Tout fut réglé en deux temps trois mouvements : carte blanche, tous frais payés, primes de risque et de résultat. Ma sécurité personnelle exige que je ne vous fasse aucune relation précise de ce que j’ai fait à New-York et bien sûr avec qui je l’ai fait. Deux cibles prioritaires : le Sofitel et Nafissatou Diallo, en sachant que l’un comme l’autre seraient d’un accès difficile mais, avec mes contacts locaux, nous avions les moyens de les contourner. L’important était d’aller droit au but, au plus vite, en passant au travers des mailles distendues de la machine judiciaire. Ici avec du blé tout est possible à condition d’être bardé d’excellents lawyers et de travailler avec des pros du renseignement. Deux points focalisèrent mon attention après la relation que me fit Stef au téléphone : qu’était-il advenu du BlackBerry de notre client et que s’était-il passé dans la chambre 2820, située au même étage que la suite de DSK et où Nafissatou Diallo s'était rendue à plusieurs reprises avant et après son « contact » avec l'ancien favori des sondages ? Sur les autres chantiers, tout particulièrement celui de son compagnon embastillé Amara Tarawally, originaire de Sierra Leone, à qui elle a dit, sur l’un de ses 5 téléphones « Ne t’inquiètes pas, cet homme a beaucoup d’argent, je sais ce que je fais », nous avons très vite su que cet habitué de la manipulation des femmes, plusieurs fiancées au compteur, était un suceur de fric. L’une d’elle nous a expliqué qu’il avait tenté de l’escroqué. Pronostic évident : il était le talon d’Achille de la pieuse plaignante qui se révèlera être sa femme puisque marié religieusement avec lui.
Comme le groupe Accor, auquel le Sofitel appartient, est français je pus actionner facilement les procédures habituelles : les hommes, surtout les importants, ont tant de faiblesses répertoriées et fichées, pour avoir accès, bien avant tout le monde, aux enregistrements réalisés par les caméras de surveillance du Sofitel. Pour les relevés téléphoniques, depuis l’affaire des fadettes, vous savez tous qu’il suffit de raquer pour y accéder à condition bien sûr d’être couvert par sa hiérarchie : la mienne ne pouvait rien me refuser. Afin d’éviter que nous fussions repérés par les grandes oreilles nous désignons toujours notre client Kbis et la plaignante KO (en souvenir du boxeur nantais Souleymane Diallo). La relation qui suit revient, minute par minute, sur le film des événements troubles qui ont jalonné ce fameux 14 mai.
En début de matinée Kbis découvre qu'il a « un sérieux problème avec un de ses téléphones BlackBerry » qu'il utilise pour envoyer et recevoir des messages aussi bien personnels que professionnels. Il soupçonne que celui-ci aurait été hacké car une amie qui travaille comme documentaliste au siège parisien du PMU (anagramme bien sûr), lui a envoyé un message dans la matinée pour le prévenir « qu'au moins un de ces e-mails privés récemment envoyés depuis son BlackBerry à son épouse, avait été lu dans les bureaux du PMU à Paris. »
10 h 07 Inquiet, Kbis téléphone à sa femme depuis le BlackBerry en question. « Au cours d'une conversation qui dure moins de six minutes, il lui annonce qu'il a un gros problème » et insiste pour qu'elle contacte Stef pour qu'il puisse rapidement « faire examiner le BlackBerry et l'IPad par un expert », une fois qu’il sera rentré à Paris.
12 h 06 - 12 h 07 KO, qui travaille depuis trois ans comme femme de chambre au Sofitel, pénètre dans la suite présidentielle occupée par Kbis. Ses bagages sont « visibles » dans l'entrée et selon l’usage dans tous les hôtels le personnel n'entre pas dans une chambre pour la nettoyer tant que le client s'y trouve.
12 h 13, Kbis téléphone à sa fille avec laquelle il a rendez-vous pour déjeuner, pour la prévenir qu'il risque d'être en retard.
12 h 26 KO entre dans la chambre 2820, située au même étage que celle de Kbis. La femme de chambre s'y est déjà rendue à plusieurs reprises dans la matinée, « Y avait-il quelqu'un dans la chambre 2820 en dehors de KO avant et après sa rencontre avec bis ? Si oui, qui étaient-ils et que faisaient-ils là ; et pourquoi, dans tous les cas, Diallo a-t-elle nié qu'elle s'était rendue dans la chambre ? » Pour l’heure il est trop tôt pour livrer les éléments de réponse dont je dispose.
12 h 28 Kbis quitte le Sofitel dans un taxi en direction du restaurant McCormick & Schmick's, sur la Sixième Avenue. D'après les caméras de surveillance de l'établissement, il arrive à destination à peu près une demi-heure plus tard.
12 h 51 Le téléphone de Kbis est déconnecté et le système de géolocalisation de l'appareil désactivé, comme en témoignent les archives de la compagnie BlackBerry. « Si on excepte la possibilité d'un accident, pour qu'un téléphone soit mis hors service de cette façon, il faut, selon un expert légal, une connaissance technique du fonctionnement du BlackBerry » nous ont précisé nos experts.
12 h 52 KO est prise en charge par le service de sécurité de l'hôtel.
13 h 03 John Sheehan, un expert des questions de sécurité « identifié sur son profil LinkedIn comme directeur de la sûreté et de la sécurité chez Accor », reçoit un appel du Sofitel pour assister les équipes de l'établissement. Dans la voiture qui le conduit au Sofitel il téléphone. Serait-ce au responsable de la sécurité du groupe Accor, un ancien membre de la brigade antigang d’Ange Mancini ? Motus !
13 h 33 Brian Yearwood, ingénieur en chef du Sofitel, et un inconnu qui a auparavant accompagné KO jusqu'au PC sécurité s'éloignent du groupe rassemblé autour de la femme de chambre. A l'abri des regards, ils se congratulent, frappent dans leurs mains et se lancent dans « ce qui ressemble à une extraordinaire danse de fête qui dure trois minutes ». Scène étrange mais visible sur les bandes vidéo-surveillance.
14 h 05 Deux officiers de police arrivent au Sofitel.
14 h 15 Kbis « se rend compte dans le taxi qui le mène à l'aéroport que le BlackBerry qu'il souhaite faire expertiser à Paris a disparu. Depuis un autre mobile, il réussit à joindre sa fille et lui demande de retourner au restaurant pour vérifier que l'appareil ne s'y trouve pas. Celle-ci renvoie un message à son père à 14 h 28 pour le prévenir qu'elle a fait chou blanc. A 15 h 01, Kbis, toujours en route vers l'aéroport, essaie en vain de joindre le BlackBerry à partir de son portable de rechange. Une demi-heure plus tard, il se résigne à appeler le Sofitel pour avertir le personnel qu'il a vraisemblablement oublié son téléphone dans la suite 2806. »
15 h 42 Quelqu’un du Sofitel rappelle Kbis, c’est un homme, flanqué d’un détective de la police il ment en annonçant que l BlackBerry a été retrouvé. Il propose de lui faire porter. Kbis répond « Je suis au terminal d'Air France, porte 4, vol 23 »
16 h 45 La police arrête Kbis dans l'avion qui devait le conduire à Paris. Le BlackBerry ne sera jamais retrouvé et les soupçons de piratage de l'appareil jamais étayés par des analyses d'expert.
NB. Toutes ses questions inédites sont posées par Edward Epstein dans un long article de la New York Review of Books à paraître ce week-end, et auquel LeMonde.fr a eu accès.