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25 juin 2008 3 25 /06 /juin /2008 00:01

Quel grand plaisir pour moi de découvrir, comme ça, dans ma messagerie électronique, un mot d'encouragement, de sympathie, pour ma petite besogne quotidienne sur Vin&Cie, déposé par Jean-Michel Cazes. Il rentrait de voyage et pourtant il trouvait le temps de l'urbanité, ce petit rien qui entretient les liens entre les hommes. La Toile, que l'on qualifie trop souvent de tentaculaire et d'anonyme est, si on le veut bien, si on prend le temps, un merveilleux moyen de retrouver le goût de la correspondance. Vous comprendrez donc ma joie d'accueillir ce matin Jean-Michel Cazes sur mon espace de liberté. Je le remercie d'avoir pris sur son précieux temps pour me répondre. Que voulez-vous chers abonnés, chers lecteurs, vous êtes des privilégiés ce qui ne devrait pas vous empêcher de transmettre l'adresse de mon blog www.berthomeau.com à vos amis, connaissances ou partenaires. C'est pour la bonne cause : celle du vin. Bonne lecture.
1ière Question
 :

Jean-Michel Cazes bonjour, vous êtes de ces hommes curieux de tout qui vont de l’avant, défriche, déniche, un grand voyageur, un infatigable bâtisseur, un ambassadeur apprécié du vin, pour moi l’exemple même de ce que doit être la french attitude dans la plus en plus vaste planète mondiale du vin. Vous qui êtes présent, en Australie, au Portugal, mais aussi à la Livinière en Minervois, et récemment dans l’emblématique Chateauneuf-du-Pape avec le domaine des Sénéchaux, dites-nous comment vous appréhendez les années à venir face aux nouveaux eldorados : Russie, Chine, Inde… D’après vous, est-ce que la France du vin s’est mise, ces dernières années, en ordre de marche pour répondre à la fois aux défis de ses grands concurrents et à la croissance des nouveaux marchés ?

 

Réponse de Jean-Michel Cazes :

Grâce à l’adoption de la loi d’orientation agricole et à la volonté de beaucoup de viticulteurs de mieux maîtriser la qualité des produits, un certain nombre de mesures ont été prises pour rationaliser l’organisation de la profession, en particulier sur la plan de la représentativité et de la réglementation. Malgré tout, je pense que l’aspect économique des problèmes, de même que l’action commerciale n’ont pas été suffisamment pris en compte. Les textes et procédures que je vois naître en ce moment reflètent à mon goût une vision encore trop administrative des problèmes. La bureaucratie n’a pas dit son dernier mot et nous ne sommes pas suffisamment à l’écoute des marchés.

                                         (1)
2ième Question
 :

Revenons à votre région d’origine Jean-Michel Cazes, vous êtes le grand maître de la Commanderie du Bontemps, ordonnateur de la fête de la Fleur, donc une voix qui compte sur la place de Bordeaux. Pour mes lecteurs, qui ne sont pas tous des professionnels du vin, pouvez-vous nous décrypter le mystère bordelais où ces dernières années voisinaient la saga des grands crus, de belles réussites individuelles, et un mouvement de la base vigneronne proche de la jacquerie ? Aujourd’hui assistons-nous à une simple embellie ou est-ce que les leçons de la crise ont été tirées par les hommes en charges des organisations professionnelles ?

 

Réponse de Jean-Michel Cazes :

Au cours des derniers 15 ans, le marché du vin a connu une évolution importante, qui s’est accentuée fortement ces toutes dernières années. Tous, nous avons eu à affronter une concurrence, restée discrète jusque là, mais qui a déboulé depuis 10ans sur les marchés mondiaux en attaquant des positions anciennes que certains croyaient à tort acquises pour toujours. Dans le même temps, les marchés eux-mêmes ont changé, certains atteignant la maturité alors que d’autres, inconnus de nous encore il y a peu, s’ouvraient à la culture du vin. Il faut ajouter que le profil de notre clientèle n’est plus non plus le même : plus jeune, plus cosmopolite, plus riche aussi parfois, elle est surtout mieux informée et plus exigeante.

 

Le résultat de ces changements profonds est tout simplement que la production s’est fractionnée en grands pans qui n’ont pas tous la même réussite commerciale, voire la même résilience. Il y a, bien sûr, le clivage qualitatif. Il faut produire des vins de qualité, et c’est possible à Bordeaux à peu près partout. C’est une question d’état d’esprit et d’éducation. Mais cette distinction est loin d’être la seule : de plus en plus, les marchés récompensent, à travers les appellations et les classements (et souvent sans en tenir compte), ceux qui, à leur ambition de faire du bon vin, ajoutent la préoccupation de leur propre distribution. Car la véritable frontière est là : on ne peut plus aujourd’hui se désintéresser du devenir de son produit, aussi bon soit-il. Et Bordeaux présente nombre d’exemples de réussite dans ce domaine, qu’il s’agisse de grands crus ou de vignobles modestes. Je suis convaincu que c’est en suivant cette voie que les choses s’amélioreront durablement.

