Le taulier est fou du Clairet mais les Bordelais emboitant le pas à la tendance se sont mis dans la tête de faire du « rosais » comme ces marauds de Provençaux. Grand bien leur fasse mais, tout même, lorsqu’on a le privilège de pouvoir élaborer du Clairet on en fait un must, parole de Taulier. Je sais le Clairet n’est pas du rosé mais pour une fois qu’une ambiguïté linguistique concernant une dénomination d’un de nos vins, à Bordeaux de surcroît, est le fruit de nos amis anglais, si prompt à nous moquer pour les subtilités de nos AOC, je ne résiste pas au plaisir de chroniquer. Claret, clairet, sont des héritages so british, et dans son chapitre 4 Jane Anson conte avec détails et précisions l’histoire des New French Clarets dès les années 1660, « où Arnaud III de Pontac s’était aperçu qu’il ne suffisait pas de faire un grand vin, il fallait le vendre… » et il envoya son fils, François-Auguste, accompagné d’un de ses maître-queux, à Londres en 1666 à la fin d’une épidémie de peste bubonique et le grand incendie de la ville…
Dans Bordeaux vignoble millénaire les auteurs écrivent « En 1435, des paroissiens d’Eysines, Miqueu de Caseras et Peyrona de Neolet, son épouse, versent au chapitre Saint-Seurin, leur seigneur, en guise de cens pour dix tenures en vignes, une demi-pipe de vin clar, bon, pur, noed e maerchant ;une formulation assez commune en Bordelais. On y retrouve le fameux terme gascon de vin clar, anglicisé en « claret » ou « clairet », qui caractérise, dans l’esprit des contemporains, la production vinicole locale. »
Mais il y a claret et claret, Jane Anson le souligne « Dès leur arrivée sur le marché, ces clarets de premier cru contribuèrent à l’apparition d’une classe de consommateurs plus sophistiqués et plus exigeants que jamais. Le terme New French Claret apparut plus fréquemment dans les catalogues de ventes de vins, se substituant au terme générique de claret. Les prix augmentèrent en conséquence, et l’on commença aussi à décrire les vins selon des critères d’apparence et de goût. La description d’une vente dans la Gazette en 1711 mentionne « de nouveaux clarets bordelais de France issus des meilleurs crus, profonds, brillants, frais et droits. »
« En 1705, une tonne anglaise (954litres) de Pontac (Haut-Brion) s’achetait 60 livres anglaises, tandis que la tonne de claret ordinaire n’atteignait que 18 livres, c’est-à-dire à peu près trois fois moins. »
« Les vins de Haut-Brion, qualifiés « grands vins » dès 1689-1690, faisaient l’objet de soins de conservation attentifs, grâce à des ouillages et des « tirages au fin », c’est-à-dire des soutirages répétés pour éliminer les lies. Rien n’atteste que Pontac se soit particulièrement soucié de sélectionner des cépages, ni qu’il ait discerné les vertus du vieillissement. Sa principale innovation concerne moins la production que la vente. Il fait du haut-brion son « grand cru » soulignent les auteurs de Bordeaux vignoble millénaire.
Ce qui est remarquable c’est que cet évènement d’importance, l’apparition des New French Clarets, semble être passé à peu près inaperçu des contemporains tant à Bordeaux que dans les cercles parisiens.
La tendance est lancée : « Le système a si bien fait ses preuves que les propriétaires des autres grands crus vont y recourir : en 1707, la London Gazette annonce ainsi la mise aux enchères d’un lot entier de « New Franch Clarets… being of growths of » Lafite, Margaux et Latour. Il s’agit de vins de la dernière vendange, expédiés sur lie, sans clarification par soutirage. De ces nouveaux clarets français, l’avis précise l’origine : le mot growth, qui signifie ici cru, prend un sens nouveau. Il se réfère à un terroir particulier et non pas à une appellation générale, telle que graves, palus ou simplement claret. Le terme désigne nommément les trois grands crus médocains qui, ont acquis la notoriété aux côtés de leur prédécesseur des Graves, Haut-Brion. »
Vraiment nos amis anglais y font tout pour embêter avec leur goût pour la complexité. Bien évidemment, en quelques paragraphes, je n’ai pas épuisé le sujet mais l’important c’est qu’en définitive vous vous mettiez bien dans la tête que le Clairet d’aujourd’hui n’est pas un claret d’hier pas plus qu’il n’est un vin rosé de Bordeaux puisque c'est un vin rouge.
L'aire de production du bordeaux-clairet s'étend sur l'ensemble du vignoble de Bordeaux. Bien évidemment il n’y a du Clairet qu’à Bordeaux.
Pour la technique je cite « Pour le bordeaux rosé, la saignée est pratiquée après une macération de 12 à 18 heures alors que pour le bordeaux clairet la macération est couramment de 24 à 48 heures, ce qui donne au vin une intensité de couleur, une vinosité et une richesse de goût plus importantes. »
La Cave de Quinsac qui s’autoproclame capitale du Clairet précise :
« En 1950 Emile Peynaud élabore le Clairet et la Cave de Quinsac devient créateur de l'appellation Bordeaux Clairet et Capitale du Clairet.
Sous cette appellation et selon des critères de qualité spécifiques, nous trouvons, à partir des mêmes cépages que le vin rouge de Bordeaux (Merlot, Cabernet Franc et Cabernet Sauvignon), avec une faible macération entre six et quarante-huit heures, des vins peu colorés, peu chargés en tanins, plus souples et très aromatiques. »
Bref, jusqu’ici je lichais, lorsque j’en découvrais, du Clairet soit du Château Thieuley, soit du Château Sainte-Marie. Et puis, comme j’ai le goût du paradoxe, le soir du Beaujolais Nouveau, chez Bruno Quenioux, j’ai fait l’emplette d’un Clairet estampillé Château Massereau 12,60€
Vraiment c’est du très bon, tout ce que j’aime dans le Clairet, vineux, du fruit de cerise anglaise, les guignes de ma jeunesse que je croquais sitôt cueillies, de la vivacité, de la jeunesse. C’est sans façon, sans chichi, mais ce n’est pas pour autant un vin sans caractère, tout mou, tout clair, light quoi. Alors, une fois n’est pas coutume, je mets ce Claret sur la première marche du podium. Il est mon must et il est évident que ça va avoir un grand écho à Bordeaux mais aussi chez les Parigots têtes de veau et j’ose les Parigotes têtes de vote : « Jean-François et François les mal élus… »
Pour vous dire quelques mots sur Château Massereau je passe le stylo à Fleur Godart qui écrit dans Gmag d’avril 2012 : « Philippe et Jean François Chaigneau, jeunes vignerons installés depuis le début des années 2000 au château Massereau, poursuivent un idéal bien singulier depuis la sombre époque du « tout technologique » et l’avènement de la logique de consommation du plaisir immédiat. Ils ont été élevés aux vieux bordeaux et c’est par amour pour ces identités en voie de disparition qu’ils tentent de redonner ses lettres de noblesse à un château Barsacais dans l’aire de bordeaux supérieur, de graves rouges et de barsac. En cherchant bien, ils ont trouvé quelques hectares « à l’abri de la chimie locale » plantés de vieux cépages francs de pied – un peu moins de 10 ha au total – et remplacé les pieds manquants par de jeunes plants en sélection massale.
En sont issus des vins construits, faits pour traverser les années. Mais la traditionnelle structure de cabernets francs, cabernets sauvignons et petits verdots, tout juste arrondie par quelques vieux merlots « à queues rouges », se dévoile difficilement dans sa jeunesse. »