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19 novembre 2012 1 19 /11 /novembre /2012 00:09

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J'adore, j'ai toujours adoré, les surprises, les bonnes bien sûr, mais, avec le temps qui passe, je constate que les surprises agréables se font plus rares. Comme ce qui est rare est cher dit-on, alors je goûte et j'apprécie à leur juste valeur, avec gourmandise même, celles qui me tombent dessus. Dans ma quête de sujets de chroniques je suis toujours ravi de dénicher chez mes libraires de prédilection une bonne surprise de lecture. Dès que je tombe sur une pépite je suis tout excité et j'ai hâte de vous faire part de ma découverte. Je ne sais si vous partagez mes coups de cœur mais ça n’enlève rien à mon plaisir. Et puis, eu égard à ma nouvelle aura de blogueur – un peu d'autosatisfaction ne saurait nuire – je reçois parfois de la part d'éditeurs des services de presse. Tel fut le cas avec l'ouvrage de Jane Anson ÉLIXIRS publié aux éditions de La Martinière. Je me suis dit alors: « encore un de ces beaux livres, plein de belles photos, dont le destin sera d'orner quelques guéridons ou de dormir dans une belle bibliothèque ». Pour me motiver j'ai demandé à rencontrer l'auteur, ce qui me fut accordé. Rendez-vous pris je me retrouvai dans l'obligation de lire ÉLIXIRS. Je m'y suis plongé et ça m'a captivé. J'ai tout lu, annoté et je me suis dit que le meilleur destin pour les idées reçues et les à priori c'était de ne jamais s'y arrêter.

  • En 1855, il n’était que 4, Mouton-Rothschild en 1973 intégrera les Premiers Crus après un long combat du Baron Philippe et changera sa devise « Premier ne suis, Second ne daigne, Mouton suis. » en « Premier je suis, second je fus, Mouton ne change. »   1855-002.JPG

J'ai donc rencontré, au petit matin, Jane Anson au café du Petit Palais, un lieu délicieusement exotique, très anglais, où l'on a plaisir à converser. Née à Oxford, études littéraires puis à l’University College London (UCL) pour un PublishingMaster, journaliste à 20 ans destination Hong-Kong, le vin n’est pas encore entré dans sa vie mais l'intérêt pour celui-ci viendra vite, en 1996, avec un séjour en Afrique du Sud postapartheid. Puis 2003, direction la France avec son mari, plus précisément Bordeaux où, bien sûr, le vin s'installe dans la vie de Jane. Son premier reportage pour Decanter sera à Château Margaux, à propos de la capsule à vis je crois. Nulle glace à rompre avec Jane, alors j'enchaîne avec la première question : pourquoi ce livre ? La réponse est directe: parce l'histoire croisée des 5 Premiers Grand Crus Classés n'avait jamais été écrite et que Jane souhaitait la narrer en partant des origines pour aller jusqu'à ce qu'elle appelle très justement : Regarder en avant. L’intérêt du livre réside dans cette alliance, cet alliage réussi entre l’Histoire, les histoires de famille, le monde des affaires, le temps présent et les enjeux de l’avenir. La vie irrigue ce livre fluide, argumenté, il a des racines qui permettent au lecteur, une fois qu’il y est entré, d’être, bien plus qu’un simple spectateur, un acteur de la légende qui peut, à la fois, se laisser aller à rêver tout étant de plain-pied dans la réalité de notre planète globalisée.


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Dans toute la partie rétrospective Jane Anson, avec talent et précision, sait faire revivre un Jean de Pontac le véritable père de Haut-Brion « talentueux meneur d'hommes – et de femmes –, actif en politique durant sa très longue existence, qui se termina à l'âge de 101 ans, fait rarissime à l'époque » ou le journal de Samuel Pepys qui contient une citation fameuse, datée de 1663 : « allé à la Bourse avec Sir J.Cutler et, avec M.Grant, à la taverne du Royall Oak sur Lumbard Street... Et là, j'ai bu une sorte de vin français appelé Ho Bryan, qui avait un bon goût très particulier que je n'avais jamais rencontré. » Ou encore le « Prince de la vigne », dixit Louis XV, le marquis de Ségur, propriétaire par le jeu des mariages et des héritages conjointement de Latour et de Lafite, même un temps de Mouton avant de le vendre « à un certain Joseph de Branne » qui « était comme un poisson dans l'eau à la Cour opulente de Louis XV. Doté de la réputation d'être l'homme le plus riche de Bordeaux, il se faisait une joie de la justifier (…) en investissant de fortes sommes dans les vignes du Médoc. » Comme le souligne Jane Anson « D'ailleurs, tous les propriétaires de ces Premiers Grands Crus menaient ce genre de vie. Tous nobles – marquis à Lafite et Latour, baron à Mouton et comtes à haut-Brion et à Margaux –, ils tiraient une richesse considérable de leurs terres (on estime que 86% du capital de Ségur provenait de ses deux domaines viticoles) et il n’est donc pas étonnant qu’ils aient dépensé des fortunes à décorer leurs châteaux et à y recevoir. »