 

Alors, embellie ou réussite collective durable ? Je pense qu’il y a aujourd’hui un peu des deux. Mais Bordeaux possède des atouts considérables, de diverses natures, que la planète viticole lui envie. Notre passé est formidable et constitue une base de travail exceptionnelle. Notre avenir dépendra de notre capacité à sortir de notre cercle, comprendre les mécanismes du marché du vin au XXIème siècle et à nous adapter à eux. Je pense que beaucoup de vignerons et certains responsables professionnels ont compris quelle était la bonne direction. Souhaitons qu’ils fassent école et soient de plus en plus nombreux.

                                                      (2)

 3ième Question :

Jean-Michel Cazes je vais vous faire un aveu : en bon vendéen que je suis j’adore le pain et, grâce à maman, je suis un fondu du baba au rhum (elle me faisait du savarin) alors, vous qui avez ressuscité votre petit hameau d’origine, Bages, avec sa boulangerie-pâtisserie « Au baba d’Andréa » pouvez-vous faire partager à mes lecteurs votre passion pour ce petit coin du Médoc où vous êtes né ? Et, cerise sur le gâteau, pourriez-vous nous dire quel est le vin qui vous a le plus séduit ces derniers temps ?

 

Réponse de JM Cazes :

Commençons par le vin. J’ai la conviction qu’un véritable amateur ne peut avoir que la dégustation curieuse... Il va de vignoble en vignoble, de région en région, voire de pays en pays. Partout il trouve ce qui fait la gloire et la nature même du vin : l’expression d’un lieu, une géographie, un climat, un « terroir », des hommes, une histoire, etc.  Il ne peut donc, contrairement au buveur de whisky (par exemple...), avoir une marque favorite, ce qui serait totalement antinomique avec la nature même de sa passion. La notion même de vin préféré ou favori est donc étrangère au véritable buveur de vin. D’autant plus que la perception que l’on en a dépend de beaucoup de facteurs, si nombreux que je ne les décrirai pas ici.

 

Je ne suis ni collectionneur ni journaliste spécialisé... Cela dit, j’ai été dernièrement confronté à quelques bouteilles qui ont laissé une trace sur mes papilles. Je citerai un Haut-Brion 1989, extraordinaire d’élégance, un Lynch-Bages 1985 vigoureux et plein de saveurs, un Canon 1962 tout en finesse, un Janasse de Châteauneuf du Pape ensoleillé, un aristocratique La Tâche du Domaine Romanée Conti dont j’ai oublié le millésime, un Gewurztraminer de Trimbach d’une pureté parfaite, un beau Quinta do Crasto 2000 auquel le cépage touriga nacional donnait une saveur très lusitanienne, sans oublier tous les « petits » vins, souvent délicieux comme un Château Canteloup (Médoc) bu récemment en bonne compagnie (c’est important), et combien d’autres...

 

Quant au Médoc, j’y suis né, j’en suis parti à 18 ans alors que la grande crise du siècle frappait encore le vignoble et pensais alors n’y revenir jamais. Les hasards de la vie, mais aussi les changements extraordinaires survenus dans nos professions viti-vinicole en ont décidé autrement et j’ai pris le chemin du retour en 1973. Depuis cette date, je m’efforce de faire le mieux possible mon métier, qui est pour moi le plus beau du monde. J’ai connu le Médoc autrefois misérable, et l’ai vu se redresser peu à peu jusqu’à devenir aujourd’hui une région moderne, ouverte, vivante, cosmopolite, belle comme un jardin bien peigné. J’y suis heureux d’y vivre et fais mon possible pour contribuer modestement à cette renaissance. Ce que nous faisons pour réanimer le village de Bages, comme notre « Baba », le Café Lavinal qui lui fait face ou encore nos Ateliers de Bages, a simplement pour objectif de renforcer l’attractivité du vignoble tout en me procurant la satisfaction égoïste  de redonner un peu de vie à un univers qui l’avait perdue pendant de trop longues années.

(1) et (2) illustrations de Jean Hugo tirées du catalogue Nicolas 1933

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commentaires

V
Jacques, tu souffles le chaud et le froid avec tes interviews bordelaises ! Personnellement je penche plus tôt vers le réalisme de Chardonnier que l'optimisme de JM Cazes, mais il est vrai que je suis dans l'Entre-Deux-Mers et non pas dans le Médoc...Depuis le début de campagne, le cours du Bordeaux est scotché à 920 euros le tonneau, soit 100 euros de plus que l'an dernier mais 300 euros de moins qu'il y a 5 ans. Et malheureusement tout laisse à penser qu'on va revenir en arrière pour la prochaine campagne. D'ailleurs une des conséquences de la nouvelle "habilitation" qui va remplacer l'ancien agrément au 1 juillet est la multiplication des contrats à 900 euros depuis quelques jours. Comme quoi tout le monde n'est pas rassuré par ce changement...Un autre cours est scotché à 500 euros la tonne, contre 350 il y a 1 an ou 2, c'est celui du Tournesol. Et il n'y a pas de perspectives de baisse, même avec un peu de volatilité. L'un de mes voisins, excellent viticulteur dans sa zône , vient de tripler sa surface en ajoutant justement 40 ha de tournesol à ces 20 ha de vignes. Il y a énormément de terres disponibles avec les arrachages. En plus, elles sont remplies de chardons et daturas qui égrainent partout chez les voisins.Dons, pour certains, l'avenir du Bordeaux est peut-être dans le ..... tournesol. Suis-je toujours réaliste ?
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