En évoquant dans mon CV mes années rue Barbet de Jouy - la rue de Romy Schneider - l'annexe du 78 rue de Varenne là où se trouve le saint des saints : l'hôtel de Villeroy où loge le Ministre et son cabinet, je me suis souvenu de ma découverte du "Pied de Fouet ", un petit resto : 15 à 16 couverts, rue de Babylone. Le petit provincial que j'étais y trouva le meilleur de Paris.
Campons le décor : c'est minuscule, bas de plafond, une cuisine de 4 ou 5 m2 avec le chef et Hamid le plongeur algérien, au bar Martial le patron, placide, souriant, belge, aux commandes Andrée son épouse, petite bonne femme, poitevine, qui régente le client : pas de réservation, on ne fume pas, on prend son café au bar, on se déplace si ça arrange la patronne pour placer son monde. Tout le monde obtempère dans la bonne humeur et certains étrangers en redemandent. La cuisine est familiale, abondante, de qualité et l'addition est légère. On fait la queue sur le trottoir.
Dans la galerie de portraits : Jean-Marie Rouart aujourd'hui académicien, normal le PDF fut le restaurant de Gide, des diplomates des ambassades voisines, la fine fleur des Ministères, les gens du quartier avec mention particulière pour la Glue le serrurier gay et le Fiancé un vieux monsieur digne qui y déjeune tous les jours... On se parle. On se fait enguirlander par Andrée. Avec Anne-Cécile et sa mère nous y venions tous les samedis, nous avions nos ronds de serviette, aucun privilège sauf qu'Anne-Cécile aidait Andrée à servir à table et que ma tasse de café m'était portée à table. Le pudding diplomate dont je raffole fut baptisé pudding Berthomeau, entre nous c'est quand même plus chic que rapport.
C'est au Pied de Fouet que j'ai bu les premiers Gamay de Touraine de Marionnet. Ah le poulet au vinaigre d'Andrée, ses gateaux et surtout son coeur immense : on la voyait partir avec un plat garni pour une vieille dame impotente ou une personne malade et, quand elle revenait, nos sourires nous valaient un " alors on prend racine... " qui nous comblait d'aise. Des beaux jours, de la chaleur humaine, tout le monde traité à la même enseigne, une belle image de la France qui valait au Pied de Fouet d'être connu dans le monde entier.
Andrée et Martial ont pris leur retraite. Le Pied de Fouet existe toujours, les successeurs sont sympathiques, si vous passez rue de Babylone, juste derrière le mur d'enceinte de l'hôtel de Matignon, vous pouvez aller vous y restaurer, il y reste encore un léger parfum d'humanité.