 à Paris par la librairie Shakespeare and Company fondée par Sylvia Beachil, il fit l’objet d’un procès pour obscénité. « Dans cette œuvre monumentale de plus de mille pages l’écrivain parodie tous les genres et styles littéraires, se jouant même des règles d’orthographe, Joyce transforme le voyage d’Ulysse en une errance sexuelle : contrairement à Homère où la fidèle Pénélope attend son infidèle de mari, Joyce inverse la situation, faisant d’Ulysse un homme chaste, frustré, obsédé par les infidélités de sa femme. »
« Ulysse a très tôt divisé le milieu littéraire. À sa publication, Virginia Woolf, comme beaucoup d'autres, n'hésite pas à le qualifier de livre «prétentieux» et «vulgaire», tandis que l'écrivain H.G. Wells parle à son sujet d'«obsession du cloaque». Même un lecteur averti comme l'écrivain argentin Jorge Luis Borges mettait en garde, en 1925, contre l'opacité du texte, reconnaissant ne l'avoir «pratiqué que par fragments». Pierre Ancery
« On a beaucoup répété qu'Ulysse était illisible et, par conséquent, les commentaires insistent sur les questions formelles. « Joyce a voulu dérégler le langage », entend-on. Mais pas du tout : il a voulu au contraire le régler autrement, à la mesure d'un monde en plein dérèglement (ça continue de plus belle). Il y avait quelque chose de pourri du côté de l'anglais, de l'Irlande, de la civilisation occidentale, de la métaphysique, de l'espace, du temps, de la religion, des objets, des hommes, des femmes. Joyce a simplement voulu faire le ménage dans ce foutoir. Le résultat est explosif, mais toujours très clair (sauf du point de vue de la domination ou de la servitude). C'est le sens d'Ulysse qui fait question, pas les mots pour le dire. » Philippe Sollers
Comparaison n’étant pas raison, mais l’instauration des quotas laitiers fit scandale et valut à Michel Rocard de recevoir une volée de bois vert du hautain lorrain François Guillaume patron de la toute puissante FNSEA mais aussi de se faire vilipender par la gauche paysanne. Au risque de paraître provocateur c’était là le signe d’une bonne et vraie réforme qui produisit ses effets bénéfiques pendant 30 ans. Les ramenards, style Pousson, qui critiquent les politicards qui font rien pour alléger le fardeau du petit peuple, devraient faire le compte de leur capacité à soutenir ceux qui eurent le courage d’affronter les jamais contents.
Et puis pour finir, un peu de dérision, à l’instar de l’illisibilité de l’Irlandais, l’une des critiques récurrentes faites au chouchou des sondages était son phrasé mitraillette qui, selon ses détracteurs, rendait son discours incompréhensible.
Mais ils sont où les électeurs râleurs ?
Mitterrand 14 ans dont 4 de cohabitation.
Chirac 12 ans dont 5 de cohabitation.
Bravo les artistes !