Pourfendre la cuisine contemporaine ou l’idolâtrer, entre ceux qui l’exècrent et ses zélotes il est difficile d’en placer une. Comme toujours en notre vieux pays si tu n’es pas pour ou contre tu es forcément un allié objectif du camp d’en face. C’est un sujet clivant comme le disent les gens qui causent riches. Dans la petite blogosphère, le Pierre de Lagarde du manger et du boire dans la haute tradition c’est Pousson qui se promène avec une tête de cochon sous un bras et un litron d’Hubert de Montille sous l’autre.
C’est son droit, je ne lui conteste pas mais de là à me ranger dans le poulailler de ses ouailles il y a un pas en arrière que je ne franchirai pas, tout comme d’ailleurs je ne m’esbaudirai pas face à des créations qui ne sont que des gestes pour la galerie. Je n’ai jamais eu de goût ni pour les chapelles, ni pour les conservateurs souvent réactionnaires, ni pour les révolutionnaires en peau de lapin qui passent rapidement à la caisse pour empocher les dividendes de leur esbroufes.
Il n’en reste pas moins vrai que cette forme de cuisine existe, elle a des adeptes qui ne sont pas tous des snobs ignorants, des bobos en quête de chichis, des vieux dans mon genre qui veulent séduire les jolies filles, et que tous ses pratiquants ne sont pas à fourrer dans le même sac sous prétexte qu’ils mettent des fleurs dans leurs assiettes ou qu’ils adorent les légumes oubliés.
Contemporain- contemporaine : « Qui appartient au temps actuel (par rapport au moment envisagé dans le contexte). »
Le monde, l'âme, l'époque, la pensée, la vie contemporain(e); l'art, le roman, le théâtre, la prose, la philosophie, la sociologie, la psychologie, la littérature, la mathématique, la logique contemporain(e); l'histoire, les récits, la pensée, les institutions, les mœurs contemporain(e,s); la civilisation, l'architecture, la scène, la production contemporaine.
Alors me direz-vous la cuisine d’aujourd’hui est forcément contemporaine sauf que, à l’image de l’art contemporain, elle est traversée par des gestes qui bousculent vraiment l’ordre ancien.
« Nous devons nous rendre à cette évidence, quoi qu’en aient à souffrir les puristes : l’art en train de se faire n’a pas toujours été « contemporain ». Ou encore : on ne s’est pas toujours senti contemporain de l’art en train de se faire. En effet, « art contemporain » est une expression qui s’est imposée surtout à partir des années 80, supplantant alors « avant-garde », « art vivant », « art actuel ». Elle possède les qualités des expressions toutes faites, suffisamment large pour se glisser dans une phrase lorsque l’on manque d’une désignation plus précise, mais suffisamment explicite pour que l’interlocuteur comprenne que l’on parle d’une certaine forme d’art, et non de tout l’art produit par tous les artistes aujourd’hui vivants et qui sont donc nos contemporains. »
Catherine Millet L'art contemporain histoire et géographie Champs arts
Le parallèle me semble pertinent car la cuisine contemporaine se veut et se vit comme conceptuelle, l’assiette relève de l’installation, comme le relève le blog des frères Pourcel.
« Quand le contenant l’emporte sur le contenu.
- Privilégier le message et l’assemblage plutôt qu’une vraie cuisine.
- Décomposer les préparations, les rendre complexes et ludiques, alors que finalement le plat est souvent basique.
- Minimalisme : Dessiner l’assiette, jouer sur les couleurs et texture, ne pas oublier le croustillant et la gelée en cube (que l’on trouve partout)…
« Un peu partout dans le monde, la jeune cuisine fait sa révolution, de Tokyo à Madrid, de Londres à New York, de Paris à Melbourne, de Milan à Singapour… l’assiette fait une sorte de coming-out, elle s’efforce de balayer le passé, d’être vraie et de s’ouvrir à d’autres univers.
Le naturel, le locavore, l’esthétisme version bio, la transgression d’un territoire, la betterave du jardinier du coin, la viande de l’éleveur génial du fin fond de la province, … l’esprit « 50 Best » envahit nos assiettes, à tels points que tout cela donne l’impression que pour être reconnu et faire partie des tables dont la presse parle, il faut se calquer sur quelques fondamentaux très en vogue actuellement… »
Point de vue de professionnels de la profession qui, comme celui des galeristes et des agents d’artistes, barbotent dans le même marigot d’ego. Nous vivons tous dans le même monde où, les vendeurs de vent, les agents, les communicants, les blogueurs asservis, les twitteuses qui disent toujours oui, font reluire ces ego pour que les fourneaux puissent faire rapidement bingo. Le storytelling règne en maître sous le joug des géants de l’agro-alimentaire. Il faut bien vivre monsieur, Omnivore, le Shira, etc. ne sont que des vitrines qui ont de plus en plus de mal à cacher l’origine de leurs gros bienfaiteurs.
