L’ANPAA je connais. Je la connais de l’intérieur : j’y ai adhéré et j’ai été, très tôt, l’un des rares à décortiquer ses comptes et à analyser sa stratégie de harcèlement via des plaintes ciblées.
La fameuse loi Evin aurait dû être baptisée au nom de son vrai père : Claude Got. ICI et ICI
Après une longue période d’aphasie, les professionnels du vin se sont réveillés puis organisés autour de Vin & Société.
Fort bien, et je n’ai rien à dire sur les messages qu’entendent faire passer les professionnels auprès du grand public si ce n’est qu’ils devraient prendre en compte toutes les questions que celui-ci se pose sur la vigne et le vin ; très clairement occulter ou réagir en défense sur les problèmes des pesticides n’est pas de bonne politique surtout lorsqu’on avance des raisons économiques. La santé publique commence d’abord dans la vigne pour ceux qui y travaillent et vivent dans son environnement.
Parer la loi Evin de tous les maux de la terre est un peu commode car la puissance de feu de la publicité pour le vin est si infime que si toutes les vannes étaient de nouveaux ouvertes se serait presque un coup pour rien sauf pour ceux qui en ont les moyens : les grands groupes de spiritueux et de la bière.
Ceci écrit, la réécriture de la loi s’impose car son indéfinition du contenu de la publicité a donné lieu à une jurisprudence sans queue ni tête. Attention, la fâcheuse tendance de certains plumitifs du vin à confondre journalisme et publipromotion nuit gravement à la crédibilité de l’argumentation selon laquelle la liberté d’expression serait menacée.
Alors, j’ai du mal à me joindre au ramdam auquel a donné lieu le projet de loi de Marisol Touraine…
1-Bordeaux fait de la résistance ! via Jacques Dupont du Point
Bernard Farges, président du conseil interprofessionnel du vin de Bordeaux et de la CNAOC, pousse un coup de gueule argumenté contre l'ANPAA.
QUELLE VISION DU VIN VOULEZ-VOUS POUR VOTRE PAYS ? [...]
Celle défendue par l'ANPAA, avec ses 75 millions d'euros de fonds publics, ses procès permanents et ses amendements remis en main propre au rapporteur de la loi ! Vous aurez peut-être lu avec intérêt le récent entretien de M. Rigaud, président de l'ANPAA, dans lequel il propose, en somme, de limiter la communication pour le vin sur Internet au même titre que les sites pédophiles ou nazis...
Oui, voilà à quoi l'ANPAA associe notre communication sur Internet ! C'est une honte !!! C'est une honte... et c'est récurrent !
Le directeur de l'ANPAA l'avait déclaré avant lui dans le Wine Spectator et M. Rigaud nous a dit les yeux dans les yeux : « En 1943, les vins français étaient réquisitionnés pour l'armée allemande. C'était une grande année pour la lutte antialcoolique en France ! »
Maintenant, ça suffit !!
Dans les amendements proposés par l'ANPAA, il est proposé :
- de restreindre la communication sur Internet,
- de supprimer la référence à la notion d'abus dans le message sanitaire et de mettre donc en garde contre toute consommation d'alcool,
- d'interdire les noms de domaine, cuvées, marques qui seraient considérés incitatifs.
Ou encore des propositions aujourd'hui au stade de notes internes :
- de limiter la publicité à la radio de 22 heures à 6 heures du matin,
- de consacrer 20 % de l'espace de tous nos visuels aux messages sanitaires, d'interdire les fêtes viticoles...
En bref, des énormités forcément inacceptables qui ne régleront en rien les vrais problèmes ! Mais enfin... la ficelle est grosse ! On nous promet du très douloureux pour mieux nous faire accepter le moins douloureux... l'effet cliquet ! »
J’avoue que je trouve ce discours bien étrange car il semble ignorer le contenu du projet de loi adopté en Conseil des Ministres et faire de l’ANPAA le cheval de Troie du Gouvernement. Ça frise le procès d’intention, la suspicion, une forme désagréable de combat politique contre un pouvoir qui n’est pas en odeur de sainteté dans les organisations professionnelles du vin. Les mots étaient bien plus mesurés et policés lors de la discussion du projet Bachelot bien plus redoutable. Et qu’on ne vienne pas me dire que je fais moi-même des procès d’intention : mon long séjour à l’Hôtel de Villeroy m’a instruit sur les pratiques de certains.
L’ANPAA agite des chiffons rouges, l’ANPAA a des alliés au Ministère de la Santé, l’ANPAA cherche à mobiliser des parlementaires sensibles à sa cause : ce n’est pas nouveau et prendre à partie l’exécutif sous le couvert de la nuisance de l’ANPAA n’est pas pour moi de bonne politique face à l’opinion publique. Face à une adversaire, aussi stupide et borné soit-il, il faut savoir raison garder et ne pas se tromper de cible.
2-Dans les travées du SIA : le Président de la République et son Premier Ministre dégustent à qui mieux.
- François Hollande : « Le vin est une valeur de la France »
- François Hollande à propos d'un bergerac rouge : « C'est de la bombe, ça »
Bien sûr j’entends monter la voix des sceptiques ou des jusqu’au-boutistes : la loi Evin est toujours debout et in faudra la réformer ou l’abattre. La seconde branche de l’alternative m’apparaît improbable. Pour la réforme, au risque de passer pour un optimiste naïf, je suis persuadé que le fruit va être bientôt mûr. Patience et longueur de temps, ce n’est pas au son du tambour qu’on y arrivera mais par un travail de persuasion intelligent et subtil. À chacun de prendre sa part et, croyez-moi le pouvoir de lobbying de l’ANPAA est sur le déclin, ce qui explique son jusqu’au-boutisme. Le monde du vin a eu aussi les siens, croyez ma vieille expérience.