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Mais comme je l’ai souligné ce livre ne se contente pas de livrer les Riches Heures des 5 châteaux mythiques il met ses lignes dans leurs pas au quotidien. Pour ce faire Jane Anson a privilégié ceux qui font, ceux qui, au jour le jour, travaillent, rouages bien huilés de ces belles horloges. Les propriétaires actuels sont peu présents, comme en retrait par la volonté de l’auteur. Ce choix permet de ne pas trop cultiver les clichés, les images d’Epinal ou de tomber dans l’hagiographie. ÉLIXIRS n’est pas qu’un beau livre de commande, c’est un vrai livre fruit d’un travail minutieux et passionné d’un auteur qui en a conçu le projet et qui a mené sa barque à sa guise. Bien sûr, certains pourront estimer que Jane Anson aurait pu, dans la phase contemporaine, s’intéresser de plus près aux petites histoires qui font les délices de la Place de Bordeaux, et de ceux qui s’en délectent, le côté people quoi. Elle a parfaitement raison de passer outre, cet angle voyeuriste n’apporte pas grand-chose à l’histoire des 5 Grands et il a plus sa place dans la bande-dessinée satirique. En revanche, et je lui en ai fait la remarque lors de notre conversation, ce qui me préoccupe plus c’est le fossé qui se creuse, vu le niveau des prix, entre ces icônes et les grands amateurs qui n’y ont plus accès. L’univers du luxe est certes fascinant mais, pour le vin, dont la finalité reste tout de même d’être bu, cette captation par une population plus attachée au paraître, à la valeur purement statutaire du produit, risque de marquer le début d’un temps de désamour qui ouvrira la porte à de nouveaux venus qui, tout en faisant rêver, auront le mérite d’enchanter les papilles de leurs acquéreurs. Même les grands mythes ont besoin de s’enraciner dans l’imaginaire populaire. Gageons que Jane Anson, en un prochain livre, saura poursuivre son œuvre.


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En effet, qui mieux qu’une anglaise vivant à Bordeaux peut trouver le meilleur angle pour explorer le monde mythique de ces Grands Châteaux ? Francis Ford Coppola, qui signe la Préface du livre, l’a bien compris lorsqu’il écrit « Pour moi la légende de Bordeaux a commencé lorsqu’une belle jeune fille de quatorze ans, au début du Moyen Âge, reçut en héritage la région d’Aquitaine. Épouse et mère de rois (son fils Richard Cœur de Lion mourut dans ses bras), elle-même décédée à 90 ans passés, elle a imprégné de son esprit cette région extraordinaire. L’histoire qui s’ensuivit fut terrible et fabuleuse : décapitation, mariages, beaux-fils sans scrupules, rivalités familiales, conduites tour à tour pieuses et salaces – et pouvoir financier, pour aboutir à ce jour de 1855 où, afin de fixer les prix et faciliter les ventes, un classement de vins fut établi. » L’intimité et la complicité entre la Place de Bordeaux et l’Angleterre faites de pragmatisme, du sens aigu du commerce, du grand large s’est ici enraciné dans un terroir, mot inconnu de la langue anglaise, pour bâtir une légende bien française qui, traversant le temps, fonde la notoriété de l’ensemble des vins Français. C’est un fait, et c’est heureux.