Pour autant je ne conteste pas la pertinence de certaines de leurs remarques mais je trouve l’analyse un peu courte et surtout énormément réductrice lorsqu’elle fourre tout le monde dans le même grand sac des bobos des villes qui ne jurent que par le naturel, le locavore, le bio, voir ce qu’ils écrivent plus haut.
La haute-cuisine des anciens maîtres, dans son isolement élitiste, semblait hors le monde du commun, seuls les privilégiés pouvaient avoir accès aux produits d’excellence du terroir ou de la mer. Le chichi, le prout-prout tralala, le décorum, initiés par le vieux guide rouge ne diffusaient guère dans le manger populaire. Nos petits nouveaux de la cuisine contemporaine ne se sont pas totalement libérés de tous ces codes et leur esthétisme n’a rien à envier aux fanfreluches pour nouveaux riches qui encombrent les salles de beaucoup d’étoilés. Leurs additions sont aussi salées que celles de leurs prédécesseurs avec des rations qui frisent le foutage de gueule, j’en conviens aisément.
Pour moi, la question n’est pas là où la place le petit monde des chefs en place et de ceux qui gravitent autour des chefs, aussi bien ceux qui exècrent la cuisine contemporaine que ceux qui l’idolâtrent.
Ce qui me paraît intéressant et important dans cette tendance, qu’il ne faut pas réduire à une simple mode pour urbains friqués, c’est son effet de diffusion sur les nouvelles générations. Il est si facile de railler le bio, le locavore, les amap, l’économie sociale et solidaire, les produits équitables, les fruits et légumes oubliés, les espèces animales en voie de disparition… dans un monde où des gens crèvent de faim ou ont du mal à boucler leur fin de mois. En revanche, si l’on souhaite vraiment promouvoir des modes de production alternatifs pour alimenter de nouveaux circuits de distribution, il faut être en capacité de remettre sur le chantier une cuisine simple de produits simples.
Rappelons que « pour réduire leur budget alimentation au minimum, 98 % des Français ont modifié leurs comportements. Ainsi, 87 % d’entre eux déclarent cuisiner leurs restes pour éviter de gâcher, 85 % affirment comparer systématiquement les prix des produits selon les marques (66 % préfèrent d’ailleurs les marques de distributeurs aux grandes marques). Pour aller plus loin dans les économies possibles, 84 % des personnes interrogées privilégient les produits en promotion et 81 % disent utiliser régulièrement des coupons de réduction.
Toujours dans une perspective de réduction des coûts, ils sont 75 % à limiter leurs sorties au restaurant (versus 56 % pour les foyers aux revenus supérieurs à 3 500 euros et plus). Dans ce domaine d’ailleurs, 44 % des Français estiment que le budget dédié aux loisirs gastronomiques est en baisse par rapport à l’an passé (versus 22 % qui le considèrent en hausse et 34 % qui le jugent stable). »
La partie est loin d’être gagnée puisque 87 % des Français privilégient la grande distribution pour faire leurs courses (37 % en supermarché, 36 % en hyper et 14 % en hard-discount). Preuve que ces canaux de distribution classiques séduisent davantage que les circuits courts : seuls 5 % des Français s’approvisionnent au marché et 2 % directement auprès des producteurs.
La bataille se joue bien sûr dans les assiettes de nos chefs de haute cuisine, anciens ou contemporains, mais elle se mène bien plus en profondeur dans l’immense étendue de la Toile. Et c’est à ce niveau que les petits nouveaux excellent, ils occupent le devant de la scène, irritants, surexposés mais imprimant le tempo.
Leur discours touche bien plus que le long lamento des fous de tête de veau. Le réduire aux petites fleurs, poudres, pousses, minis-herbes c’est se laisser aller à la facilité, faire ce qu’on fait un temps les anti-bios avec les bio-cons, se crisper, entrer dans un déni de réalité des attentes de la société. Sur le temps long la tendance lourde, des modes de consommation et de distribution, ne va pas s’inverser mais ce qui était considéré comme marginal va peser et induire des inflexions.
Dans la bataille de la mondialisation notre capital de création de valeur, nos vraies différences compétitives, se situent dans ces produits que l’on estimait jusqu'ici ringards, tués par la normalisation, l’hygiénisme, la standardisation… Il ne s’agit plus de les défendre mais de les promouvoir, de les revisiter, de les faire aimer.
Alors, par-delà les excès, les ego, les outrances, les dérapages, les provocations, de ces nouveaux Rastignac des assiettes se dessine un modèle alimentaire qui introduira des coins dans la toute-puissance des faiseurs de bouffe emballée, aseptisée, normée. Je ne sais si ces minuscules anfractuosités ébranleront le système, je ne le crois pas et, de toute façon, ne le verrai pas, mais ce dont je suis sûr et certain c’est qu’une agriculture que l’on croyait morte et enterrée va avoir de beaux jours devant elle.
