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27 juin 2010 7 27 /06 /juin /2010 02:09

Tout ce passa sans la moindre anicroche, mon plan semblait couler de source, fluide. Après nous être enregistrés et avoir indiqué aux douaniers, forts compréhensifs à l’endroit d’invités de leur beau pays démocratiques, que nos bagages allaient arriver avec nos camarades chiliens qui prenaient le même vol, Jeanne et moi attendions, chacun de notre côté, sagement dans la salle d’embarquement. Ce que je n’avais prévu, alors que j’aurais du le prévoir, c’est que dans les démocraties populaires les officiels sont très friant des cérémonies d’adieux officiels, avec discours, et force d’accolades. Le départ de nos amis chiliens pour leur beau pays en voie de démocratisation populaire ne dérogea pas malheureusement à ce folklore grotesque. Par bonheur, alors que Jeanne venait de rejoindre les toilettes, je m’aperçus que des employés de l’aéroport dressaient une petite estrade juste devant le portillon permettant d’accéder à la salle d’embarquement. Au tout début je restai imperturbable devant cette légère effervescence mais lorsque je vis apparaître des drapeaux chiliens mon sang se glaçait. Nous étions coincés comme des rats, nul moyen de faire machine arrière. La seule retraite : les toilettes, sauf qu’il me fallait au préalable prévenir Jeanne de la dangerosité de la situation. Avec l’air le plus à l’aise que je pus prendre j’allais discrètement me poster tout près de la porte des femmes. Lorsque Jeanne apparut d’un signe de mon annulaire discret je lui demandais de venir près de moi. Ce qu’elle fit. Personne n’observait notre manège. En quelques mots je lui fis par de la situation. Elle resta d’un calme absolu. « Retourne d’où tu viens et moi je vais me planquer chez les hommes... » Elle opinait.

 

Toujours l’air dégagé je gagnais les chiottes pour me barricader dans l’une des trois cabines en priant le ciel que les autres resteraient libres et qu’aucun grincheux, pris d’une irrépressible envie de chier, ne vienne m’en déloger. Assis sur la lunette, par bonheur les tchécoslovaques n’étaient pas des adeptes des latrines à la turque, je commençais à comprendre le caractère aveugle de ma claustration. Comment saurais-je déterminer le moment d’en sortir en toute sécurité ? En fonction de l’heure d’embarquement sans doute mais si par hasard celui-ci s’opérait un peu en avance et que la préposée de l’aéroport, qui en ce temps-là pointait une liste nominative, s’étonnait de mon absence et m’appelait. Vous imaginez l’effet de mon nom et de celui de Jeanne claironné par les hauts parleurs dans tout l’aéroport. J’hésitais sur la conduite à tenir. Trop tôt et je risquais de tomber nez à nez avec nos amis du parti frère. Trop tard et c’était l’annonce fatale. Un filet glacé de sueur ruisselait sur mon flanc gauche. Je m’en voulais de ma précipitation. Le va et vient derrière ma porte me rassurait un peu. A plusieurs reprises des mains impatientes secouèrent le loquet de la porte de la cabine. Ma montre indiquait 16 heures. L’embarquement allait commencer dans moins de trois minutes. Je m’apprêtais à sortir lorsque quelqu’un glissa un morceau déchiré dans la Une de la Pravda. Fébrile je m’en saisissais. Tracé avec du rouge à lèvres il y était écris « Tu peux sortir » Abasourdi je sortais et je tombais nez à nez avec une femme de ménage.

 

« Merde, c’est toi ! » Jeanne vêtue d’une blouse bleue délavée tenait, tel un drapeau, une sorte de serpillière fixée à un manche mal équarri. Je ne l’avais pas reconnu de suite car elle portait une sorte de calot d’un blanc sale. Elle se débarrassait de ses oripeaux, les jetaient dans une poubelle et me tirait vers la sortie. Un gros pépère nous croisait alors que nous sortions. Son regard égrillard en disait plus long qu’un discours sur ce qu’il pensait que nous venions de faire en ce lieu. Jeanne souriait. Ernesto l’apercevait et se précipitait toutes dents dehors. Mon regard noir freinait ses ardeurs. Pour se racheter il me tendait les souches d’enregistrement de nos bagages en soute. Tous les trois nous gagnions le bar où j’offris une tournée d’Urquel Pilsner à toute la bande chilienne qui s’entredéchirait sur je ne sais quel histoire de prise de contrôle du Mir dans je ne sais quel trou pourri rural du Chili. Ces gus passaient leur temps à faire des nœuds entre eux pour mieux ratiociner ensuite sur la manière la plus compliquée de les défaire. Discrètement je jetais un regard en direction du hall. L’estrade, les drapeaux et le micro avaient disparus. Je sentais les doigts de Jeanne qui effleuraient le lobe de mon oreille. « Tu vois grand macho, les pisseuses arrivent même à avoir des idées et à prendre des initiatives. Sans moi tu serais encore sur ta cuvette à ruminer... » Elle s’exprimait en français. Nos amis chiliens du Mir n’étaient pas encore abonnés aux couloirs du métro parisien. Le souriant Pinochet allait se charger de les y expédier pour qu’ils apprennent notre merveilleuse langue tout en s’époumonant dans leurs flutes de pan.     

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