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Reste maintenant à écrire de nouvelles pages, regarder en avant comme l’écrit Jane Anson dans son dernier chapitre. Mon esprit frondeur se réjouit de constater qu’ « à Latour 50% des vignes sont désormais cultivées en bio ou biodynamie complète. Depuis 2008, on a réintroduit les chevaux, comme au XVe siècle, pour travailler l’Enclos. On estime que les sabots du cheval abîment beaucoup moins la vigne qu’un tracteur, et il est certain que l’animal réduit l’empreinte carbone. » Je sais que ça va faire grincer des dents chez certains mais moi ça me plaît car, au-delà des querelles, dont le contenu me dépasse et m’indiffère, le retour en force du souci de la vie de la terre, ce substrat au fameux terroir puisque nous sommes au point le plus précis de l’origine, constitue la meilleure défense d’un de nos bien les plus précieux : nos vignes. Et, croyez-moi, prendre connaissance de  la déclaration de Frédéric Engerer à Delhi, devant un groupe d’amoureux du vin : « Nous avons une salle de compostage où nous gardons un mélange de 20% de bouse de vache et le reste en copeaux de chêne, en rafles de raisin, en feuilles mortes et en eau de nettoyage des cuves. Le tout macère deux ans à une température constante de 70°C et nous obtenons ainsi le fertilisant idéal. Nous devons rendre à la terre ce qu’elle nous a donné. » me ravit. Souvenir de Lalou Bize-Leroy qui me tenait les mêmes propose en 1988 lors d’un déjeuner chez elle… Patience et longueur de temps…


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Vous l’aurez compris, si vous souhaitez faire plaisir à un proche, à l’un de vos amis, passionné par le vin, ou à vous-même, je vous recommande en cette fin d’année d’aller chez votre libraire feuilleter ÉLIXIRS avant de l’acquérir. C’est publié par les éditions de la Martinière 45€.

 

Les photos d’Isabelle ROZENBAUM sont superbes.


Pour finir, dans COMPRENDRE LE TERROIR, quelques citations d’Olivier Trégoat le normand, l’homme de la cartographie de la Vigne et des Boissenot, Jacques et Éric, le  père et le fils.


Ce que « Grand Cru Classé » veut dire : « Il faut bien entendu l’histoire, le savoir-faire, le lieu. Mais il est trop facile d’oublier que si l’on ne prête pas attention au terroir, celui-ci ne produira pas le vin désiré. Les vignes ont besoin d’être cultivées, soignées. Il faut tôt ou tard, qu’un viticulteur trouve le bon équilibre de densité de plantation, le bon cépage, la bonne méthode de taille, et ainsi de suite. Sans quoi la vigne n’atteindra pas son potentiel. Et une fois cet équilibre trouvé, les éléments constituants du sol font toute la différence entre bon vin, grand vin et vin exceptionnel. » O.T


« L’élément  fondamental, en fin de compte, c’est l’eau, et la distribution de cette eau dans le sol. Tous les Cinq Premiers Classés d’origine ont des sols très différents, mais ces sols ont tous en commun la capacité de bien répartir l’eau qu’ils reçoivent au cours de l’année. Pour produire un grand vin, où que l’on soit, il faut un peu de stress hydrique, et ma recherche a consisté en grande partie à analyser les réactions de chaque parcelle à ce stress hydrique.

Je crois qu’il existe à Bordeaux plusieurs types de grand terroir. Les graves comme l’argilo-calcaire peuvent produire un grand vin, à condition qu’il y ait assez de stress hydrique. Trop de stress est aussi néfaste que trop peu : du moment que les feuilles sont affectées, il y en a trop. Mais les vignes doivent souffrir un peu pour bien produire. » O.T

 

DONNER LA PAROLE AUX VINS


« Faire un bon vin, ce n’est pas compliqué. Il faut juste du bon sens. J’aime les vins peu exubérants, équilibrés et complexes. Cela, on peut l’obtenir assez facilement sans recourir à la technologie. Et il ne faut pas détruire l’identité du lieu où est fait le vin, ça, c’est primordial. Une vendange trop mûre fait disparaître le terroir. Il faut faire confiance à ses sens, à son observation de la maturité des raisins. Les extrêmes, c’est facile, mais ça ne m’intéresse pas. » Éric Boissenot


« On est allé trop loin en œnologie et en viticulture. Mais même des raisins parfaitement sains apportent certains problèmes. Il peut être difficile de résister à la tentation de les travailler à l’excès. Beaucoup de gens ont envie d’exagérer la maturité, l’extraction, les tannins… Mais ce n’est pas ce que nous recherchons et les Premiers Crus Classés l’évitent aussi. Ils espèrent plutôt que le vin parlera de lui-même,  sans avoir à le crier. » Jacques Boissenot.

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