Au lieu de geindre à nous de jouer car nous sommes aussi le système !
La cuisine responsable et engagée de Colombe Saint-Pierre Le Bic Canada
« Colombe raconte un produit, puis un plat, au détour d’une anecdote. Comme ce cochon d’une redoutable gourmandise. Un médaillon de porc donc, lardé de pancetta, servi avec un ravioli de porc et feta et une poêlée de cerfeuil tubéreux et chanterelles. Un bon morceau de « fesse » comme le décrit Colombe avec sa spontanéité pétillante. « Ce cochon, c’est celui que mangeaient ses grands-parents » ajoute Alex. Il est cuit comme un rôti, enroulé de pancetta maison. « J’ai mis cinq ans à maîtriser la charcuterie » raconte-t-elle, comme l’un de ses challenges évidents. »
- Le prince aux petits pois Claus Henriksen Dragsholm Castle Danemark
« Mon fil conducteur est devenu très simple : vous devez pouvoir lire mes plats facilement. Je suis là pour vous montrer le travail des fermiers, vous devez comprendre le produit sans avoir la technique. »
In Itinéraires d’une cuisine contemporaine n°1/10
Gros tambour et petite trompette : un débat à la Française
Périco Légasse
« C’est un guide rouge, on pourrait le croire prolétarien, voire marxiste, mais pas du tout, les étoiles sont donné dans les quartiers les plus luxe… l’étoile c’est la compétence du cuisinier pas la qualité de la nappe …
C’est quoi la gastronomie française ? … c’est un pays agricole de paysannerie, avec une diversité de produits, de paysages c’est la fonction de l’air et de la terre qui a généré ce patrimoine… c’est la bonne bouffe contre la malbouffe…
Ce pays est en train de crever, de la mondialisation industrielle …
Indépendamment de Wall Street de grandes cours de Bruxelles…. quand vous mangez, vous votez … vous faites du bien à votre environnement, vous faites du bien à votre pays … mangez des produits de la France
« Le guide n’a pas arrêté d’encenser des cuisiniers étrangers en Espagne, au Danemark … qui ne sont pas des cuisiniers mais des chimistes.
En France aujourd’hui on mange la cuisine du moment, la cuisine soixantuitardisée, libérée… qui a reniée toutes les valeurs fondamentales, tout l’ADN de la cuisine française …
Le guide Michelin fut une institution, il fait du suivisme, une sorte de renonciation, de démission, pour suivre l’air du temps, pour quelque chose qui se lèche, qui se suce …
Les cuisiniers ont abandonnés leurs statuts d’artisans …pour devenir des artistes, les gens leurs ont dit dont Gault Millau sortez des cuisines, devenez des artistes, faites des œuvres d’arts dans vos assiettes….
La cuisine d’aujourd’hui c’est une espèce de bouillie de chat, multicolore, décorée, …
le problème, c’est que Michelin, c’est le seul tribunal qui n’explique pas ses verdicts, vous avez deux ou trois étoiles, vous ne savez pas pourquoi … 200 ou 300 euros dans une addition, on a envie de savoir pourquoi, pour quelle raison, cette année, c’est un jeu de massacre … Il demande que Michelin commente ses décisions … toujours pour les artistes, jamais pour les artisans … »
Franck Pinay-Rabaroust
« Périco il y va un peu fort, il y va de sa faconde, le guide Michelin, lui ce qu’il fait c’est qu’il essaye de s’adapter, de coller au rythme de la gastronomie qui va de plus en plus vite.
On a taxé durant de nombreuses années le guide Michelin de conservatisme, … Périco était déjà à sa place et gueulait contre le guide Michelin, au moins le guide Michelin essaye d’évoluer …
La gastronomie va trop vite, le guide Michelin essaye de suivre ….
Il y a une volonté d’avant-gardisme du guide Michelin, qui effectivement perd son identité, chaque guide, chaque média à un positionnement éditorial, on est bien placé pour le savoir, le guide Michelin est en train de le perdre, d’autre comme Omnivore ou le Fooding ont incarné le renouvellement, la nouvelle cuisine, les jeunes chefs tatoués, poilus … le guide Michelin est sommé d’évoluer, sinon il va mourir…
Il a la dimension économique, on lui as dit – tu gagnes de l’argent, sinon tu vas passer sous d’autres mains – … le guide Michelin c’est une grand-mère, donc il avance doucement … il s’en sort pas si mal que ça …
Le guide Michelin, c’est la référence …. La critique c’est très subjectif, c’est un regard à un moment donné … »